Les Bourses en pleine exubérance

Les diverses "unes" de la presse parisienne et internationale sont accrochées à la grille de la Bourse de Paris le 20 octobre 1987, au lendemain du krach boursier qui a secoué les marchés financiers du monde entier. © BELGA IMAGE

Bénéfices qui ne suivent pas, baisses d’impôts incertaines, incertitudes géopolitiques aux 4 coins du monde. Les Bourses ignorent tous les dangers et toutes les mises en garde, dont la dernière de Richard Thaler. Le récent lauréat du Nobel d’Économie ne cache pas sa ” nervosité ” face à l’enchaînement des records en Bourse.

En hausse ininterrompue depuis mars 2009, Wall Street connait déjà le second marché haussier le plus long et le plus fort de son histoire. La progression s’est même accélérée depuis la victoire électorale de Donald Trump en novembre dernier avec 11 mois consécutifs de hausse, et probablement un 12e en octobre, ce qui égalerait les plus longues séries du genre. L’euphorie ne s’arrête pas aux États-Unis, l’indice des bourses mondiales enchaînant également les records et un 11e mois de hausse consécutif.

Risques politiques et géopolitiques

Pour expliquer cette envolée, les spécialistes évoquent notamment les promesses de baisses d’impôts de Donald Trump. Force est toutefois de constater que le Président américain n’est jusqu’à présent parvenu à faire aboutir aucun projet de réforme. Près de 7 gestionnaires de fonds sur 10 interrogés par Bank of America s’attendent ainsi à des baisses d’impôts limitées en 2018, ayant peu d’impact sur les résultats agrégés des entreprises cotées. Même scepticisme de la part de Richard Thaler, lauréat du dernier Nobel d’Économie – Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel pour les puristes. Il avoue même ne pas trop comprendre la progression ininterrompue des marchés. “Nous connaissons actuellement la période la plus chahutée de nos vies et pourtant le marché boursier semble faire la sieste”. Klaas Knot, Président de la banque centrale néerlandaise et membre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, a explicitement évoqué le risque d’une “correction majeure”. “Bien que nous soyons aujourd’hui confrontés à des crises politiques majeures – la Catalogne, le Brexit, la Corée du Nord et la dispute diplomatique entre la Turquie et les Etats-Unis – l’indice de volatilité est fixé à un niveau historiquement bas. Cela ne présage rien de bon.”

Des bénéfices imaginaires

La seconde justification des records en Bourse tient à l’accélération de l’économie mondiale et à la croissance des bénéfices. Sur Wall Street, les profits des entreprises du S&P 500 demeurent pourtant toujours inférieurs à ce qu’ils étaient en 2014. Wolf Richter de Wolf Street épinglait également le mois dernier que la prévision de bénéfices pour les 12 prochains mois des entreprises membres de l’indice mondial MSCI All Countries demeure inférieure à ce qu’elle était mi-2008, en tenant compte de plus de chiffres ajustés qui servent de référence en Bourse. La plupart des analystes admettent pourtant que ces chiffres ajustés enjolivent la réalité. Le gendarme boursier américain a questionné 529 entreprises sur leurs pratiques en la matière l’année dernière mais avec peu d’effets puisque seuls 16 ont adapté leurs publications. L’écart peut pourtant être considérable. En 2015, les bénéfices des entreprises du S&P 500 étaient ainsi 22% inférieurs suivant les normes comptables réglementaires, les chiffres ajustés étant déterminés suivant des normes comptables propres à l’entreprise.

Risques sur la conjoncture

Les perspectives d’évolution des profits demeurent également mitigées alors que les analystes sont actuellement plutôt confiants, tablant notamment sur une hausse de 13% des profits pour les entreprises du S&P 500. Cela suppose toutefois une réduction de l’ardoise fiscale et une bonne tenue de l’économie mondiale. Cette seconde condition se vérifie actuellement mais les dangers sont nombreux allant de l’accumulation de dettes par la Chine, aux tensions géopolitiques en passant par le Brexit ou le protectionnisme de plusieurs dirigeants comme Donald Trump. Ce dernier a ainsi déjà ciblé l’acier, le bois, les avions de ligne et les panneaux solaires.

Valorisation extrêmement tendue

Difficile dans ces conditions de se montrer pleinement confiant dans une envolée des profits des entreprises, seule façon pourtant de justifier la valorisation actuelle des Bourses. Robert Shiller a d’ailleurs également tiré la sonnette d’alarme. Nobel d’Économie 2013 et auteur du célèbre ouvrage “Exubérance irrationnelle” juste avant l’éclatement de la bulle technologique, il a également développé le CAPE ratio, soit un rapport cours/bénéfices sur 10 ans permettant normalement d’éliminer l’impact des cycles économiques. Ce ratio est désormais proche de 32, un niveau comparable aux plus hauts de 1929 et qui n’a été dépassé que durant la bulle technologique.

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