Quel sera l’impact des dernières mesures fiscales sur la voiture de société?

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Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Malgré des rabotages fiscaux répétés, la voiture de société reste attractive tant pour les utilisateurs que pour le secteur automobile. Pour preuve, les ventes ont continué de croître ces dernières années. Les nouvelles mesures annoncées ne devraient pas y changer grand-chose mais elles augurent toutefois une période d’incertitude.

Plutôt blasés, les importateurs d’automobiles les plus concernés par les mesures fiscales sur la voiture de société restent fort calmes. Ils ont l’habitude de voir le gouvernement fédéral rogner le statut fiscal de ce type de véhicule : en 2004, 2005, 2007, 2009. La réforme la plus importante a été instaurée en 2012, lorsque le gouvernement Di Rupo a intégré le prix de la voiture dans le calcul de l’avantage en nature taxable. Quelques Ferrari ou d’autres voitures à prix élevé ont été revendues précipitamment, tandis que les modèles les plus courants – les Audi A4 ou A3 et autres BMW ou Skoda – ont plus que jamais continué à se vendre et à grossir les flottes.

Pourtant une marque comme Audi devrait se préoccuper des mesures qui touchent les voitures de socié-té, car ce marché représente environ 70 % de ses ventes. La situation n’est pas très différente pour BMW. ” Nous attendons au balcon en attendant des précisions, sur des charbons ardents si je puis dire, mais de manière calme, déclare Christophe Weerts, porte-parole de BMW Belux. Comme il y a quatre ans, lors du changement important du calcul de l’avantage en nature. ” L’impact a finalement été faible. ” Ici, il y aura un impact, mais on ne sait pas lequel, poursuit-il. Il y a effectivement des gens qui n’ont pas absolument besoin d’une voiture. Nous sommes du reste partisans d’une mobilité alternative, comme la voiture partagée que nous proposons avec Drive Now. ”

Les informations quant aux changements fiscaux dont nous disposons actuellement ne permettent pas d’imaginer que le marché de la voiture de société sera fortement touché. Pour quatre raisons. Les voici.

1. Pas de politique anti-voiture de société

Malgré des critiques récurrentes, notamment de l’OCDE, les gouvernements fédéraux qui se succèdent n’ont jamais appliqué de politique anti-voiture de société. Le statut est resté fiscalement avantageux. Quels qu’aient été les partis qui les composaient. Il en va ainsi du gouvernement Michel, où la N-VA est opposée à tout changement important. Les nouvelles mesures fiscales visent avant tout à réduire le déficit fédéral. En 2012, le gouvernement Di Rupo cherchait 200 millions d’euros par an de recettes supplémentaires, le gouvernement Michel cherche, lui, 100 millions d’euros, qu’il espère trouver en taxant un peu plus les cartes de carburant. ” Je ne pense pas que cela aura un impact particulier sur le marché “, estime Jean-Marie Lejeune, fleet manager chez CMI.

Quel sera l'impact des dernières mesures fiscales sur la voiture de société?
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La nouveauté porte sur le projet permettant aux entreprises de proposer un ” budget mobilité ” en guise d’alternative à l’actuel ” budget voiture “. Un projet qui avait été annoncé dans l’accord de gouvernement de 2014. Il prévoit de laisser au salarié le choix, en fonction de ses besoins personnels, de l’affectation de son budget mobilité et de le dispatcher par exemple entre différents moyens de déplacement : voiture de société, vélo, abonnement aux transports en commun, scooter, etc. Proposer la seule voiture de société n’encourage pas l’utilisation d’autres moyens qui pourraient s’avérer plus pratiques et efficaces. Le nouveau cadre fiscal permettrait par exemple d’opter pour une voiture plus petite en échange d’un abonnement complémentaire à l’un ou l’autre transport en commun ou encore à un service de location de vélos. Une loi pourrait simplifier le dispositif, le rendre plus populaire. Et ainsi réduire le nombre de voitures aux heures de pointe.

2. L’abandon de la voiture apparemment peu attractif

La nouvelle mesure prévoit la possibilité de renoncer à la voiture de société contre un supplément de salaire net. L’impact d’une telle disposition pourrait être important pour les concessionnaires. KBC Securities avait même parlé pour D’Ieteren – importateur d’Audi, de Volkswagen, de Skoda et de Seat – d’une baisse des ventes automobiles potentielles de 13 %, car la clientèle des marques vendues par D’Ieteren est à 50 % formée par des flottes d’entreprises. L’analyste partait de l’hypothèse que 25 % des bénéficiaires de ce type de véhicules pourraient préférer le supplément de salaire net. Mais cette évaluation, purement théorique, a été remisée par KBC Securities car elle se basait sur des informations parcellaires publiées dans la presse dans les premiers jours de l’annonce. Les montants envisagés ne devraient pas être de grands incitants à l’abandon de la voiture (lire “Faut-il échanger sa voiture de société contre du cash?” en p. 34). La possibilité de mixer différents types de mobilité devrait avoir plus d’intérêt. Elle pourrait entraîner un léger downsizing des flottes d’entreprises.

3. Le marché grandit malgré les réformes fiscales

Troisième raison : les réformes passées, même celle de 2012, n’ont jamais fait reculer la voiture de société. Le secteur du leasing, qui représente l’essentiel des voitures de société de la catégorie avantage salarial, est passé de 91.957 voitures en 2013 à 107.459 en 2016, et cette tendance continue sur les premiers mois de 2016 (données Renta). Les plus grands fournisseurs de ce marché, en particulier les marques premium, ont vu leur part de marché et leurs ventes augmenter. Ainsi, en 2015, BMW est passé de la cinquième à la troisième place sur le marché des immatriculations, avec 37.238 voitures contre 32.012 en 2014, et 31.601 autos en 2013. Même chose pour Audi et pour Mercedes. ” Il y a eu un changement dans la composition de la flotte vers des voitures à faible émission de CO2, note Joost Kaesemans, porte-parole de la Febiac. Mais les changements ont été modérés. On pensait d’abord qu’il y aurait du downsizing, de la Golf vers la Polo, de l’Audi A4 vers l’Audi A3, et ainsi de suite. Les utilisateurs sont finalement restés dans les mêmes gammes, les mêmes prix, mais avec un accent sur le CO2 faible, qui devenait plus important dans le calcul de l’avantage en nature. ”

Les marques prisées par les flottes connaissent aussi une hausse des ventes grâce à l’élargissement des gammes. BMW a étendu sa présence dans les SUV, avec le X1 en entrée de gamme, et s’aventure vers les monospaces, qu’il avait évités jusqu’ici, avec les Série 2 Gran Tourer et Active Tourer. Mercedes a aussi développé une nouvelle Classe A qui remporte un grand succès, et qui se décline en SUV. Ces marques remportent un certain succès en voitures de société car leur valeur de revente correcte débouche sur des tarifs de location attractifs.

4. Le risque principal et immédiat : un gel temporaire

Le souci principal de ces changements fiscaux ? Un trou d’air dans les ventes. Les gouvernements ont la mauvaise habitude d’annoncer des mesures non finalisées. ” J’espère que ce ne sera pas comme en 2012, lorsque le marché a été gelé pendant quelques mois, avance Thierry De Meuter, porte-parole d’Audi chez D’Ieteren. Les mesures avaient été annoncées puis ont été ajustées plusieurs fois, les gens attendaient avant de commander. ” La situation semble se répéter avec l’annonce du budget mobilité et la possibilité pour le salarié de préférer un supplément de salaire net à un véhicule de société. Des mesures dont les montants et le mode de calcul évoqués ne sont pas encore fixés définitivement.

Les flottes attendent davantage des voitures propres

Les entreprises sont les plus grands pourvoyeuses de voitures propres, électriques, hybrides, au gaz naturel. Les chiffres, en croissance, restent modestes, malgré quelques avantages fiscaux. En 2015, sur 501.066 voitures immatriculées en Belgique, on comptait 1.360 autos électriques, 9.384 hybrides et 3.268 au gaz naturel (CNG). Soit moins de 0,5 % du parc automobile. Pourquoi les flottes n’en achètent-elles pas davantage ? Voici l’avis tranché d’un fleet manager, Jean-Marie Lejeune, chez CMI, à Seraing, fondateur de l’AFFM (Association francophone des fleet managers) qui réunit 70 sociétés comptant au total 30.000 véhicules (Coca Cola, Engie, Infrabel, etc.).

• La voiture électrique ? Oui, si elle peut rouler 600 km en autonomie. “Nous en avons eu une, à Anvers, mais l’utilisateur n’en voulait plus, l’autonomie était trop faible. Il faudrait idéalement arriver à 600 ou 700 km. En général, c’est plutôt 100 à 200 km. Il y a une amélioration en vue, encourageante. Elle va créer indirectement un problème : que vaudront dans quatre ans les voitures achetées récemment, lorsque seront commercialisées des voitures avec un plus grand rayon d’action ? La valeur de revente risque de poser un souci.”

“Il y a bien sûr la Tesla, qui se distingue avec une autonomie de 500 km, mais c’est plutôt 400 km dans la réalité, car les phares, l’air conditionné et l’équipement consomment également. Les Tesla actuelles, c’est bien, mais vu leur prix, le public est limité : n’oubliez pas qu’on travaille avec un budget !”

• La voiture hybride : vraiment une bonne idée ? ” Mon avis est que l’hybride n’est pas une bonne solution. L’autonomie électrique est faible sur l’hybride simple, de quelques dizaines de km sur l’hybride rechargeable. Dès que vous roulez sur la route, hors de la ville, le moteur à essence tourne et consomme davantage que celui d’une voiture à essence équivalente, car l’hybride est plus lourde. Surtout je ne suis pas sûr que les utilisateurs d’hybrides rechargeables ‘jouent le jeu’ et branchent leur voiture sur la prise électrique tous les jours pour conserver une autonomie en conduite électrique. Dans ce cas, elles sont intéressantes fiscalement mais n’offrent aucun gain environnemental.”

• La voiture au gaz naturel : pas assez de pompes. “On en parle de plus en plus, il y a beaucoup de publicité, mais pas encore assez de stations.” C’est une question de temps, car le réseau, plus dense en Flandre qu’en Wallonie, se développe.

Ces jugements paraissent assez abrupts, mais le président de l’AFFM Jean-Marie Lejeune s’active à aider ses collègues à gérer un parc de véhicules propres. C’est un domaine neuf avec beaucoup de questions à régler. “Comment faut-il s’organiser pour les bornes de rechargement sur le parking ? Comment intervenir dans les frais de rechargement à domicile ? Comment adapter la car policy ? Beaucoup de fleet managers se posent ces questions, alors nous échangeons nos expériences”, explique-t-il. L’AFFM devrait d’ailleurs bientôt organiser une réunion de partage d’expérience sur tous ces sujets.

Une voiture sur 10

C’est le Bureau du Plan qui l’écrit : 384.400 voitures de société circulent en Belgique, soit moins de 10 % du parc automobile qui compte 5,56 millions de véhicules. Le chiffre a été avancé dans une étude publiée en février dernier (1). Il provient des données fournies par le SPF Finances sur le nombre de voitures qui donnent lieu à un avantage en nature taxable (ATN).

Ce chiffre est très éloigné de ceux avancés lors des débats consacrés à la voiture de société. On y affirme souvent que les voitures de société représentent la moitié des véhicules en circulation. Or ce calcul inclut beaucoup d’autres véhicules qui n’ont rien à voir avec les “voitures salaires” attribuées par des sociétés dans le cadre d’un package salarial.

L’étude du Bureau du Plan souligne par ailleurs que les véhicules roulent davantage que ceux possédés par les particuliers : 8,4 km de plus par jour à titre privé, 58 km par semaine pour les trajets domicile-travail.

(1) The fiscal treatment of company cars in Belgium : Effects on car demand, travel behaviour and external costs.

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