Lire la chronique de Thierry Afschrift

“Qui va tuer le bitcoin ?”

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Le bitcoin et les autres cryptomonnaies connaissent un succès fulgurant. Elles sont plébicitées par un nombre de plus en plus important d’investisseurs, d’épargnants ou de spéculateurs. Leur cours, quoique très volatil, a augmenté dans des proportions inouïes jusqu’à un déclin prévisible, pour le bitcoin, au cours des dernières semaines.

Pourtant, le moins qu’on puisse dire est que ces monnaies virtuelles n’ont qu’une utilité anecdotique en tant que mode de paiement. Elles sont utilisées, certes, sur un marché marginal et par quelques entreprises qui se veulent innovantes. Mais il est clair que personne n’achète des bitcoins pour procéder facilement à des paiements courants.

Cela vaut d’ailleurs aux monnaies virtuelles des critiques qui relèvent du prétexte. On les accuse d’être utilisées, entre autres, par des criminels, par des blanchisseurs d’argent, voire même par des terroristes. Ces critiques sont injustes : il est probable qu’il existe des terroristes qui boivent de l’eau gazeuse et mangent des frites, et cela n’est pas une raison pour condamner ces produits. Il existera toujours des moyens de paiement pour des personnes qui veulent que leurs transactions ne soient pas détectées, sans qu’il s’agisse d’ailleurs nécessairement d’auteurs d’actes répréhensibles.

Ce qui attire les investisseurs, et qui, pour la même raison, dérange les autorités, c’est précisément que le bitcoin et les autres monnaies virtuelles ne dépendent pas d’autorités publiques, ne sont pas régulées par celles-ci, et peuvent faire l’objet d’une utilisation libre. L’euro et le dollar, comme toutes les autres monnaies, sont émises par des entités publiques, qui, malgré leur indépendance formelle, dépendent des Etats, qui en désignent les dirigeants. Leur politique vise davantage à défendre les Etats que les citoyens, dont les intérêts ne sont d’ailleurs jamais communs. Ainsi, l’émission massive d’euros et de dollars, au cours des dernières années, par le recours au crédit bon marché favorise évidemment les plus gros débiteurs, que sont les Etats : ceux-ci ont besoin de taux d’intérêt très bas pour éviter l’insolvabilité.

Lorsque l’avantage recherché par les acquéreurs de cryptomonnaies est précisément l’absence de contrôle, il suffit d’introduire des mesures de régulation pour faire chuter les cours.

Face à ces monnaies étatiques, ou supra-étatiques, les cryptomonnaies présentent l’avantage indéniable de ne dépendre que de l’évolution du marché. Mais il est à craindre que les Etats reprennent les choses en main. Déjà, aux Etats-Unis, le fisc a exigé de certains intermédiaires de connaître l’identité de nombreux intervenants ayant acquis ou vendu des bitcoins : il brise ainsi l’anonymat attendu de ces cryptomonnaies. D’autres pays, à commencer par la Corée du Sud et la Russie, ont déjà annoncé l’arrivée probable de mesures de régulation. Cette seule annonce, non encore accompagnée de dispositions effectives, a suffi pour entraîner une baisse importante du cours du bitcoin. Les Etats semblent malheureusement avoir compris que, dès le moment où ces cryptomonnaies sont régulées, elles intéressent beaucoup moins l’investisseur, qui les recherche précisément parce que leur cours n’est pas compromis par des mesures prises par les Etats.

Le prétexte utilisé est facile : comme le cours des cryptomonnaies est très volatil, il suffit d’affirmer que l’on veut protéger l’épargnant, sur la base de l’axiome suivant lequel des bureaucrates savent mieux que les épargnants eux-mêmes comment éviter les risques inhérents à tout investissement. Comme si les épargnants qui achètent des bitcoins en ignoraient les risques …

Lorsque l’avantage recherché par les acquéreurs de cryptomonnaies est précisément l’absence de contrôle, il suffit d’introduire des mesures de régulation pour faire chuter les cours et casser l’intérêt que présente ce type d’investissement.

Tout cela répond bien à une attitude constante de tous les gouvernements et de nombre de leurs suiveurs. Ces gens ne peuvent pas supporter qu’il existe une activité humaine qui ne soit pas réglementée, régulée ou taxée, d’une manière ou d’une autre. Lorsque cela existe, temporairement, ils appellent cela un ” vide juridique “. Il est pourtant dommage qu’il n’existe pas plus de ” vides ” de ce type : le vide juridique, c’est la liberté.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content