Vivre seul : une liberté qui coûte cher

© Getty Images

Notre société est encore largement réglementée en fonction de la famille classique. Elle ignore la montée en puissance de l’isolé. Alors qu’actuellement, près d’un ménage belge sur trois ne comprend qu’une personne.

Vu de l’extérieur, vivre seul peut être synonyme d’une plus grande liberté. Mais le prix à payer s’avère souvent élevé. Au niveau fiscal d’abord, car notre régime d’imposition n’est pas tendre pour les isolés. Bonus logement, titres-services, précompte immobilier et plus récemment taxe Turtelboom : autant de mesures qui désavantagent les isolés. Ensuite au niveau des achats et des frais généraux de la vie quotidienne qu’il faut assumer en solo. Aussi, la solitude et les soucis financiers traversent-ils en fil rouge l’existence de celles et ceux qui vivent seuls.

Il n’y a pas si longtemps, le curé était pratiquement le seul “isolé” de la paroisse. Mais les temps ont changé, le nombre de curés est en chute libre tandis que de plus en plus de personnes habitent seules. Si les isolés étaient 538.412 en Flandre en 1990, ce nombre est passé à 802.527 en 2011. Cela signifie qu’en 2011, 30,3 % de tous les ménages privés du nord du pays étaient composés d’une seule personne. En Wallonie (35 %) et dans la région de Bruxelles-Capitale (48,3 %), ces chiffres sont plus élevés encore.

Avec un score de 63,6 %, la commune d’Ixelles en Région bruxelloise est le numéro un absolu de notre pays. En Flandre, le podium est composé de Louvain (48,6 %), Anvers (44,7 %) et Ostende (44,5 %). Le service d’études du gouvernement flamand s’attend, dans les années à venir, à une progression du nombre d’isolés dans la plupart des communes. Les enquêteurs s’attendent ainsi à ce qu’Anvers connaisse une hausse de près de 10 %, passant de 104.846 en 2014 à 114.487 ménages solos en 2030. La progression des petits ménages sera la plus forte dans les communes campinoises au nord d’Anvers, dans le Limbourg et à la côte. Selon toute vraisemblance, la hausse sera la plus forte parmi les seniors.

Les personnes vivant seules ne forment pas un groupe homogène : cela va des jeunes qui se lancent dans la vie aux plus de 65 ans – veufs ou veuves – contraints de poursuivre leur vie seuls. L’important groupe des 30-65 ans rassemble des gens qui n’ont pas choisi la solitude. Il s’agit généralement d’une situation temporaire. “Les célibataires endurcis et les éternels solitaires sont rares. La situation actuelle est que les gens connaissent tous la solitude à un moment ou l’autre de leur vie, et que ce moment arrive plus souvent et dure plus longtemps que pour leurs grands-parents. Mais les gens qui vivent seuls toute leur vie restent rares. Cela concerne 2 à 3 % de la population, déclare le sociologue Dimitri Mortelmans de l’Université d’Anvers dans un de ses ouvrages.

Touchés au portefeuille

Les chiffres indiquent que ces dernières années, une révolution démographique s’est déroulée en silence. Peu à peu, la société a compris qu’un isolé n’est pas une victime par définition. Au contraire, de nombreuses personnes apprécient la liberté du célibataire : accompagner à tue-tête la chaîne hi-fi, être seul maître de la télécommande et personne pour se plaindre s’il mange devant la télé où si la vaisselle traîne quelques jours.

Reste que le ménage d’une personne présente également un tas d’inconvénients. L’absence de partenaire peut être cruelle lors des moments durs ou joyeux de la vie. Et puis, l’isolé est surtout touché au portefeuille. Il ne pourra pas partager les frais généraux comme l’électricité, le chauffage ou le loyer mais devra les assumer avec un seul salaire, ce qui n’est pas toujours évident. Sans oublier le supplément single qu’il doit souvent payer lors de la réservation de vacances ou d’une chambre d’hôtel.

Pour les achats aussi, les choses sont généralement plus difficiles : l’isolé a le choix entre de petites portions plus chères ou des emballages plus grands, dont il devra parfois jeter une partie. Mais il ne faut pas surestimer ce point car avec un peu de créativité en cuisine et un bon surgélateur, on arrive à résoudre plein de choses. En outre, dans la plupart des commerces, les fruits et les légumes sont vendus en vrac et chacun détermine la quantité qu’il souhaite acheter.

Chez Delhaize, on suit de très près cette tendance. “Nous voyons depuis plusieurs années l’arrivée des isolés, déclare Roel Dekelver, porte-parole de l’enseigne. Contrairement aux ménages avec enfants, les isolés planifient moins leurs achats. Nous les voyons plus souvent, mais ils achètent de plus petits volumes. Nous adaptons notre assortiment à cette évolution. C’est ainsi que nous proposons des filets de poulet individuels, par exemple.”

Une chance sur trois de devenir propriétaire

A la question de savoir si un isolé peut se permettre d’avoir son propre logement, John Romain, directeur d’Immotheker, apporte une réponse nuancée. “Acheter seul est possible, dit-il, mais ce n’est pas donné à tout le monde.” Selon les chiffres de la Banque nationale de Belgique, 81 % des couples avec enfants sont propriétaires du logement familial. Pour les couples sans enfants, ce chiffre baisse à 76 %. Pour les personnes vivant seules, c’est tout à fait différent : seuls 55 % des isolés avec enfants et 44 % des isolés sans enfants peuvent se permettre un tel achat.”

Pourtant, selon John Romain, les banques n’appliquent pas de règles différentes aux isolés et aux couples. “Une banque vérifiera toujours si le remboursement mensuel ne dépasse pas le tiers du salaire net. L’apport personnel sera de même hauteur mais, dans ce cas aussi, l’isolé est évidemment seul. Au final, c’est à peine si les taux d’intérêt diffèrent, dit-il. Les isolés sont victimes du fait que les banques rechignent à octroyer des prêts à long terme. Certaines refusent même tout crédit au-delà de 30 ans.”

Il ressort des chiffres d’Immotheker que le coût total d’un premier logement est de 281.982 euros pour un couple et de 215.200 euros pour une personne vivant seule. Pour cela, le couple emprunte 201.991 euros, soit 71,6 % de sa capacité. Avec 134.470 euros et 62,5 %, c’est donc nettement moins pour un isolé.

L’augmentation de la population influence également le marché du logement. La demande de petites unités – studios et logements une chambre – est en hausse. “Et pourtant, cela n’entraîne pas de hausse significative des prix sur ce segment du marché. En fait, l’offre s’est rapidement adaptée. Prenez le cas de Louvain, où l’offre de petites unités s’est étoffée en peu de temps”, commente John Romain.

Les Tanguy épargnent vite

John Romain conseille de rester vivre aussi longtemps que possible chez ses parents avant d’acheter. “Mon fils aussi est un Tanguy, car il vit encore chez nous. Si l’on fixe dès le départ des conventions claires, cela se passe bien”, déclare-t-il, faisant part de sa propre expérience.

Selon les chiffres du Cebud (Centre de conseil et de recherche budgétaire), les jeunes peuvent, de cette manière, économiser jusqu’à 1.035 euros par mois. Celui qui reste encore 10 ans chez ses parents sans contribuer au vivre et au couvert pourra épargner près de 125.000 euros, un beau budget initial pour une opération logement.

Apparemment, les conseils de John Romain sont de plus en plus suivis. Une étude d’Eurofound montre en effet que l’an dernier, 44,9 % des jeunes Belges de 18 à 34 ans vivaient encore chez leurs parents. En 2005, ils n’étaient que 39,3 %. Cela situe notre pays légèrement sous la moyenne européenne de 48,4 %.

DIRK VAN THUYNE

ALL1 SE BAT POUR CEUX QUI VIVENT SEULS

Que les politiciens soient longtemps restés sourds aux besoins des isolés tient sans doute largement à l’absence d’association qui défende leurs intérêts. C’est dans cette optique que, milieu de cette année, Carla Dejonghe, experte et membre de l’Open Vld, a créé All1. La nouvelle association veut engager un débat de société sur les questions auxquelles sont confrontés les isolés et favoriser la recherche scientifique à cet égard.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content