Le recours en matière de permis d’urbanisme, ce “sport national”

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La délivrance des permis d’urbanisme et d’environnement donne lieu à un abondant contentieux devant le Conseil d’Etat. L’ampleur de ce phénomène est d’ailleurs en constante croissance, au point d’en devenir pratiquement un ” sport national “.

Parmi les moyens d’annulation les plus fréquemment invoqués, il en est un qui doit retenir l’attention car il se classe au premier rang du ” hit parade ” des critiques de légalité fréquemment adressées aux permis accordés par l’administration : il s’agit de la violation de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.

Bien que déjà relativement ancienne, cette loi continue à faire couler beaucoup d’encre et semble toujours susciter des difficultés d’application. Pourtant, le dispositif législatif est simple : il impose à l’auteur de l’acte d’indiquer, dans le document qui matérialise sa décision, les motifs qui en expliquent le fondement, étant les motifs de droit et les motifs de fait. Si les premiers ne devraient pas causer de réels soucis à l’autorité délivrante – il s’agit de rappeler les bases légales et réglementaires de la décision -, en revanche les motifs de fait sont sans doute plus délicats à exposer. En effet, pour être recevable, cette motivation devra, tout en même temps, être précise, concrète et complète…

S’agissant de l’octroi de permis d’urbanisme et d’environnement, quelques sujets spécifiques méritent toute notre attention.

Le premier a trait à la prise en compte des réclamations valablement déposées durant l’enquête publique à laquelle la demande de permis a donné lieu : l’autorité devra y répondre. La motivation pourra néanmoins être succincte et globale.

Le deuxième concerne les avis donnés au cours de l’instruction du dossier : qu’il s’agisse d’avis simples ou conformes, obligatoires ou suscités, l’autorité délivrante devra expliquer en quoi elle en a – ou non – tenu compte dans sa décision et expliquer pourquoi elle s’en est, le cas échéant – et si elle le peut -, écarté. En matière d’urbanisme, ces avis sont souvent nombreux et circonstanciés (commission de concertation, fonctionnaire délégué, commission royale des monuments et des sites, instances consultatives diverses), ce qui rendra sans doute la tâche un peu plus longue, sinon fastidieuse. Mais il faut passer par là.

Les recours devant le Conseil d’Etat en matière de permis d’urbanisme et d’environnement sont en constante croissance, au point d’en devenir pratiquement un “sport national”.

Le troisième porte sur l’octroi des dérogations éventuelles à des plans ou règlements d’urbanisme : dès lors que s’écarter de la règle constitue une exception et non un principe, l’administration sera tenue de motiver les dérogations qu’elle accorde, et ce en tenant compte des objectifs généraux de la norme dont elle s’écarte. Même s’il n’y est pas légalement contraint, le demandeur sera bien inspiré d’exposer, dans son dossier, les raisons qui permettraient de justifier ces dérogations. Il sera tout aussi bien avisé de les identifier toutes car une dérogation non demandée ne peut, en principe, être accordée.

Le dernier sujet n’est autre que l’appréciation que l’autorité délivrante va porter sur le dossier dont elle est saisie : au-delà d’une réponse aux réclamations, aux avis et aux demandes de dérogation, l’auteur de la décision devra exprimer clairement sa conception du bon aménagement des lieux, c’est-à-dire de la correcte intégration du projet dans son environnement bâti. Il sera alors question de traiter des qualités architecturales, de la volumétrie générale, des jours et des vues chez les voisins, ou encore, sans être exhaustif, de l’ensoleillement, du stationnement en voirie et de la mobilité.

En toutes hypothèses, le Conseil d’Etat ne pourra substituer son appréciation à celle portée par l’administration. Il ne pourra censurer que les erreurs manifestes, étant celles que toute autorité normalement prudente, diligente et censée, n’aurait jamais pu commettre. Le contrôle juridictionnel opéré sur la motivation de la décision demeure donc marginal.

Par contre, la censure du juge trouvera à s’exercer à chaque fois que la motivation formelle sera absente, défaillante ou non adéquate – à l’instar des motifs ” passe-partout “. L’annulation de l’acte administratif ne sera cependant pas irrémédiable. S’agissant d’un manquement de nature ” formelle “, le permis pourra, en cas d’annulation, être aisément refait par son auteur qui aura, cette fois, soin de le motiver conformément au prescrit légal. C’est dire que les recours fondés sur la loi du 29 juillet 1991 ne sont pas si efficaces qu’ils pourraient le donner à penser…

Par Philippe Coenraets, avocat associé et chargé de cours à l’Ichec.

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