“Les célibataires, la catégorie de population la plus taxée d’Europe de l’Ouest”

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Melanie De Vrieze Freelance

La vie est chère pour les personnes isolées. Fiscalement et financièrement, les célibataires sont désavantagés par rapport aux familles. Des efforts ont toutefois été faits ces dernières années pour redresser la barre, estime Carla Dejonghe, de l’association all1.

Dans notre pays, les célibataires sont parfois lésés sur le plan financier. C’est ce qui a motivé Carla Dejonghe à fonder, en 2015, une ASBL de défense des intérêts des personnes isolées. ” Cela fait belle lurette que ce que le fisc entend par ‘famille’ ne correspond plus à la réalité sociale, explique Carla Dejonghe. Jamais autant de personnes n’ont habité seules. En Belgique, les personnes seules sans enfant(s) sont imposées de façon disproportionnée et sont désavantagées dans de nombreux domaines.

La taxe flamande sur l’énergie, de 100 euros par ménage, n’en est qu’un exemple, même si elle a été ramenée depuis à 10 euros. Idem pour la facture d’eau en Flandre. ” Outre la consommation effective, une redevance fixe de 100 euros est facturée par adresse, avec une réduction de 20 euros par personne domiciliée. Pour un isolé, la redevance fixe se monte à 80 euros, tandis qu’une famille de quatre personnes paie 20 euros. De tels prélèvements forfaitaires font peser une charge particulièrement lourde sur les personnes vivant seules. ”

Les droits de succession appliqués en Belgique sont également désavantageux pour les célibataires sans enfants. Si un isolé souhaite laisser ses biens à un tiers, par exemple un ami, un filleul ou une nièce, le taux de droits de succession sera maximal. ” En Flandre, ce taux varie entre 45 % et 65 % ; à Bruxelles et en Wallonie, il peut atteindre les 80 %, précise Carla Dejonghe. Les enfants et le conjoint paient le taux minimal, de 3 à 30 % selon le montant hérité. Les célibataires sans enfants n’ont tout simplement pas ce choix. ”

Quotité exemptée d’impôt

Autre injustice du point de vue des isolés : les taxes forfaitaires par ménage, comme la taxe provinciale appliquée en Région flamande et en Région wallonne. ” La taxe régionale bruxelloise a heureusement été supprimée, poursuit Carla Dejonghe. Je payais 89 euros, et la famille de trois enfants qui habite à côté de chez moi payait la même chose. ”

Un isolé verse en moyenne 56 % de son salaire brut, à l’impôt des personnes physiques.

All1 émet également des critiques concernant l’impôt sur les personnes physiques. ” Les célibataires belges sans enfant(s) forment la catégorie de population la plus taxée d’Europe de l’Ouest, affirme Carla Dejonghe. Un isolé verse en moyenne 56 % de son salaire brut, voire 60 % dans le cas d’un salaire élevé. La faute en revient à la quotité exemptée, la part des revenus qui n’est pas soumise à l’impôt. Jusqu’au début des années 2000, les isolés bénéficiaient d’une quotité exemptée plus importante en compensation de leur moindre capacité financière par rapport aux cohabitants. Depuis l’exercice d’imposition 2005, tous les contribuables ont la même quotité exemptée, de sorte que les célibataires ont perdu un important avantage fiscal. ”

Charges et bénéfices

” Pour certains impôts, l’utilisation du critère ‘famille’ pose effectivement problème, confirme le fiscaliste Jef Wellens. Les charges sont déterminées par famille, alors que les bénéfices sont appliqués à la personne. Je suis d’avis de lever ces incohérences. Si les bénéfices sont octroyés aux individus, les charges doivent l’être aussi. Prendre la famille comme référence est une option délicate, car c’est un concept évidemment beaucoup plus difficile à définir que celui de la personne. ”

Jef Wellens, pour sa part, estime l’impôt des personnes physiques relativement clair et univoque. ” Les taux d’imposition et les avantages fiscaux s’appliquent à la personne. Un isolé qui gagne 50.000 euros et un couple où chaque partenaire a un revenu de 50.000 euros supportent tous les trois le même impôt, pour autant qu’ils n’aient pas d’enfants. On ne peut donc pas considérer qu’il y a discrimination. La différence de pression fiscale ne tient pas à l’état-civil – marié, cohabitant ou célibataire – mais à la réduction d’impôts liée aux enfants. Un isolé avec enfant paie, en tant qu’individu, moins d’impôts qu’une personne mariée sans enfants. On peut remettre en question cet avantage fiscal des parents, mais c’est un autre débat. ”

Le quotient conjugal

L’individualisation de l’impôt des personnes physiques connaît certaines exceptions, par exemple le quotient conjugal. Dans un couple, jusqu’à 30 % des revenus du ménage sont attribués fictivement au partenaire qui dispose d’un revenu professionnel très bas voire inexistant. Cette part de revenus est alors imposée à un taux nettement inférieur. ” Là, je suis obligé de donner raison aux isolés, admet le fiscaliste. Le célibataire ne bénéficie pas de cet avantage. Indépendamment du quotient conjugal, l’individualisation de l’impôt des personnes physiques – même si le principe est clair – est souvent une épine dans le pied des célibataires. Prenez l’exemple des titres-services. En Flandre, les cohabitants ont droit à deux fois le maximum de 1.470 euros de chèques avec une réduction d’impôts de 30 %, contre une fois pour la personne isolée. Alors que les deux catégories doivent entretenir une maison. Idem pour le bonus logement. ”

Il arrive néanmoins que le mariage soit désavantageux. Deux conjoints avec une petite pension paient chacun plus d’impôts qu’un isolé recevant la même pension. ” C’est dû au fait que l’exonération maximale pour la pension est appliquée par famille et pas par personne, explique Jef Wellens. Tout n’est donc pas si sombre pour les célibataires. Ainsi, par rapport à l’enfant d’une personne mariée, l’enfant d’un parent isolé peut avoir plus de revenus propres tout en restant à charge. ”

Le célibataire bénéficie en outre d’une petite exonération supplémentaire s’il a un ou plusieurs enfants, montant exonéré qui augmente à partir de cette année si l’isolé l’est réellement et pas cohabitant de fait. ” C’est une nouvelle mesure, prise dans l’accord estival, qui fait que, pour la première fois, on fait une distinction, du point de vue fiscal, entre les cohabitants de fait et les vrais isolés. C’est proprement révolutionnaire. Mais les isolés sans enfants n’ont évidemment pas accès à ces petits suppléments ; ces avantages sont toujours liés au fait d’avoir des enfants. ”

Quelques progrès

Selon Carla Dejonghe, il reste beaucoup de chemin à parcourir. Cependant, les divers gouvernements témoignent de temps à autre d’une politique plus favorable aux célibataires. La Région de Bruxelles-Capitale, par exemple, a supprimé depuis le 1er janvier 2017 le bonus logement pour les emprunts hypothécaires et octroie en échange une réduction sur les droits d’enregistrement, qui peut aller jusqu’à 21.875 euros et est identique pour les couples et les isolés. ” À mes yeux, l’abaissement à Bruxelles des droits d’enregistrement pour une habitation propre est un système plus juste que le bonus logement, qui donne un double avantage fiscal aux couples, puisque cette importante réduction s’applique à l’habitation et pas aux personnes “, explique Carla Dejonghe.

Les droits de succession appliqués en Belgique sont également désavantageux pour les célibataires sans enfants. Si un isolé souhaite laisser ses biens à un tiers, le taux de droits de succession sera maximal.

La Région flamande a par ailleurs fortement réduit, en 2015, les droits de donation sur les biens immobiliers, exemple suivi par la Wallonie et Bruxelles en 2016. Le ministre bruxellois des Finances Guy Vanhengel (Open Vld) souhaite moderniser le droit successoral de manière à ce que tout le monde puisse désigner un héritier hors famille bénéficiant du taux familial. ” La proposition est séduisante, mais le gouvernement bruxellois n’est pas encore parvenu à un accord sur ce point, commente Carla Dejonghe. Cette réforme serait cependant une bonne nouvelle pour les personnes sans famille proche. Les liens du sang ne disent rien des liens affectifs entre les gens. ”

Progrès supplémentaires

Les communes aussi font des efforts. ” La taxe déchet forfaitaire, par exemple, n’est pas juste, affirme Carla Dejonghe, car une grande famille produit plus de déchets qu’une personne seule. C’est ce qui a décidé Malines à introduire en 2017, en compensation, le Mechelenbon, le ‘bon malinois’, d’une valeur de 25 euros, au moyen duquel les isolés peuvent payer dans les commerces de la ville. ”

Le 1er juin 2017, les primes pour congés thématiques – congé parental, congé pour soins palliatifs ou congé pour assistance médicale – accordées aux isolés avec enfants à charge ont été fortement augmentées. ” Les parents isolés auront ainsi plus de possibilités de s’occuper de leur enfant pendant une certaine période “, souligne Carla Dejonghe.

Enfin, Bruxelles est en train d’instaurer un pacte de colocation, qui devrait apaiser les craintes tant des propriétaires que des locataires concernant les conséquences financières de la colocation. ” Mais il faudrait encore des progrès supplémentaires au niveau fédéral, conclut Carla Dejonghe. Les pouvoirs publics considèrent les habitants d’une colocation comme une famille. Cela suscite de nombreux problèmes en pratique, ne serait-ce que pour l’attribution des droits sociaux. ”

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