Les nouveaux défis des assureurs à l’heure de l’économie collaborative

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A l’heure où les particuliers se rendent de plus en plus de services au travers des plateformes d’économie collaborative, les notations entre utilisateurs ne suffisent pas toujours pour maintenir la confiance. La plupart des plateformes mettent en avant des assurances grâce à des partenariats avec les assureurs, eux-mêmes poussés dans le dos à embrasser le phénomène collaboratif.

Martine a demandé à un particulier de lui repeindre son salon. Tout s’est bien passé et heureusement, il n’a pas abîmé son plancher récemment installé. De son côté, Christine fait pour le moment confiance à Christian pour la conduire grâce à BlablaCar vers Paris. Elle espère que la vieille voiture de Christian ne tombera pas en panne et qu’il est prudent au volant. Le développement de l’économie collaborative, celle qui permet à un particulier en dehors de tout statut professionnel de proposer des services à d’autres particuliers, touche de multiples secteurs (mobilité, cuisine, petits travaux, etc.). Mais dans tous les cas, elle repose sur un élément fondamental : la confiance. Les clients doivent en effet avoir confiance dans les prestataires amateurs qui mettent leur temps, leurs compétences ou leurs biens à disposition. Et inversement pour certains services.

Axa a noué des partenariats avec BlaBlaCar pour proposer une couverture de prêt de volant dans le cadre du covoiturage.
Axa a noué des partenariats avec BlaBlaCar pour proposer une couverture de prêt de volant dans le cadre du covoiturage.© PG

Toutes les plateformes permettent à leurs utilisateurs de se noter les uns des autres. Le système joue son rôle et doit séparer le bon grain de l’ivraie. Mais visiblement, cela ne suffit pas. En octobre, une location de voiture via le site CarAmigo a mal tourné, comme l’a récemment révélé la RTBF : le locataire n’a jamais remis le véhicule et a disparu dans la nature sans donner signe de vie… Le hic, c’est que le propriétaire amateur avait accepté la location sur base d’une photocopie du permis de conduire et non sur base du permis original. Or, pour bénéficier de la couverture d’assurance mise à disposition par CarAmigo en partenariat avec l’assureur Ardenne Prevoyante, ” une série de conditions sont énumérées, en particulier dans le chef du propriétaire de la voiture lors de la remise des clés, explique Alex Gaschard, fondateur de CarAmigo. Et notamment, de ne donner les clés du véhicule qu’après avoir vérifié un original du permis de conduire. ” L’assurance n’a pas encore statué sur le cas, mais il y a un risque réel qu’elle refuse de couvrir le vol de ce véhicule.

Ce fait divers illustre, probablement aux dépens du propriétaire, les dangers potentiels de l’économie collaborative mais aussi les défis du monde de l’assurance face à ce mouvement de fond. ” La consommation et la production collaborative viennent bousculer les modèles économiques traditionnels et les besoins en assurance sous-jacents, soulignait déjà dans une note en 2015, Anne Douang, consultante FSI chez Deloitte Consulting France. L’assurance joue un rôle essentiel dans le développement de ces nouveaux modèles économiques, notamment parce que sa carence peut bloquer l’exercice d’une activité. ” Et d’ailleurs, Alex Gaschard, fondateur de CarAmigo, nous expliquait déjà en novembre de l’année passée que le développement de sa plateforme ne pouvait se faire qu’à la condition de disposer d’un partenaire assureur dans chaque pays où il lance CarAmigo.

Seulement voilà, l’univers de l’assurance, en Belgique notamment, dispose d’un cadre réglementaire strict. Et le secteur n’occupe pas forcément les premières loges quand il s’agit d’innover. Pourtant, les assureurs sont conscients que ” l’économie collaborative représente de réelles opportunités, car il s’agit d’un nouveau mode de consommation en plein développement, souligne David Destappes, directeur des offres et du pricing pour le Groupe P&V. Mais, cela peut aussi représenter un danger si l’on n’y est pas. On risquerait de perdre une partie du marché, en croissance, de l’économie collaborative. ”

Un euro par babysitting

Il faut dire aussi que la sharing economy constitue un excellent laboratoire à l’heure où le monde de l’assurance doit comprendre et intégrer l’évolution numérique et tous les nouveaux usages qui se développent. A commencer par des couvertures à la demande pour de courtes durées.

Sur l’ensemble des plateformes d’économie collaborative, les utilisateurs ont recours à des biens ou des services de manière très ponctuelle. Ils louent une voiture pour quelques heures ou une maison pour quelques jours seulement. Ils font appel à un jardinier pour une mission bien précise ou cuisinent occasionnellement pour leurs voisins.

Au début du mois de décembre, l’application de babysitting Bsit a d’ailleurs réalisé une première étape dans cette voie, en collaboration avec l’assureur CHUBB. ” Nous proposons, à la demande, une assurance complémentaire, à 1 euro par babysitting, qui couvre les accidents des enfants et de la babysitter, y compris sur la route”, détaille Dimitri De Boose, CEO de Bsit. Cette couverture de 1.000 euros sans franchise s’ajoute à l’assurance ” gens de maison ” mais ne la remplace pas.

Bsit propose une assurance à 1 euro, qui s'ajoute à l'assurance
Bsit propose une assurance à 1 euro, qui s’ajoute à l’assurance “gens de maison”.© ISTOCK

Avant d’arriver à proposer cette assurance, la jeune pousse a passé plusieurs mois à trouver un partenaire assureur puis, avec son courtier Sébastien Van Ingelgem, à mettre en place la couverture avec CHUBB. Celle-ci, forte de sa présence internationale, pourra par la suite décliner cette couverture dans d’autres pays où la start-up s’implanterait.

Assurer l’intoxication alimentaire

Ce type de partenariat tend à se multiplier entre les plateformes collaboratives et les assureurs. ” Au début, on avait un mal fou à trouver une assurance, admet Alex Gaschard de CarAmigo. Mais les choses ont bien changé et maintenant ce sont les assureurs qui nous courtisent. ” D’ailleurs, on observe une réelle tendance de ” co-création ” de couverture pour mettre sur pied des solutions innovantes.

Au début, on avait un mal fou à trouver une assurance, mais les choses ont bien changé et maintenant, ce sont les assureurs qui nous courtisent.” Alex Gaschard, CarAmigo

Ainsi, Axa a déjà noué des partenariats avec BlaBlaCar au niveau européen pour ” proposer une couverture totalement unique de prêt de volant dans le cadre du covoiturage, insiste Christiaan Serty, partnerships development manager chez Axa Belgium. Cela n’existe nulle part ailleurs et il s’agit d’un risque tout à fait propre au phénomène du covoiturage. ” L’assureur a déjà noué d’autres partenariats, notamment avec Motiontribe, jeune start-up belge qui permet la location de matériel photo et vidéo entre professionnels. Et en 2017, Axa révélera les détails d’un deal avec Kowo, une start-up bruxelloise de covoiturage entre employés.

Chaque plateforme dispose de son partenaire assureur. Menu Next Door travaille avec Allianz. ” Tous les chefs Menu Next Door sont couverts en responsabilité civile pour chaque menu qu’ils proposent sur la plateforme, insiste Mathieu Gillet, CFO de la start-up. Pour faire part du cas qui serait le plus probable, l’intoxication alimentaire, le chef est couvert contre les dommages et intérêts que pourraient réclamer les clients. Mais cela peut aussi couvrir le chef en cas de dommage environnemental (causé de manière involontaire évidemment), accidents matériels, défense juridique, etc. ”

Partir d’une feuille blanche

Reste que ce type de partenariat n’a rien de simple. Outre le rythme effréné des start-up auquel ont parfois du mal à s’adapter les acteurs traditionnels de l’assurance, les usages qu’impose l’économie collaborative n’entrent dans aucune case vraiment connue.

Chez Menu Next Door, les chefs sont couverts contre les dommages et intérêts en cas d'intoxication alimentaire.
Chez Menu Next Door, les chefs sont couverts contre les dommages et intérêts en cas d’intoxication alimentaire.© DR

Pour les assureurs, élaborer une offre pour un service d’économie collaborative revient à repenser totalement certaines de leurs pratiques. ” On n’assure pas ces pratiques collaboratives comme un risque classique, insiste David Destappes. Nos offres et tarifications habituelles ne sont pas adaptées à ces nouveaux usages. Il faut adapter nos méthodologies et revoir les données sur lesquelles se baser pour appréhender ce type de risques. C’est un défi dans lequel nous nous inscrivons pleinement. ”

Tendance sociétale

Même son de cloche chez Axa : ” Sur ce créneau, nous ne disposons d’aucune base statistique sur laquelle nous appuyer et nous devons travailler avec des hypothèses, détaille Christiaan Serty. Et le cadre législatif relatif à l’assurance est très serré. On ne peut pas improviser une couverture et le processus de création d’une garantie prend des mois. ” Chez Axa, une petite équipe spécialisée dans les nouveaux partenariats s’est mise en place. Elle étudie, entre autres, ce marché de l’économie collaborative. ” Même si aujourd’hui, ce n’est pas là que l’on réalise du chiffre, car le marché demeure restreint, soutient Christiaan Serty, il s’agit d’une tendance sociétale et d’un secteur dans lequel on veut être. ” En France, certains assureurs plongent de plain-pied dans le phénomène et vont même, comme la MAIF, jusqu’à prendre des participations dans des start-up de l’économie collaborative.

Mais si assureurs et entrepreneurs du numérique avancent de concert pour permettre aux utilisateurs de cette nouvelle économie d’avoir l’esprit tranquille, l’étendue de la protection pose de vraies questions. Le cas du vol d’un véhicule au travers de la plateforme CarAmigo illustre la prudence à adopter par rapport à ce qui n’est pas couvert, ce qui l’est et à quelles conditions.

” Les utilisateurs ne lisent généralement pas toutes les conditions générales, constate Patrick Cauwert, CEO de Feprabel, la fédération des courtiers en assurances et des intermédiaires financiers de Belgique. Et s’ils le font, ils ne les comprennent pas toujours bien. Ils ont souvent l’impression que tout est couvert par la plateforme, mais dans la plupart des cas, il s’agit d’une modification du risque de leur propre assurance. Il vaut toujours mieux se renseigner auprès de son courtier ou de son assureur. ” Car c’est toujours en cas d’incident que l’on se rend effectivement compte de ce que l’assurance couvre réellement… ou pas.

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