Une nouvelle règle pour le travail étudiant

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Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Le quota annuel autorisé d’heures de travail par un étudiant passe de 475 à 600 en 2023. Dans le contexte de recrutement actuel, très tendu, c’est une bonne nouvelle pour les entreprises. Revers de la médaille: les jobistes acquièrent peu de droits sociaux et contribuent à peine au financement de la sécurité sociale.

L’emploi étudiant se porte bien en Belgique: de plus en plus de jeunes travaillent, de plus en plus souvent. En 2021, l’Office national de l’emploi (Onem) recensait 565.248 jobistes. Il s’agit d’un record, et d’une forte hausse par rapport à 2012 (441.749 jobistes).

Depuis, le nombre d’étudiants qui travaillent a augmenté chaque année sauf en 2020, quand la crise sanitaire a bloqué le compteur à moins de 500.000 personnes (voir le graphique ci-dessous). Le nombre d’heures travaillées est passé de 89 millions en 2017 à 117 millions en 2021, pour une durée moyenne qui a grimpé de 171 à 207 heures. Et la proportion d’étudiants qui ne travaillent qu’en été (juillet, août, septembre) est tombée de 37,2% à 20,3% entre 2012 et 2021.

Une nouvelle règle pour le travail étudiant

Conséquence de la popularité croissante du travail étudiant: à la fin de l’an dernier, 72,1% des personnes âgées entre 20 et 64 ans en Belgique avaient donc une occupation. Et parmi tous les jeunes de moins de 25 ans qui exercent un emploi temporaire, 65,4% sont jobistes. Il faut voir là le résultat de l’assouplissement du régime au fil des ans (lire l’encadré ci-dessous). Un processus toujours en cours puisque depuis janvier de cette année, le nombre d’heures autorisé a été revu à la hausse: de 475 heures aujourd’hui, à répartir librement sur l’année civile, le quota pour 2023 et 2024 a été porté à 600.

Main-d’oeuvre bon marché

On sait en effet que 10% de la population étudiante dépasse aujourd’hui déjà le plafond des 475 heures. Donc sans bénéficier, pour le surplus, de la réduction des cotisations de sécurité sociale (les jobistes et leurs employeurs sont redevables non pas des cotisations sociales ordinaires mais d’une cotisation de solidarité fixée à 8,13%, dont 2,71% sont à charge de l’étudiant et 5,42%, à charge de l’employeur). Le taux ordinaire, lui, peut atteindre 38%.

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Le nombre d’heures qu’un étudiant a travaillé en moyenne en 2021, contre 171 en 2017.

L’extension du régime est une bonne chose pour les entreprises, qui peuvent employer plus longtemps cette main-d’oeuvre très peu onéreuse. Les étudiants constituent pour les employeurs un réservoir de travailleurs flexibles, très utiles lors des surcroîts d’activité. Ce qui, vu les difficultés actuelles de recrutement, est plus que bienvenu. Alors que planent des menaces de récession, les entreprises n’ont, avec les jobistes, pas à se demander comment elles rompraient des contrats fixes et payeraient des indemnités de licenciement si elles étaient contraintes de réduire leurs effectifs. Rebondissant sur cette situation, les secrétariats sociaux leur envoient régulièrement des calculs montrant que l’on peut facilement remplacer un employé ordinaire par trois étudiants.

La main-d’oeuvre, en Belgique, reste chère. Pour compenser un peu cela, on invente toutes sortes d’expédients, qui peuvent finir par avoir des effets négatifs.”

Jan Denys, spécialiste du marché du travail au sein du groupe Randstad, émet néanmoins des réserves. “Le secteur de l’intérim a longtemps encouragé le travail étudiant. Quarante pour cent des travailleurs temporaires sont des jobistes sans lesquels il nous serait très difficile de fonctionner, admet-il. Mais l’instauration de régimes différents me laisse toujours dubitatif. La main-d’oeuvre, en Belgique, reste chère. Pour compenser un peu cela, on invente toutes sortes d’expédients dont le recours aux étudiants et, dans une certaine mesure, aux flexi-jobs. Il faut pourtant être prudent avec les effets que ces régimes peuvent avoir à la longue, par exemple dans l’esprit des étudiants: avec un salaire net très proche du brut en raison de la faiblesse des cotisations, ces jeunes ont une perception tronquée du marché du travail.”

Le travail jobiste ne compte pas pour la pension

Le travail étudiant est depuis un certain temps une cause d’agacement pour les syndicats également, qui estiment qu’il prive la sécurité sociale de trop de recettes. La cellule de réflexion Minerva avait tiré des conclusions similaires il y a plusieurs années déjà: si les étudiants profitent de la faiblesse des cotisations, ils n’acquièrent aucun droit, comme les vacances annuelles et les primes de fin d’année.

Mais c’est dans la constitution des droits de pension que réside la différence la plus marquée: aucune cotisation de pension n’étant versée à l’ONSS, les prestations ne sont pas inscrites sur le compte individuel de pension. Les jeunes qui restent plus longtemps sur les bancs de l’université ou de la haute école tout en travaillant gagnent certes de l’argent, mais leur activité n’aura aucune incidence sur le montant de leur retraite et n’interviendra pas dans le décompte du nombre d’années de carrière.

Salaire plus élevé

Lorsque le gouvernement fédéral a décidé, en octobre dernier, de porter le quota à 600 heures, le pôle Jeunesse de la CSC s’est montré très critique: mieux aurait valu selon lui ne pas toucher au système mais permettre aux étudiants qui travaillent plus de 475 heures d’obtenir un statut d'”étudiant salarié” et de payer des cotisations de sécurité sociale plus élevées. Et donc de bénéficier aussi de l’avantage fiscal du bonus à l’emploi, du pécule de vacances ainsi que d’un salaire en fin de compte plus intéressant, d’après les calculs du syndicat chrétien. Celui-ci donne l’exemple d’une étudiante qui a travaillé un mois et deux jours cet été: si elle avait versé des cotisations sociales normales, elle aurait perçu 305,86 euros de salaire en plus.

8,13%

La contribution de solidarité dans le cadre du travail étudiant ; le taux ordinaire peut atteindre 38%.

Le spécialiste de l’économie du travail Stijn Baert, de l’université de Gand, plaide lui aussi pour que les étudiants qui travaillent plus de 475 heures s’acquittent de cotisations sociales plus élevées, à fixer quelque part entre les 8,13% dont bénéficient les jobistes et les 38% que peuvent atteindre les cotisations ordinaires.

Le travail jobiste pèse sur la qualité des études

Mais Jan Denys, de Randstad, n’est pas convaincu par cette dernière proposition. “Ce serait un bricolage de plus, estime-t-il. Nous aurions alors non pas un mais deux statuts d’étudiant. Le quota de 475 heures était satisfaisant ; il n’était pas nécessaire de l’augmenter. D’autant que d’après nos recherches, un étudiant sur trois estime que son travail influe sur le déroulement de ses études et accroît les risques de retard. Je ne veux pas être trop moraliste mais certains jeunes travaillent parfois plusieurs semaines d’affilée: comment arrivent-ils à étudier dans ces conditions? Six cents heures correspondent à trois mois de travail à temps plein ; je n’appelle plus ça un régime d’exception.”

Le risque d’échec ou de retard est également soulevé dans une étude publiée l’an dernier par Stijn Baert. Selon celle-ci, le travail des étudiants de l’enseignement supérieur semble peser plus lourdement sur les cotes des examens que celui des étudiants du secondaire.

L’emploi crée l’emploi

En outre, on reproche souvent au travail étudiant de concurrencer d’une façon déloyale les étudiants salariés et la main-d’oeuvre peu qualifiée, qui seraient ainsi écartés du marché de l’emploi.

“Ce problème existait effectivement par le passé, admet Jan Denys. En particulier pendant les mois d’été, où l’on assistait à une éviction de la main-d’oeuvre classique peu qualifiée. Mais le marché est actuellement si étriqué que ce n’est plus le cas.”

D’après les recherches de Stijn Baert, l’argument selon lequel les jobistes supplanteraient les employés peu qualifiés n’est effectivement guère fondé: “Les étudiants dépensent généralement leurs revenus, ce qui est bon pour l’économie et donc pour la création d’emplois réguliers. Ici encore, l’emploi crée l’emploi”, soutient l’expert.

Le travail étudiant, de plus en plus attrayant

Les étudiants sont autorisés à travailler 600 heures par an, un régime qui n’a plus rien à voir avec celui en vigueur il y a une petite vingtaine d’années: avant octobre 2005, ils ne pouvaient gagner un peu d’argent qu’en été, à raison de 23 jours civils par an. Par la suite, l’année civile a été scindée en deux périodes de 23 jours civils chacune: le troisième trimestre d’une part, et le reste de l’année d’autre part. La règle dite des 50 jours (sur l’ensemble de l’année civile) a été promulguée en 2012.

Le régime horaire est arrivé en 2017. Les étudiants ont alors été autorisés à travailler 475 heures par année civile. Ce qui, dans un régime de travail de 38 heures, correspond à 62,5 jours, à répartir sur l’année entière. C’est ce quota qui vient d’être porté à 600 heures, sans relèvement des cotisations de sécurité sociale.

Les combinaisons avantageuses avec d’autres formes de travail demeurent par ailleurs autorisées. Ainsi, les 600 heures peuvent-elles s’ajouter à 25 jours d’occupation dans le secteur socioculturel. Ou à 65 jours de travail occasionnel dans l’agriculture et l’horticulture et 50 dans l’horeca. Les travailleurs occasionnels s’acquittent des cotisations sociales normales, mais sur un salaire forfaitaire fixe inférieur.

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