Carte blanche

‘L’impôt des sociétés a disparu’

Les autorités sont passées à côté de milliards de bénéfices d’entreprises ces dernières années, du fait des innombrables déductions, estime Karel Anthonissen. “Ce qui rentre encore en impôts des sociétés provient des centaines de milliers de petites entreprises”, explique-t-il.

La dernière réforme substantielle de l’impôt des sociétés date de 1992. Depuis cette année fiscale, les moins-values sur actions d’autres sociétés ne sont plus déductibles et les plus-values ne sont plus imposables. Cela a déclenché un changement radical dans les transactions des sociétés. Avant cette réforme, on trouvait surtout des moins-values étrangères dans les comptes, attirées par la déductibilité. Après la réforme, nous avons vu passer quelques centaines de milliards de plus-values, attirées par l’exonération. À cet égard, on peut certainement parler d’une conséquence économique positive.

Selon le tableau annuel dans le budget des voies et moyens, le manque à gagner en impôt des sociétés du fait de cette mesure s’élevait à 10 milliards d’euros en 2005, 12 milliards en 2006 et 9 milliards en 2007. Ce sont des chiffres spectaculaires, certainement si l’on sait qu’on doit encore multiplier ceux-ci par trois pour s’approcher du bénéfice exonéré.

Y a-t-il encore quelqu’un qui paie l’impôt des sociétés ? En fait pas vraiment

‘Chaque inconvénient a son avantage’, nous disait déjà Johan Cruijff, et nous avons pu le constater en 2008. Pour cette année-là, le tableau affichait un remarquable chiffre négatif de -30,2 milliards d’euros. La crise bancaire et l’implosion de la Bourse, vous savez bien. Dans les déclarations de 2008, il y a donc environ 90 milliards de pertes non déductibles. Mais cela ne signifie pas que les recettes fiscales négatives estimées sur celles-ci de 30,2 milliards aient aussi été réellement payées. Il ne s’agit aussi que de pertes rejetées. Après cette année catastrophique, les cours des actions se sont doucement relevés et nous voyons dans le tableau 2 à 3 milliards d’impôts des sociétés sur plus-values exonérées chaque année. En cette période, la déduction pour capital à risque était également en vigueur, les fameux intérêts notionnels. Les coûts de ceux-ci ont augmenté de 2 à 6 milliards entre 2006 et 2011.

En bref, le trou dans la haie par lequel des milliards de bénéfices de sociétés s’échappent, s’est une fois de plus agrandi. Le 12 février 2009, la Cours de Justice européenne a littéralement renversé la haie. Dans l’affaire Cobelfret, elle a jugé que la dénommée déduction RDT (revenus définitivement taxés), représentant annuellement 6 ou 7 milliards, ne pouvait plus être limitée dans le temps. Le ministre des Finances Didier Reynders (MR) a calmement laissé faire. Toutes les grandes entreprises ont pu d’emblée revoir leurs calculs des bénéfices, parfois dans un passé lointain et souvent jusque dans un horizon lointain. Les postes de déduction actuellement empilables, qui devraient en fait se chevaucher pour une grande partie, sont maintenant souvent plus importants que le bénéfice. Chaque année, il y a plus de déductions en stock pour un avenir de plus en plus lointain.

Y a-t-il dans ce cas encore quelqu’un qui paie l’impôt des sociétés ? En fait pas vraiment. Jusque dans les années nonante, la majorité de l’impôt des sociétés était payée par un petit nombre de grandes entreprises de capitaux, en premier lieu les grandes banques. Ce n’est plus le cas. Ce qui rentre encore en impôt des sociétés est apporté par des centaines de milliers de petites entreprises, soit quelque 3,7% du PIB. Cela ne mérite plus le nom d’impôt des sociétés, c’est de l’impôt des personnes physiques détourné. Un entrepreneur qui gagne bien ou une personne qui exerce une profession libérale avec succès préfère, pour des raisons fiscales, laisser une grande partie de ses gains dans la sprl. Il est à peine question de gain en capital. L’impôt des sociétés en tant qu’impôt des gains en capital a pratiquement disparu.

Ce qui rentre encore en impôt des sociétés est surtout apporté par les centaines de milliers de petites entreprises

Avec les mesures budgétaires de 2013, le gouvernement annonçait une nouvelle cotisation à l’impôt des sociétés, la fairness tax. Depuis l’année fiscale 2014, il y a un prélèvement modeste de 5,15% sur les bénéfices d’entreprises distribués, qui doit être payé dans tous les cas, même si la société a une pléthore de déductions. Une contribution minimale issue de la honte équitable en quelque sorte. L’espace laissé par la haie est à nouveau planté de quelques petites plantes. Mais celles-ci doivent encore pousser, afin que les grands garçons ne puissent plus sauter par-dessus.

Comme nouvelle étape, le ministre Johan Van Overtveldt (N-VA) a présenté un maximum de fairness de 20 ou 22%. Appliqué sur le bénéfice avant déductions, cela peut remplacer les 33,99% sur le bénéfice après déductions, au cas où ce dernier s’avérait plus élevé. C’est donc destiné au menu fretin qui ne peut porter que peu ou pas d’exonérations en compte. De cette manière, on observe tout de même doucement un impôt des sociétés plus plat, où les déductions ne jouent plus qu’un rôle dans la fourchette entre le taux minimum et le taux maximum.

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