Le Congo, nouveau terrain de jeu des assureurs

La libéralisation du secteur des assurances, un des grands chantiers économiques du président Tshisekedi. © Belgaimage
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Encouragée par le nouveau président Félix Tshisekedi, la libéralisation du secteur des assurances en RDC attire de nouveaux acteurs, dont certains bénéficient du savoir-faire de spécialistes belges.

Voici quelques jours, le nouveau président congolais Félix Tshisekedi, fils de l’opposant historique de la République démocratique du Congo (RDC), Etienne Tshisekedi, était en visite officielle en Belgique. Une première pour le successeur de Joseph Kabila, dont le déplacement chez nous avait pour objectif de normaliser les relations entre Kinshasa et Bruxelles après les remous créés en début d’année par une élection présidentielle pour le moins chahutée.

Au programme de ce voyage officiel figuraient bien évidemment des rencontres diplomatiques mais aussi économiques. But : rassurer non seulement les décideurs politiques mais aussi le monde des affaires.

La fin d’un monopole

Plusieurs grandes réformes sont en effet soutenues par le nouveau président afin d’améliorer le climat des affaires en RDC, comme nous l’explique Valéry Safarian, associé dans un bureau de courtage international en Belgique et conseiller du board de la SFA (Société financière d’assurance), société d’assurance congolaise. Outre la rénovation de toutes les infrastructures routières et la réalisation d’un grand plan numérique, figure également la libéralisation du secteur des assurances. ” Celle-ci est officielle depuis 2016, mais la mise en place de la réglementation a été retardée à cause du processus électoral, précise Valéry Safarian. Le gouvernement précédent avait probablement d’autres priorités, à savoir organiser et budgétiser les élections. Mais conscient des enjeux, le nouveau président Félix Tshisekedi n’a absolument pas bloqué cette première grande réforme initiée par le précédent président. Au contraire, il l’a même accélérée et finalisée dès le démarrage de sa présidence en appuyant les réformes initiées par l’Arca (Autorité de régulation et de contrôle des assurances). ” Cette libéralisation est donc effective depuis le 28 mars dernier suite à l’octroi des licences à quatre compagnies d’assurance.

Cette nouvelle dynamique a de quoi aussi profiter aux divers sous-métiers de l’assurance comme le support IT ou l’actuariat.

Après plus de 50 ans de monopole étatique, le marché congolais de l’assurance s’ouvre donc enfin au privé. Fini les courtiers sans licence qui opèrent de manière clandestine. Fini aussi la rente d’Etat confiée à la Sonas (Société nationale d’assurance, 2.000 employés), qui était jusqu’ici en même temps l’unique assureur et le régulateur du marché.

” De trop malheureuses expériences et des soucis parfois dans l’indemnisation des sinistres ont amené à changer les règles du jeu et à mettre sur pied un véritable cadre régulatoire, poursuit Valéry Safarian. On ne parle plus de prime payée à fonds perdus. S’assurer, c’est désormais la possibilité pour les entreprises actives au Congo de pérenniser leurs activités en se couvrant par exemple contre le risque d’incendie ou de catastrophes naturelles, voire contre les risques politiques. C’est comme cela qu’un secteur tel que celui de l’assurance peut jouer un rôle important et utile dans la stabilité économique d’un pays comme le Congo “, plaide le conseiller belge.

Huit nouveaux acteurs

En fait de stabilité, les assurés peuvent désormais compter sur un régulateur digne de ce nom, l’Arca. ” Après 52 ans de monopole, c’est-à-dire de prime d’assurance perçue comme une taxe doublée d’une évasion des primes à l’étranger, il faut inverser les mentalités afin d’acquérir une nouvelle culture d’assurances, plaide Alain Kaninda, directeur général de l’Arca. Désormais, il est totalement interdit de souscrire une assurance directe à l’étranger pour un risque localisé en RDC ou auprès d’un opérateur non agréé par l’Arca. Nos objectifs stratégiques visent à ce que les opérateurs apportent une plus-value dans le développement du marché congolais des assurances, à lutter contre les opérateurs illégaux et la fraude afin d’assainir le marché et garantir la rétention des primes en RDC pour mobiliser des recettes, des retombées économiques et fiscales pour l’Etat. Et cela, tout en faisant la promotion des métiers d’assurances afin de renforcer la classe moyenne congolaise. Sans oublier de proposer des produits adaptés à la population à faibles revenus ou dans les zones reculées. Bref, le secteur de l’assurance doit jouer son rôle d’intermédiation financière pourvoyeuse de ressources de financement à long terme. ”

En plus de la Sonas qui appartient à l’Etat, huit acteurs sont aujourd’hui autorisés à opérer sur le marché congolais. Le 28 mars dernier, l’Arca a en effet décerné huit premiers agréments. Huit précieux sésames qui ont ainsi été délivrés à quatre compagnies d’assurance d’une part, et à quatre sociétés de courtage d’autre part. Pour les compagnies proprement dites, il s’agit d’Activa Assurances, de Rawsur et de la SFA, qui ont obtenu une autorisation pour opérer sur le terrain de l’assurance IARD (non-vie) tandis que Rawsur Life est autorisée à déployer ses services sur le segment de l’assurance-vie. Quant à Gras Savoye, AIB, Ascoma et Okapi, ils sont reconnus par l’Arca comme courtiers.

Avec une population de plus de 80 millions d’habitants, le marché présente en effet de belles perspectives ( lire l’encadré : ” Un potentiel de 5 milliards de dollars “). ” Le potentiel est évident, assure Baraka Kabemba associé chez EY, en charge du business consulting sur l’Afrique centrale, surtout dans un contexte global et régional en pleine mutation. Nous vivons une révolution technologique sans précédent, où les questions de climat, de transition énergétique, de mouvements de populations, de besoins en infrastructures et solutions énergétiques innovantes et durables, se posent au quotidien. La RDC a un rôle central à jouer, de part sa position géographique, ses richesses, tant en ressources qu’en capital humain. Le chemin de la croissance, du développement et de la modernisation du pays devient inévitable pour les grands équilibres géopolitiques et géostratégiques. Et cela ne peut pas se faire sans un secteur des assurances fort et prospère, c’est incontournable ! ”

Expertise belge

Dans ce contexte, certains grands réassureurs mondiaux ont choisi de réinvestir le marché. ” Un marché dont ils s’étaient retirés, n’ayant plus confiance dans le système en place avant la libéralisation, rappelle Valéry Safarian. C’est ainsi que Scor, qui n’avait plus pris une part active dans un quelconque traité d’assurance impliquant des risques en RDC depuis plus de 30 ans, a décidé d’intervenir à nouveau au Congo à travers un partenariat avec la SFA. Tout cela devrait se traduire par une meilleure qualité de service et des tarifs en matière de primes beaucoup plus attractives, dont profiteront aussi les entreprises belges actives en RDC. ”

” Notons enfin que cette nouvelle dynamique a de quoi aussi profiter aux divers sous-métiers de l’assurance comme le support IT ou l’actuariat, sachant qu’aucune base statistique exploitable par un assureur n’existe à ce jour en RDC et que la Belgique a toujours été très forte dans ce domaine “, conclut Valéry Safarian.

Un potentiel de 5 milliards de dollars

Le marché congolais des assurances est aujourd’hui estimé à environ 80 millions de dollars en volume de primes. Soit, d’après les chiffres officiels de la Sonas, un taux de pénétration de moins de 0,5 % (volume des primes par rapport au PIB du pays). Et cela, uniquement sur la partie non-vie, jusque-là exploitée par la Sonas, la partie vie étant pour le moment quasi inexistante. Certaines projections font dès lors état d’un potentiel pour le marché congolais des assurances à hauteur de 5 milliards de dollars sur les 10 prochaines années.

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