‘Le champagne va devenir, encore plus qu’aujourd’hui, un produit de luxe’

Paul Francois Vranken © DIETER TELEMANS

Pendant dix ans, la consommation de champagne en France, son principal marché, a diminué. Mais le Belge Paul-François Vranken, propriétaire de la maison cotée en bourse Vranken Pommery, voit la lumière au bout du tunnel. “Paris s’éveille. Ça s’améliore doucement.”

Construire des marques. Ce que les brasseurs essaient de faire depuis des décennies déjà semble être un jeu d’enfant pour les Maisons de Champagne. Les caves de la maison Pommery se trouvent à trente mètres de profondeur, avec une température constante de 10 degrés Celsius tant en hiver qu’en été. Dans les 18 kilomètres de galeries vieillissent 25 millions de bouteilles de la marque de luxe internationale Pommery. Certaines vieillissent pendant vingt ans. Les caves attirent 140.000 visiteurs par an.

Le propriétaire Paul-François Vranken avance presque solennellement à travers les sombres voûtes souterraines. Le Belge est actif depuis presque un demi-siècle dans la région de Champagne. Le cours de bourse du Vranken Pommery, également coté à Bruxelles, atteignait 56 euros en 2008, il oscille aujourd’hui autour de 24 euros, avec une liquidité très réduite. C’est surtout dû à l’économie française, qui n’a pas moins d’une décennie perdue derrière elle. Le coup dur des attentats terroristes a ensuite suivi ces deux dernières années.

La consommation de champagne semble être un reflet de la santé de l’économie française. Elle régresse depuis dix ans déjà. Mais la diminution est surtout à imputer au pays lui-même.

PAUL-FRANÇOIS VRANKEN. La baisse de consommation se situe principalement dans les hôtels et restaurants de luxe. Le George V et le Plaza Athénée à Paris, les hôtels Martinez et Majestic à Cannes, les hôtels du Prince Albert de Monaco. Après les attentats terroristes, les touristes étrangers ont évité la France. Ces lieux ont perdu jusqu’à 60% de leurs clients. Notre chiffre d’affaires a suivi cette chute, car ce sont précisément les endroits où l’on boit beaucoup de champagne. Les ventes de champagne n’ont pas diminué dans les supermarchés ni chez les commerçants spécialisés en vin.

2017 montre une amélioration ?

La fin de l’année est meilleure qu’en 2016. Nous avons deux grands problèmes. La France doit à nouveau attirer davantage de touristes étrangers. Et à cause du Brexit, la livre sterling a dévalué de 20%. Nous avons vendu deux millions de bouteilles au Royaume-Uni. Les ventes ne s’amélioreront là que si la livre sterling repart à la hausse. Le champagne n’est hélas pas un produit qui résiste à la crise.

Mais les ventes dans le reste du monde sont une affaire qui roule. La région de Champagne aura vendu plus de 310 millions de bouteilles en 2017. Aux États-Unis, au Japon, en Australie et en Allemagne, l’économie se porte bien. On y fait également sauter davantage de bouchons de champagne. Et dans les pays émergents, nos ventes grimpent de 30% l’an. Nous pouvons à peine suivre la demande.

Et pourtant, le champagne ne peut plus croître en masse. La région de Champagne compte 34.000 hectares et le champagne ne peut être fabriqué que là.

La croissance du champagne est révolue. Peut-être est-il possible d’ajouter encore un peu de superficie, mais ça s’arrête là. La qualité des raisins et le rendement par hectare se sont fort améliorés. Les techniques y ont solidement progressé. Des 310 millions de bouteilles par an actuelles, nous passerons au maximum à 330 ou 340 millions de bouteilles. Cela devient la frontière naturelle pour le champagne. L’interdiction de l’épandage de pesticides y joue également un rôle.

On estime que cette interdiction aura un impact à la baisse sur la production de raisin jusqu’à un cinquième.

L’interdiction des pesticides est imposée par la Commission européenne. Mais certaines maladies des plantes, nous ne pouvons pas les combattre naturellement. Avec comme résultat une diminution de la récolte de raisin de 20%. En comparaison avec 2000, nous perdrons même 40%. Le prix du champagne va donc inévitablement augmenter. Le champagne deviendra, encore plus qu’aujourd’hui, un véritable produit de luxe.

Pour les grandes maisons de champagne peut-être. Il y a toujours 19.000 viticulteurs pour seulement 34.000 hectares. Comment est-ce rentable ?

Les 16.500 viticulteurs cultivent leurs terres eux-mêmes. Il y a donc davantage de propriétaires que de terres. Mais le nombre de viticulteurs ne diminue que très lentement, car une famille est capable de bien vivre avec deux hectares de terre à cultiver. L’immobilier a en particulier de la valeur. Un hectare de terrain planté avec des cépages pour du champagne grand cru vaut 2 millions d’euros. Chaque année, moins de 80 hectares changent de propriétaire. Et si des terres sont malgré tout mises en vente, un véhicule du gouvernement français a un droit de préhension. Les vignobles sont ensuite loués à de jeunes viticulteurs.

Vranken Pommery progresse bien dans un nouveau segment: celui des vins mousseux en Camargue et en Californie.

Nous nous y connaissons en vin à bulles. Le vin mousseux est fabriqué de la même manière que le champagne. Et ce marché est gigantesque, avec une consommation de 4 milliards de bouteilles par an. L’Allemagne consomme chaque année 350 millions de bouteilles de sekt, la Russie 450 millions de bouteilles. Nos ventes ont démarré cette année avec, uniquement pour la Camargue, 650.000 bouteilles. Dans quelques années, ce seront des millions par an.

Et la différence de qualité avec le champagne ?

Elle est immense. Les terres crayeuses de Champagne vont jusqu’à 300 mètres de profondeur. Elles fournissent un goût très particulier. Ce même goût, vous ne l’obtenez pas aux États-Unis. Ce sont aussi des bulles, mais c’est entièrement différent. Tout en haut de la pyramide figure le champagne. Mais en dessous, il y a encore pas mal de place pour d’autres vins mousseux.

Le cava, par exemple. Cette boisson est-elle de plus en plus en concurrence avec le champagne ?

Non. Le champagne n’a pas de concurrence. Une bouteille de champagne coûte entre 20 et 30 euros dans les rayons des magasins, une bouteille de cava entre 5 et 10 euros. C’est un autre produit, tout comme les vins mousseux des États-Unis. Là, vous payez en moyenne 45 dollars pour une bouteille de champagne. Les vins mousseux coûtent la moitié : 20 à 25 dollars la bouteille.

Quand la France sera-t-elle libérée du joug de sa dépression ?

Ah, la morosité. Elle est encore présente. Mais bien plus important : les Français ont à nouveau envie de vivre. Paris s’éveille. Il y a à nouveau de la vie à Paris. Doucement, ça va mieux. L’optimisme croît chez les dirigeants d’entreprises français. Enfin. Après dix mauvaises années.

La France a-t-elle encore des atouts ?

Le grand atout des Français, c’est leur connaissance des produits de luxe. Ils savent aussi comment les vendre partout dans le monde. Quel pays a encore des produits de luxe de grande qualité ? Vous en trouvez encore un peu en Italie. La France joue un rôle central. Cela provient de la culture française qui s’est affinée et constituée au fil des siècles. Il n’y a pas beaucoup de pays comme ça dans le monde. La France a joué, pendant des siècles, un rôle de leader mondial. Le pays est toujours très valorisé pour ça.

Valorisé ? Selon ses détracteurs, la France impose sa culture.

Non, la France attire. Vous devenez très facilement Parisien et Français, car le pays vous accepte rapidement. Ok, dans la région de Champagne, on m’appelle encore ‘le Belge’. Mais je suis néanmoins administrateur dans toutes les importantes associations viticoles en France. Les autres administrateurs me demandent toujours des conseils quand il s’agit de la Belgique. ‘Paul, qu’est-ce que tu en penses ?‘ Je dis alors que je ne sais pas, car cela fait déjà 46 ans que j’ai quitté la Belgique. Je suis un Français assimilé. Même plus que cela: je suis l’émissaire spécial pour les intérêts de la région de Champagne auprès du ministère de l’Agriculture. Cela prouve tout de même que la France accepte tous les gens comme des Français, même s’ils ne le sont pas.

Quels sont les défis de la France ?

Insuffler une nouvelle vie à l’Union européenne. La France doit rester un centre important en Europe. Si Emmanuel Macron n’avait pas été élu président, l’UE aurait peut-être bien explosé. La France doit pouvoir rester elle-même dans un ensemble européen plus grand.

La haute conjoncture économique allemande est-elle un exemple pour la France ?

La France ne doit pas rechercher son modèle ailleurs. Elle peut se le réinventer elle-même. Le pays a suffisamment d’énergie propre. Cela a peu de sens que la France copie la robuste industrie et l’ingénierie allemandes. La France est elle-même suffisamment créative. Les entrepreneurs doivent à nouveau recevoir suffisamment de latitude. Ils ont été freinés pendant des années par trop d’étatisme. Avec des taux de taxation jusqu’à 65% sur le revenu. C’est inacceptable. La meilleure preuve en est l’émigration de milliers de Français vers Bruxelles.

Êtes-vous optimiste pour la France ?

Certainement. Mais nous avions toutefois besoin d’un nouveau président. Quelqu’un qui ose aussi dire les choses comme elles sont, et qui ne veut pas les édulcorer.

Vous avez rencontré le président Macron fin septembre à l’Élysée.

Le président avait alors reçu 200 personnes de l’horeca français dans sa résidence. Emmanuel Macron a une fois de plus souligné l’importance de la gastronomie française dans le monde. Il a donné une excellente impression. Et à ne pas oublier: il est jeune, un quarantenaire dans la fleur de l’âge.

En parlant de jeunesse. Vous avez 69 ans. Quand votre successeur viendra-t-il aux commandes ?

Je ne pense pas encore à arrêter (petit rire espiègle). J’espère bien sûr que me enfants me succéderont un jour. Ma fille Maïlys dirige nos activités américaines. Et je suis entouré par un comité de direction très fort. Si je ne suis plus là demain, la société pourra continuer sans problème.

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