La dérogation en urbanisme: mode d’emploi

© PG

Il est peu fréquent qu’un projet immobilier faisant l’objet d’une demande de permis d’urbanisme respecte en tous points les prescriptions urbanistiques qui lui sont applicables.

Le foisonnement des règles et leur caractère nécessairement général et abstrait fait qu’il est pratiquement impossible d’en observer intégralement tous les aspects. Et c’est généralement tant mieux : un projet qui serait strictement conforme à toutes ces impositions ne serait sans doute pas des meilleurs sur le plan architectural. Laissons donc aux architectes la possibilité de créer de nouvelles formes urbaines sans les brider outre mesure.

Le mécanisme de la dérogation a été prévu pour cela : il agira comme une soupape de sécurité qui permettra d’éviter qu’un projet ne se trouve littéralement enfermé dans un carcan réglementaire.

Est-ce à dire pour autant que ce dernier serait alors dépourvu d’utilité ? Assurément non. Un encadrement permet en effet d’éviter l’inacceptable et de retoquer des projets qui méconnaîtraient les objectifs qui sous-tendent ces prescriptions.

Le législateur est expressément intervenu pour prévoir le principe même de la dérogation et en organiser les grands principes. C’est ainsi qu’en règle générale – hormis la mise en oeuvre de clauses de sauvegarde – il n’est pas permis de déroger aux prescriptions des plans régionaux à valeur réglementaire. Tel est assurément le cas pour le plan régional d’affectation du sol, en Région de Bruxelles- Capitale ; dans une moindre mesure, c’est également valable pour les plans de secteur en Région wallonne. A l’inverse, des dérogations aux plans communaux d’aménagement demeurent possibles, mais pour peu qu’elles ne portent pas atteinte à leurs prescriptions ” essentielles ” – au rang desquelles celles qui fixent les affectations admissibles (logement, bureau, commerce, etc.). Restera alors à distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas. Il s’agira, à chaque fois, d’une question d’interprétation, en fonction du libellé des prescriptions en cause. Sans doute, moins compliquées à obtenir sont les dérogations aux règlements d’urbanisme – qu’ils soient régionaux ou communaux – car ceux-ci occupent une place hiérarchiquement inférieure aux plans d’aménagement. Des dérogations pourront donc être accordées sans avoir à se demander si elles s’écartent d’une prescription essentielle du règlement.

Un projet qui serait strictement conforme à toutes les prescriptions urbanistiques ne serait sans doute pas des meilleurs sur le plan architectural.

Un garde-fou subsistera néanmoins : quelle que soit la dérogation, celle-ci ne pourra jamais être d’une ampleur telle que l’accorder équivaudrait à une négation pure et simple de la règle et à une méconnaissance fondamentale des objectifs qu’elle entend poursuivre. Par contre, le nombre de dérogations sollicitées demeurera indifférent : la complexité des règlements peut en effet induire de multiples dérogations dans un même projet. Ce n’est pas pour autant qu’il ne serait pas admissible.

Quelles que soient les dérogations, et sauf rare exception où elles peuvent être accordées d’initiative par l’autorité délivrante, c’est au demandeur qu’il incombera, au premier chef, de les identifier toutes, et correctement, ceci afin de valablement les solliciter auprès des autorités chargées d’instruire sa demande de permis.

L’accomplissement de cette tâche pèsera également sur les épaules de l’architecte chargé d’assister le demandeur : il est en effet de sa responsabilité professionnelle de procéder à ce travail d’identification. Dans le doute, il vaudra mieux demander une dérogation plutôt que de la négliger. Car une dérogation non demandée pourrait entraîner un vice de procédure au niveau de l’enquête publique – certaines dérogations nécessitant l’accomplissement de mesures particulières de publicité – et, ensuite, venir affecter la légalité du permis d’urbanisme…

Enfin, s’il n’est nullement requis de motiver les demandes de dérogations, le demandeur sera bien inspiré de réaliser ce travail d’explication. Ce faisant, il permettra d’avoir une meilleure compréhension de son projet, ce qui facilitera la tâche de l’autorité délivrante lorsqu’elle se prononcera sur sa demande. Par ailleurs, nous ne perdrons pas de vue que, conformément à la loi sur la motivation formelle des actes administratifs, une autorisation de bâtir doit énoncer les motifs qui fondent cette décision, motifs au rang desquels figure la justification des dérogations qui ont été accordées. Qu’on se le dise !

Par Philippe Coenraets, avocat associé, chargé de cours à l’Ichec.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content