“Certains banquiers mériteraient d’être traînés devant les tribunaux”

© PAT VERBRUGGEN
Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Le marché immobilier belge a été quelque peu déstabilisé ces derniers mois, en raison surtout de la crise du Covid-19. John Romain, fondateur et directeur d’Immotheker Finotheker, s’inquiète pour les jeunes désireux d’emprunter pour financer un premier achat.

Ces derniers mois, les banques ont accordé un sursis de paiement sur 122.393 crédits logement. Ils représentent un montant moyen à rembourser d’un peu plus de 105.000 euros. Ce sursis a d’abord été accordé pour un maximum de six mois mais pourra, sous certaines conditions, être prolongé jusqu’à la fin de l’année à partir de septembre. Fin avril, un mois et demi après l’annonce du confinement, 90.000 particuliers s’étaient déjà adressés à leur banque pour suspendre les remboursements mensuels de leurs crédits hypothécaires.

John Romain, le fondateur et directeur d’Immotheker Finotheker, dénonce depuis longtemps la charge d’emprunt trop élevée pour de nombreux ménages – le rapport entre les remboursements mensuels de capital et les intérêts d’une part, leur revenu mensuel d’autre part. Il y voit une conséquence directe de la politique des banques et de leur organe de surveillance, la Banque nationale de Belgique.

TRENDS-TENDANCES. Avez-vous été effrayé de voir tant de Belges demander si rapidement un sursis de paiement ?

JOHN ROMAIN. Un ménage qui consacre plus de 40% de ses revenus annuels au remboursement de son emprunt n’a plus aucune capacité d’épargne. Les banquiers qui ont autorisé leurs clients à supporter une telle charge d’emprunt mériteraient d’être traînés devant les tribunaux. Si des ménages sont déjà confrontés à des problèmes de remboursement après un mois sans revenus, c’est qu’ils ont mal été conseillés par leur banquier -voire n’ont pas été conseillés du tout. Certains sont sans revenus depuis quatre mois, et cette situation pourrait encore durer plusieurs mois. Un tel événement est imprévisible.

Si des ménages sont déjà confrontés à des problèmes de remboursement après un mois sans revenus, c’est qu’ils ont mal été conseillés par leur banquier – voire n’ont pas été conseillés du tout.

Vous avez déjà annoncé que le raccourcissement des échéances des emprunts hypothécaires ces dernières années avait réduit la capacité d’épargne des ménages. Vous plaidez pour une assurance- crédit pour les jeunes ménages.

Auparavant, on conseillait de conserver trois à six mois de salaire en réserve sur son compte d’épargne. Aujourd’hui, les jeunes ne parviennent plus à se constituer un tel matelas. Comme les nouvelles normes leur interdisent d’emprunter plus de 90% du prix d’achat, ils sont contraints d’investir la totalité de leurs économies dans leur habitation. La Banque nationale estime que le marché immobilier belge est en surchauffe. Depuis des années, les banques incitent leurs clients à opter pour l’échéance la plus courte possible, ce qui oblige les consommateurs à rembourser davantage chaque mois pour un même montant emprunté. Cela ne favorise pas la santé financière des clients.

Depuis cette année, l’organe de surveillance interdit aux banques belges d’octroyer trop de crédits dont le montant dépasse 90% de la valeur de l’immobilier. A peine 35% des Belges qui achètent leur premier bien immobilier peuvent encore obtenir une quotité de plus de 90%. Et ils ne sont que 5% à pouvoir emprunter 105% du prix d’achat. Chez les investisseurs immobiliers, la norme est de 80%, et l’organe de surveillance autorise un écart de 10%. Auparavant, il était possible d’emprunter jusqu’à 115% de la valeur de sa maison.

La ministre flamande des Finances Lydia Peeters (Open Vld) a proposé aux institutions financières d’accepter une assurance-crédit pour les ménages qui ne parviennent pas à mettre 10% d’apport propre sur la table. En cas de défaut de paiement, c’est alors la compagnie d’assurances qui prend en charge le remboursement. Cette proposition a disparu dans un tiroir. Pourtant, toutes les parties concernées savent que le prix total d’une assurance-crédit est nettement plus faible que les suppléments que facturent les banques aux emprunteurs ( ceux qui empruntent selon une quotité élevée se voient imposer des taux d’intérêt à l’avenant, Ndlr). Si nous ne faisons rien, les jeunes n’auront aucune solution et il y aura moins de propriétaires à l’avenir.

On s’est mis à proposer des prix fous sous enveloppe fermée parce que tout le monde se jetait sur les habitations mises sur le marché.

Les banques facturent un supplément de 0,8 à 1,65 point de pourcentage aux acheteurs qui veulent une quotité de plus de 90%. Est-ce excessif ?

Les fournisseurs de crédit ont accru leurs marges bénéficiaires l’an dernier. Ils ne répercutent que très peu la forte baisse des taux belges. Entre début 2019 et le 6 juillet 2020, le taux des obligations publiques belges à 25 ans a baissé de 1,18 point de pourcentage. Cette forte baisse se traduit en un recul des taux hypothécaires de seulement 0,21 point de pourcentage. Et il faut y ajouter le supplément d’intérêt de 1 à 1,65%. Cette augmentation du taux des crédits logement pénalise surtout les jeunes qui ont moins de fonds propres et veulent acheter une habitation de 200.000 à 300.000 euros.

Selon mes estimations, 40 à 45% des emprunteurs pourraient encore refinancer leur crédit logement. Les intérêts sont historiquement bas. Cela vaut la peine de faire au moins l’analyse. Négocier un taux plus bas avec la banque doit devenir structurel. Cela permet de se créer des marges de manoeuvre financières en abaissant le montant des mensualités. Et si vous n’avez pas besoins de ces marges, vous pouvez réduire l’échéance du prêt. Vous devez cependant refinancer votre emprunt avant de perdre votre emploi, sans quoi vous vous trouvez dans une position de négociation plus faible.

Y a-t-il des banques qui n’accordent plus de crédits logement aux ménages qui mettent moins de 10% du prix d’achat de l’habitation sur la table ?

Oui. Plusieurs banques refusent. Par conséquent, les emprunteurs qui n’ont pas reçu d’argent de leurs parents se retrouvent tous auprès des mêmes banques. Et ces banques atteignent très rapidement leur quota de 35%. Je trouve que l’organe de surveillance devrait obliger les banques à accorder des prêts selon une quotité supérieure à 90% et des prêts selon une quotité inférieure à 90%.

On attache trop d’importance au ratio loan-to-value, le rapport entre le montant emprunté et la valeur de l’habitation. Il faudrait davantage s’intéresser aux revenus des ménages. Sont-ils stables ? Peuvent-ils payer eux-mêmes les frais de notaire et de l’emprunt lui-même ? Le rapport entre leurs nouvelles charges hypothécaires et leurs revenus est-il sain ? Si c’est le cas, je ne vois aucune raison de refuser un prêt.

Vous remarquez que le nombre de demandes de crédits logement a beaucoup baissé au premier semestre 2020 par rapport à la même période en 2019. Est-ce la conséquence de la crise sanitaire ?

Le nombre d’actes passés a augmenté de plus de moitié au cours des trois premiers mois de 2019 en raison de la suppression annoncée du bonus logement en Flandre. On a assisté à une véritable ruée sur l’immobilier. Ces habitations ne sont plus sur le marché. Il y a donc une pénurie dans l’offre. La preuve en est que les prix des maisons, et surtout des appartements, ont encore augmenté cette année alors que les demandes de crédits ont baissé de 30%.

La suppression du bonus logement en Région flamande puis le confinement ont complètement déstabilisé le marché immobilier. Pendant deux mois, il n’a pas été possible de visiter des maisons en Belgique. Aux Pays-Bas, ces visites ont continué. On s’est mis à proposer des prix fous sous pli fermé parce que tout le monde se jetait sur les habitations mises sur le marché.

122.000 crédits logement

ont fait l’objet d’un sursis de paiement.

40 % Maximum

des revenus que les emprunteurs peuvent consacrer à leur emprunt s’ils veulent conserver ne fut-ce qu’une petite capacité d’épargne.

Quid de l’offre sous pli fermé ?

Tant les courtiers que les notaires confirment la recrudescence des offres sous pli fermé ces dernières années. “Quand de nombreux candidats acheteurs acceptent le prix demandé, il leur reste ainsi une chance de faire une offre plus élevée”, explique Kristophe Thijs, directeur de la communication auprès de l’organisation professionnelle CIB Vlaanderen. Dorien Stevens, la porte-parole de l’Institut professionnel des agents immobiliers (IPI), remarque que le phénomène du pli fermé concerne surtout les “biens accessibles dans les villes, qui sont prêts à être occupés”. La pratique du pli fermé semble être moins répandue pour les biens dont la valeur dépasse les 400.000 euros.

Bart van Opstal, porte-parole des notaires, voit le phénomène s’éteindre peu à peu. Selon lui, il est compréhensible qu’un vendeur veuille obtenir le meilleur prix quand les candidats acheteurs sont plus nombreux que prévu. Mais il estime que des enchères en ligne sur Biddit, une initiative de la Fédération du notariat (Fednot) sont plus transparentes que les offres sousa pli fermé. Aucune procédure légale ne régit de telles offres. “En soi, une offre sous pli fermé ne pose aucun problème dès lors que les règles du jeu sont claires et respectées, poursuit Bart van Opstal. Mais les acheteurs sont un peu abandonnés à leur sort, sans surveillance. On observe des procédures très diverses et aucune loi ne régit les offres sous pli fermé. Chacun établit ses propres règles et on ne se sait pas toujours ce qu’elles impliquent.”

© GETTY IMAGES

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