La bulle économique chinoise n’a pas encore éclaté

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Celui qui a misé gros sur l’effondrement de l’économie chinoise surendettée a fait un mauvais pari. Les fonds spéculatifs ont-ils mal interprété les signes avant-coureurs ou tout simplement réagi trop tôt ?

En 2009, au lendemain de la crise financière, un analyste de Kynikos Associates a fait un exposé sur la Chine devant les gestionnaires du fonds spéculatif dirigé par James Chanos. L’analyste a évalué que la Chine disposait à ce moment-là d’une superficie de 5,6 milliards de mètres carrés de bureaux.

Un chiffre si énorme – qui permettrait à chaque homme, femme et enfant du pays d’avoir un petit espace de bureau – que James Chanos a cru à une erreur de système métrique. Mais entendre de la bouche de l’analyste qu’il avait refait ses calculs lui a causé un véritable choc. Plus tard, il s’est souvenu avoir pensé : “Une telle opportunité ne se représentera plus”.

James Chanos s’est fait connaître en étant l’un des premiers à voir que la société américaine Enron n’était qu’un château de cartes et en misant tout sur la déroute de ce géant du secteur de l’énergie. Et le même James Chanos pensait avoir trouvé en Chine un nouveau gros poisson pour la vente à découvert (short selling selon l’expression consacrée à Wall Street). Il a donc commencé à parier sur la baisse des actions des entreprises qui seraient frappées de plein fouet si la Chine recevait une claque et n’a eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme sur les dangers qui guettaient l’économie chinoise, croulant sous une montagne de dettes.

“Pour dépister les bulles économiques au mieux, il faut se baser sur les excédents de crédits, pas sur les valorisations. La Chine remporte la palme des excédents de crédits”, affirme-t-il sur CNBC en décembre 2009. Une meute d’autres managers de fonds spéculatifs lui ont emboîté le pas peu de temps après, parmi lesquels Hugh Hendry de Eclectica Asset Management, Kyle Bass de Hayman Capital, John Burbank de Passport Capital et Crispin Odey de Odey Asset Management.

Volte-face

Faisons un bond dans le temps pour atterrir en 2018. Bien que l’économie chinoise n’enregistre plus de croissance à deux chiffres comme il y a dix ans et qu’elle ait été déstabilisée par des turbulences en 2015 et en 2016, l’agitation est toujours retombée très vite. Contrairement aux prévisions, on n’a pas assisté à l’implosion de la dette ni à la dévaluation de la monnaie. Le produit intérieur brut (PIB) chinois a progressé de 6,9 % en 2017, soit la plus belle hausse en deux ans.

L’année dernière a été particulièrement douloureuse pour celui qui avait parié sur la déroute de l’économie chinoise

“On a beaucoup poussé la vente à découvert en Chine. Or, c’était oublier que ce pays a la volonté mais aussi le portefeuille pour s’attaquer à ce genre de problèmes”, déclare Michael Gomez, gestionnaire de fonds chez Pimco. “C’est la raison pour laquelle on a pris un virage à 180 degrés.” Cette volte-face a incité de nombreux sceptiques à jeter l’éponge. Hugh Hendry s’est vu contraint de fermer son fonds l’année dernière. Mark Hart de Corriente Advisors a renoncé au short selling chinois en septembre, tandis que John Burbank a liquidé son meilleur fonds en décembre. James Chanos a reconnu n’avoir encore jamais aussi peu vendu à découvert en Chine.

L’année dernière a été particulièrement douloureuse pour celui qui avait parié sur la déroute de l’économie chinoise. Selon les chiffres de la société new-yorkaise S3 Partners, les vendeurs à découvert qui se sont attaqués aux entreprises chinoises cotées à Hong Kong ou sur le continent ont essuyé en 2017 plus de 35 milliards de dollars de pertes, soit près de la moitié de leur participation. Pourquoi les bears – les investisseurs qui anticipent une baisse – se sont-ils à ce point trompés sur la Chine ? Ont-ils mal compris le fonctionnement de l’économie chinoise ou tout simplement tenté leur chance trop tôt ? Pour le bien de l’économie mondiale, c’est l’une des questions cruciales auxquelles il faudra répondre en 2018.

Intenable

Certains représentants majeurs des bears ne se laissent pas effrayer par le très léger retard de croissance jusqu’à présent de la Chine. La plupart des investissements de Kynikos sur le recul de la Chine ont été largement payants, selon les dires de James Chanos. Et le gestionnaire de fonds spéculatif reste convaincu que l’économie chinoise court à sa perte. “Rien n’a changé”, explique James Chanos. “Le gouvernement chinois fait ce que font tous les gouvernements, il tourne autour du pot. Et dans le cas de la Chine, ce pot est gigantesque et déborde de dettes. J’ignore quand on va sonner la fin de la récréation, je sais juste que la situation est intenable.”

Le gouvernement chinois fait ce que font tous les gouvernements, il tourne autour du pot

Lors du congrès du parti communiste en octobre, le président chinois Xi Jinping a annoncé qu’une “nouvelle ère” s’ouvrait pour le pays. Il a exhorté ses collègues à continuer à travailler “inlassablement” pour concrétiser le “rêve chinois de la grande renaissance de la nation”. Ce rêve s’est déjà en grande partie réalisé. Il y a trente ans, le PIB de la Chine avoisinait les 250 milliards de dollars. Aujourd’hui, l’économie de la ville de Shenzhen représente à elle seule un tiers de plus. Le PIB du pays a atteint près de 12.000 milliards de dollars.

Mais la croissance de la Chine après la crise a été alimentée par la frénésie du crédit. Le rapport entre l’endettement et le PIB s’est nettement accentué ces dernières années pour s’établir à 256 %, selon la Banque des règlements internationaux. Les actifs du secteur bancaire chinois ont grimpé jusqu’à 310 % du PIB, contre encore 240 % il y a cinq ans. C’était la principale source d’inquiétude des fonds spéculatifs actifs en Chine, comme Hayman Capital Management dirigé par Kyle Bass.

Début 2016, il a démontré clairement pourquoi la Chine est “une bombe à retardement “. “La confiance inébranlable dans la capacité des Chinois à s’en sortir avec un déclin économique modéré en continuant à ouvrir les vannes du crédit nous replonge en 2006, à l’époque où on avait la conviction que les prix de l’immobilier aux États-Unis ne plongeraient jamais”, a-t-il écrit.

Pour Kyle Bass, la Chine devrait liquider ses réserves de devises étrangères afin de sauver le secteur financier gorgé de crédits toxiques. Une mesure qui forcerait le pays à déprécier sa monnaie, le renminbi. À ce moment-là, la Chine avait déjà contrarié les bourses en dévaluant le renminbi face au dollar. Les gestionnaires de fonds spéculatifs s’en étaient alors donné à coeur joie en pariant sur une dévaluation encore plus forte.

Un coup qui a semblé habile un certain temps. En 2015-2016, environ 1.000 milliards de dollars des réserves chinoises s’en est allé en fumée. Fin 2016, le renminbi avait cédé plus de 12 %, pour atteindre son niveau le plus bas en huit ans par rapport au dollar. Mais la Chine a tenu bon. Le renminbi est reparti à la hausse en 2017. Les réserves reprennent du poil de la bête et les adeptes du short selling ont été chassés.

Les rumeurs peuvent faire oublier facilement que la Chine repose sur un système d’économie planifiée, qu’elle est la seule responsable de toutes ses dettes et dispose d’une réserve de plusieurs milliers de milliards de dollars

Pour Mark Kingdon, un gestionnaire de fonds spéculatif chevronné en Chine depuis le début des années 80, de nombreux ours n’ont tout simplement pas eu la bonne intuition concernant ce pays. “Les rumeurs peuvent faire oublier facilement que la Chine repose sur un système d’économie planifiée, qu’elle est la seule responsable de toutes ses dettes et dispose d’une réserve de plusieurs milliers de milliards de dollars”, déclare le directeur de Kingdon Capital Management. “Ce que ce pays a réussi à accomplir est stupéfiant.”

Certains éléments indiquent que les autorités commencent à reprendre le contrôle du surendettement du pays. Morgan Stanley estime que le rapport entre la dette publique et le PIB en Chine a à peine augmenté de 4 points de pourcentage au cours des neuf premiers mois de 2017, soit une “amélioration notable” en comparaison de la hausse de 42 points de pourcentage en 2015-2016. Mais les facteurs qui alarment les pessimistes ne se sont pas évaporés. Le FMI a récemment mis la Chine en garde contre “l’ampleur, la complexité et la rapidité de la croissance du système financier chinois qui font apparaître des risques accrus pour la stabilité financière”.

Secteur bancaire parallèle

L’année dernière, lors des préparatifs du congrès du parti, Pékin a présenté “un train de mesures visant à réglementer” le secteur bancaire parallèle, qui octroie des prêts en dehors des pratiques bancaires réglementées. La possibilité selon laquelle ces mesures puissent devenir plus limitatives et mettre la croissance en péril a suscité le mois dernier pas mal d’inquiétude sur les bourses chinoises.

Le tapis roulant qui mène à l’enfer n’est pas encore à l’arrêt, le pays continue à investir.

“Les effets pervers des agissements du monde financier auraient dû être traités bien plus tôt”, affirme Arjun Divecha, président et responsable des marchés émergents chez GMO, un gestionnaire de portefeuille de Boston. Il compare l’économie chinoise à une forêt qui aurait été trop vite envahie par les broussailles (comprenez : le secteur bancaire parallèle). “Il faut brûler ces broussailles sans abîmer les arbres. Le risque de dégâts persiste, mais la Chine a les moyens de les réparer”, estime-t-il.

Kyle Bass de Hayman semble déterminé à camper sur “ses positions à découvert”. Le 29 décembre, il a twitté un article de Reuters consacré au secteur bancaire parallèle en Chine et a qualifié celui-ci de “catastrophe financière complète”. James Chanos affirme que Pékin ne veut prendre aucune mesure qui pourrait mener à un recul significatif et ébranler dès lors la puissance du parti communiste. “Le tapis roulant qui mène à l’enfer n’est pas encore à l’arrêt, le pays continue à investir”, déclare James Chanos. “Quand il ralentira, l’économie vacillera et la Chine s’affaiblira.”

Remontée de la bourse

En ce moment, les gestionnaires traversent la plus longue période de croissance généralisée depuis des années, ce qui attise une embellie boursière mondiale. Le bond en arrière de la Chine a joué ici un rôle important et la plupart des gestionnaires s’attendent à ce que cette situation perdure un certain temps.

Michael Gomez déclare que Pimco “investit énormément de temps” dans l’évaluation de la Chine. La société d’investissement s’y rend chaque mois pour analyser la situation financière du pays. Et bien que tout danger ne soit pas écarté, Michael Gomez estime que les autorités ont en grande partie bien relevé les défis. “Nous restons sur nos gardes. Mais pour l’instant nous estimons que les problèmes sont sous contrôle”, dit-il.

Les ours prétendent néanmoins qu’il n’y a guère de raisons de se réjouir à long terme. Patrick Chovanec, principal stratège chez Silvercrest Asset Management, affirme que la Chine a tenu le coup bien plus longtemps qu’il ne s’y attendait, au prix de dettes “colossales”. Il ajoute : “Si vous souffrez d’un cancer et que votre médecin vous annonce qu’il ne vous reste que trois mois et que vous vivez plus longtemps, cela ne signifie pas que vous serez guéri. Vous n’allez donc pas courir à son cabinet pour vous moquer de lui et lui dire qu’il s’est trompé.”

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