Denis-Emmanuel Philippe

La nouvelle déduction fiscale à l’innovation n’est pas l’apanage des multinationales

Denis-Emmanuel Philippe Avocat-associé Bloom Law - Maître de conférences (ULg)

“La déduction pour revenus d’innovation va bénéficier à notre économie. Contrairement à certaines idées reçues, elle n’est pas l’apanage des multinationales”, affirme Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law.

Par une loi du 9 février 2017, la Belgique s’est dotée d’un nouvel incitant fiscal: la déduction pour revenus d’innovation. Cette mesure, qui remplace la déduction pour revenus de brevets (abrogée depuis le 1er juillet 2016), autorise les sociétés belges à déduire 85% des revenus nets de certains droits de propriété intellectuelle.

Pourquoi la Belgique a-t-elle modifié son “IP box” (régime fiscal privilégié offert par de nombreux Etats aux sociétés exploitant des droits de propriété intellectuelle) ? Parce qu’elle y a été contrainte par l’accord politique de l’OCDE baptisé “BEPS” (Base erosion and profit shifting). Cet ambitieux plan d’action, conçu comme une boîte à outils anti-abus, subordonne l’octroi de régimes fiscaux préférentiels à l’existence d’une activité économique substantielle. La nouvelle déduction pour revenus d’innovation respecte scrupuleusement cette condition de substance, puisqu’elle n’est accordée qu’en proportion des dépenses de recherche et développement (R&D) supportées par la société belge.

Voici comment une nouvelle déduction fiscale devrait booster l’innovation

Voici comment cette nouvelle déduction fiscale devrait booster l’innovation. Les sociétés qui voudront en bénéficier n’auront plus le choix : il leur faudra effectuer des investissements dans le domaine de la recherche. Aussi est-il vraisemblable que de nombreuses sociétés belges engageront des chercheurs complémentaires, en vue de booster leur droit à déduction. Cerise sur le gâteau : elles pourront à certaines conditions revendiquer une dispense de 80 % du précompte professionnel sur le salaire de ces chercheurs.

La nouvelle condition de substance ne peut être prise à la légère. Voici une société belge qui acquiert un brevet, l’améliore dans son centre de recherche puis le concède en licence. Jusqu’il y a peu, la société belge pouvait bénéficier pleinement de la déduction pour revenus de brevet. Il importait peu, à cet égard, que l’amélioration soit relativement limitée. De même, l’amélioration du brevet ne devait pas être entièrement réalisée par la société mais pouvait être donnée en sous-traitance à des sociétés liées. Le nouveau dispositif est plus rigide. En effet, la déduction pour revenus d’innovation se calcule en fonction d’un pourcentage qui exprime le rapport entre les dépenses de recherche et développement effectuées par la société pour son propre compte (dépenses “qualifiantes”), et le montant total des dépenses pour recherche et développement qu’elle a supportées. Le prix d’acquisition du brevet n’est pas une dépense qualifiante. Par ailleurs, si la société belge n’exerce pas elle-même une activité de recherche, mais qu’elle sous-traite cette tâche à une entreprise liée (pratique courante au sein de multinationales), les dépenses de recherche payées à la société liée ne sont pas davantage prises en considération. Elle ne sera toutefois pas pénalisée si elle outsource la recherche et le développement à une entreprise non liée, par exemple une université.

Soucieux de maintenir un IP box compétitif, le gouvernement a fait en sorte que la mesure s’applique non seulement aux brevets, mais également aux programmes d’ordinateurs protégés par le droit d’auteur, aux droits d’obtention végétale, à l’exclusivité des données, à l’exclusivité commerciale et aux médicaments orphelins. Ce n’est pas tout : le pourcentage de déduction passe de 80 à 85 % et le montant de déduction non utilisé pour un exercice d’imposition peut être reporté sur les exercices d’impositions suivants.

Opportunités pour les sociétés belges développant des logiciels informatiques

Nul doute que l’extension du régime aux logiciels fera le bonheur des sociétés belges actives dans le secteur TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Mais également -et ceci est remarquable- de toute société belge (petite ou grande) qui développe des logiciels dans le cadre de ses activités (production de produits, prestations de services). Celles-ci pourront en effet déduire (à hauteur de 85%) une partie du prix des biens ou services, correspondant à la licence hypothétique que la société aurait perçue si elle avait octroyé une licence sur le logiciel à un tiers indépendant.

Exemple: BelCo a développé elle-même un logiciel. Elle utilise son logiciel pour la production et la vente de produits. Cette activité donne un résultat de 1.000.000 d’euros. De ces 1.000.000 d’euros, elle alloue 200.000 euros au logiciel. Ce montant de 200.000 euros (après soustraction des coûts de R&D) bénéficie pleinement de la déduction d’innovation de 85%.

En pratique, la détermination du montant de cette redevance hypothétique incluse dans le prix des biens ou services (200.000 euros) doit se faire selon le principe at arm’s length (en d’autres mots: être conforme au marché). Cet exercice ne laisse pas de soulever des difficultés. Il s’agit de déterminer combien la société recevrait d’une entreprise indépendante pour l’obtention d’une licence (sur le logiciel informatique) permettant de proposer ces mêmes produits ou services à des tiers. Obtenir une étude de prix de transfert, qui est certes coûteuse, nous paraît dans certains cas souhaitable.

Comparaison avec l’IP Box luxembourgeois

Le Régime IP luxembourgeois était bien plus attrayant que le régime belge de déduction pour revenus de brevet. Il couvrait en effet une palette variée de droits de propriété intellectuelle: les droits d’auteurs sur logiciels informatiques, les brevets, les marques de fabrique ou de commerce, les noms de domaine et les dessins ou modèles. Le Régime IP s’appliquait en cas d’acquisition ou de constitution de droits intellectuels éligibles. L’application du Régime IP n’était pas subordonnée à une condition de développement (ou d’amélioration) des droits intellectuels dans un centre de recherche (contrairement à la déduction pour revenus de brevet belge).

Il n’est dès lors guère surprenant de constater qu’au cours des dernières années, de nombreuses sociétés belges ont transféré des logiciels informatiques à des sociétés luxembourgeoises, en vue de pouvoir bénéficier de l’IP box luxembourgeois. Ces montages d’ingénierie fiscale sont désormais superflus.

A l’instar de la Belgique, le Luxembourg a été contraint par l’OCDE d’abroger son Régime IP, ce qu’il a fait par une loi du 18 décembre 2015 (abrogation à compter du 1er juillet 2016).

La Belgique a ici finement joué la partie. On ne peut que s’en réjouir. Reste à voir si nos adversaires, notamment nos voisins luxembourgeois qui n’ont toujours pas adopté leur nouvel IP Box, parviendront à nous damer le pion…

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