La finance doit se mettre au service du climat

"La crainte est d'arriver à un moment de rupture irréversible du point de vue économique, comme une montée rapide du niveau des eaux, ou une fonte du permafrost sibérien." © Getty images

Une taxation progressive des entreprises polluantes fera partie des solutions aux problèmes climatiques. Et le secteur financier aura un rôle important à jouer.

Le changement climatique est une réalité dont sont aujourd’hui convaincus la majorité des scientifiques sérieux. ” Il faut être idiot pour remettre en question la réalité de ce bouleversement et croire aveuglément en la petite minorité de scientifiques qui contestent son existence “, estime Luc Van Liedekerke, professeur d’économie à l’université d’Anvers et à la KU Leuven. Les différentes études publiées dans le domaine parlent aujourd’hui d'” un impact économique qui devrait rester acceptable pour le niveau de vie de la population mondiale si le réchauffement est contenu à 2° C. ”

Impact variable

Dans ce cas de figure, certaines régions devraient en effet bénéficier du processus, parce qu’elles seront plus facilement cultivables et que la vie y sera moins difficile. Mais d’autres vont clairement souffrir de cette hausse des températures, et notamment les pays les plus pauvres qui sont traditionnellement plus dépendants de l’agriculture et de la disponibilité en eau douce. Cette diversité d’impact explique la difficulté de trouver un terrain d’entente pour agir globalement sur le climat, au contraire du consensus qui s’était établi autour de la couche d’ozone durant les années 1990 et qui avait permis une action rapide et globale. ” Le changement climatique est un problème nettement plus complexe à solutionner “, précise Luc Van Liedekerke.

En tant qu’investis-seur, il est aujourd’hui nécessaire de tourner l’allocation de son portefeuille vers des secteurs émettant moins de carbone.” Luc Van Liedekerke (Université d’Anvers et KU Leuven)

” La concentration de CO2 agit comme une couche d’isolant autour de la planète, rappelle pour sa part Jean-Pascal van Ypersele, climatologue et vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) de 2008 à 2015. Depuis 1950, les occurrences de journées extrêmement chaudes et de précipitations abondantes sont devenues de plus en plus fréquentes, avec des vagues de canicule qui provoquent de plus en plus de morts et qui démontrent les limites de l’adaptation du corps humain à ces événements extrêmes. Il y a aujourd’hui un besoin pressant d’agir pour empêcher cette couche d’isolant de grossir davantage. ”

Luc Van Liedekerke
Luc Van Liedekerke© pg

Point de rupture

Selon le Giec, si la tendance actuelle ne s’infléchit pas, le réchauffement de la planète va entraîner une montée du niveau des mers qui pourrait atteindre un mètre avant la fin du siècle, et une augmentation de la pollution atmosphérique pourtant déjà responsable de la mort de 7 millions de personnes par an (dont 500.000 en Europe) selon l’Organisation mondiale de la santé. Même si nous ralentissons fortement les émissions de carbone, le processus de réchauffement se poursuivra durant les prochaines années, et une augmentation des températures de 1° C est d’ores et déjà certaine. Or, plus la température augmentera, plus l’impact sur l’économie deviendra important…

” La crainte est d’arriver à un moment de rupture irréversible du point de vue économique comme une montée rapide du niveau des eaux, ou une fonte du permafrost sibérien. Or, ces éventualités ne sont pas encore intégrées dans les projections de croissance reprises dans les études sur l’impact du réchauffement climatique, souligne Luc Van Liedekerke. L’ambition des objectifs établis lors de la conférence de Paris de 2015 (Cop21) était justement de limiter le réchauffement afin de ne pas atteindre ce niveau irréversible. Mais il faut aujourd’hui que les économistes prennent en compte ces risques de disruption importante afin de pousser les hommes politiques à prendre des mesures beaucoup plus radicales. ”

Fiscalité

Réduire le réchauffement à 1,5°C nécessiterait déjà des bouleversements sans précédent avec, notamment, une modification en profondeur de nos habitudes et des investissements importants dans les technologies à faible dégagement de carbone. Nous sommes aujourd’hui encore loin d’être sur une trajectoire optimale pour atteindre cet objectif. Et spécialement la Belgique, qui fait partie des mauvais élèves de l’Union européenne.

” La production d’énergie renouvelable doit être certes encouragée, mais les efforts doivent surtout être d’abord portés dans la réduction de la demande d’énergie et dans notre efficacité énergétique, assène Jean-Pascal van Ypersele. La survie de l’humanité et des écosystèmes doit devenir une priorité politique “. Pour le climatologue, il est notamment devenu nécessaire d’accepter que les activités responsables du changement climatique subissent une décroissance dans le futur. ” La fiscalité écologique doit faire partie de la solution, et détruire l’environnement doit devenir de plus en plus cher pour les entreprises. Cette arme n’est pas encore assez utilisée à l’heure actuelle “, explique-t-il.

La fiscalité écologique doit faire partie de la solution. Cette arme n’est pas encore assez utilisée à l’heure actuelle. ” Jean-Pascal van Ypersele (Giec)

Un avis partagé par Luc Van Liedekerke qui estime que la fiscalité devra être faible au départ, et augmenter progressivement afin de ne pas avoir un impact massif sur l’économie. ” Le prix du carbone sera amené à augmenter durant les prochaines années. Jusqu’à quel niveau ? Difficile à dire, car il n’existe pas de consensus à ce sujet. ”

Jean-Pascal van Ypersele
Jean-Pascal van Ypersele© belgaimage

Fiscalité ad hoc

Et Luc Van Liedekerke de prendre en exemple la taxation sur les émissions de carbone mise en place en Suède depuis 1991, dont le cours a progressivement augmenté de 28 dollars jusqu’à 133 dollars par tonne en 2019. Un mouvement qui a notamment permis une transition massive du chauffage des maisons vers des solutions moins carbonées. ” Le succès de ce modèle se base toutefois sur la capacité de la population à accepter cette hausse de la fiscalité environnementale, avec un niveau de confiance élevé dans les institutions politiques et avec des mécanismes de transfert – hausse de la fiscalité sur le carbone compensée par une baisse de la fiscalité sur le travail – qui permettent d’atténuer les mécontentements éventuels. ”

Pour nos experts, le besoin de redistribuer le produit de la fiscalité écologique vers les ménages est vu comme une nécessité pour arriver à implémenter une taxation efficace. Au niveau continental, celle-ci pourrait par ailleurs également intégrer une taxation aux frontières, qui concernerait des entreprises opérant dans des pays qui n’adoptent pas des standards aussi élevés que sur le territoire de l’Union.

Agir maintenant

Aujourd’hui, la population européenne est majoritairement convaincue de l’impact de l’activité humaine sur le réchauffement climatique, et semble prête à supporter les mesures qui seront prises afin de limiter cet impact. Dans le même temps, la Commission européenne a l’intention d’aller encore plus vite et plus loin que les normes qui étaient jusqu’ici prévues. ” En tant qu’investisseur, il est aujourd’hui nécessaire de tourner l’allocation de son portefeuille vers des secteurs émettant moins de carbone “, estime donc Luc Van Liedekerke.

Les banques et le secteur financier constituent un levier important pour diriger le monde dans la bonne direction. Ils doivent devenir un acteur à part entière dans cette transition, en finançant les activités ayant un impact favorable sur les 17 objectifs de développement durable adopté en 2015 par les Nations unies. Selon Jean-Pascal van Ypersele, ” pour faire en sorte que notre planète reste habitable pour les générations futures, le principe de précaution voudrait que des mesures soient prises dès aujourd’hui “.

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