Les terres roumaines attirent de plus en plus d’investisseurs

La famille Porsche s'est dotée de 8000 hectares de forêts roumaines, tandis que le groupe Ikea s'est lui offert près de 30000 hectares. © Getty Images/iStockphoto

Le pays est devenu une destination de choix pour l’acquisition de terres agricoles et forestières. Les investisseurs s’y précipitent et croient au fort potentiel de cette classe d’actifs. Eclairage sur cette “ruée vers l’est”.

Envie d’investir dans des terres agricoles ? De posséder des parcelles arables ou des forêts de feuillus ? Ne cherchez plus. La Roumanie s’impose comme la destination européenne de référence en matière d’actifs fonciers. Depuis plusieurs années, le pays bénéficie de capitaux nationaux et étrangers pour lesquels cet exode rural constitue non seulement des investissements de prestige et d’agrément, mais surtout l’opportunité d’un placement judicieux et d’une diversification dans un secteur d’avenir.

Des arguments de poids…

La capacité roumaine d’attraction vis-à-vis des capitaux étrangers s’explique principalement par les tarifs pratiqués dans l’ancien Etat communiste, où le prix de l’hectare pour les terres agricoles varie entre 2.500 et 6.000 euros, contre 40.000 euros en moyenne dans les pays d’Europe de l’Ouest. Il en va de même pour les parcelles forestières – 4.000 euros l’hectare en Roumanie, drastiquement moins cher qu’en Belgique, où les prix moyens se situent entre 10.000 et 20.000 euros. Selon la firme DTZ, le coût de l’investissement des fermes en Roumanie est d’ailleurs parmi le plus faible en Europe. En cause ? Le retour sur investissement, potentiellement très élevé, lié à la fertilité des sols. Profitant de très longs étés et peu de gels au printemps, les terres roumaines jouissent d’une qualité exceptionnelle et d’un rendement potentiel reconnu. Le “chernozem”, cette terre noire et fertile propre au pays recouvre près de 60 % d’un territoire qui comptabilise, selon l’institut national roumain des statistiques, près de 15 millions d’hectares de terres agricoles, et 6,7 millions d’hectares de forêts. Parmi les pays de l’UE, la Roumanie est d’ailleurs l’Etat le plus dépendant de l’agriculture puisque près de 30 % de sa population travaille dans le secteur, contre moins de 5 % en Belgique, en France ou en Allemagne.

L’autre spécificité roumaine, qui explique l’attractivité foncière du pays, est liée à l’organisation du système forestier. En effet, l’administration prévoit, pour chaque portion boisée de Roumanie, un plan d’aménagement valable 10 ans, qui décrit de façon détaillée la composition de la forêt (volume de bois sur pied, essences, diamètres, etc.) et fixe le volume maximum de bois qui peut être coupé annuellement. Un système encadré, mais qui laisse place à de jolies plus-values, comme l’explique Ferdinand Terlinden, chargé de la gestion des opérations forestières pour le fond luxembourgeois Forest Value. “S’agissant des plans d’aménagements, nous nous sommes rendu compte qu’ils étaient très souvent sous-évalués, et notamment en matière de volume de bois sur pied et de vitesse de croissance naturelle des arbres. Dès lors, en menant une due diligence approfondie, il est possible de quantifier cette sous-évaluation (parfois de l’ordre de 50 %) et d’en tirer profit.” Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le business tourne. Ces dernières années, de nombreux investisseurs étrangers, incluant des fonds de pension, des groupes bancaires ou des géants de l’assurance ont choisi de mettre des billes en Roumanie. C’est le cas de Generali, qui contrôle 4.500 hectares de terres agricoles dans l’ouest du pays, de la Rabobank, ou encore du fonds de pension AP qui vient d’annoncer son intention d’acheter 3.000 hectares en partenariat avec l’entreprise danoise First Farms A/S. Plus récemment, la famille indienne Gupta, l’une des plus riches du pays, a également acquis près de 2.500 hectares de terres roumaines, tout comme les entreprises Cargill, ADM ou encore Bunge. En termes forestiers, la famille Porsche s’est dotée de 8.000 hectares tandis que le groupe Ikea s’est offert lui, près de 30.000 hectares.

…et quelques obstacles

En 10 ans, la valeur de l'hectare roumain a quasiment décuplé, passant de quelques centaines (250-500) à quelques milliers d'euros.
En 10 ans, la valeur de l’hectare roumain a quasiment décuplé, passant de quelques centaines (250-500) à quelques milliers d’euros.© Getty Images/iStockphoto

Investir en Roumanie nécessite cependant de bien en comprendre le dynamisme, ainsi que les cadres institutionnels, juridiques et historiques, qui parfois érigent des problèmes avec lesquels les investisseurs devront composer. Une première difficulté est celle du morcellement généralisé des parcelles agricoles. Dus à leurs modes de transmission égalitaires entre héritiers, les fermiers roumains ont participé durant des générations à modeler considérablement le paysage des terres arables si bien qu’aujourd’hui, alors que le pays compte une multitude de petites étendues (allant jusqu’à 10 hectares), les grands blocs se font rares. Pour acquérir des étendues compactes et conséquentes, les investisseurs auront le choix de racheter des parcelles déjà consolidées, ou d’agréger ensemble de petits terrains. Dans pareil cas, la procédure peut s’avérer longue et compliquée, puisqu’il s’agit de contacter et mettre d’accord une série de propriétaires différents. De la même manière, le manque de documentation cadastrale, combiné aux trop nombreux défauts d’enregistrement de parcelles figure aussi au rang des difficultés roumaines, comme le rappelle Razvan Popa, associé du cabinet d’avocats Kinstellar, basé à Bucarest. “Il y a 15 ans, le pays a établi un système de registre foncier pour appréhender convenablement la séparation et la transmission des terres. Néanmoins, la plupart des propriétés n’ont pas fait l’objet de mesures cadastrales et d’enregistrement au sein de ce registre, si bien qu’il est actuellement très compliqué de déterminer les contours exacts d’une parcelle ou ni même de savoir qui en sont les propriétaires.” Conscientes du problème, les autorités publiques roumaines ont initié des procédures systématiques d’introduction au registre foncier et au cadastre. Mais le chemin reste long. Selon Mihaela Posinca, avocate chez Kinstellar, il n’y a actuellement “que quelques municipalités dans lesquelles l’ensemble des propriétés a fait l’objet de recensements cadastraux, contre au moins 100 autres où les recensements sont toujours en cours.”

Un grenier rentable

S’ils sont bien gérés, dans une optique responsable et de développement durable, les actifs fonciers roumains peuvent présenter plusieurs intérêts majeurs à dimension parfois universelle. Au croisement entre économie et écologie, les biens agricoles et forestiers vont en effet permettre de faire face aux prochains grands défis de société, tels que l’augmentation des besoins en nourriture. En atteignant aujourd’hui près de 7,5 milliards d’individus, pour 1 milliard de plus en 2030, la population mondiale ne cesse de s’accroître. Avec elle c’est la demande, et donc la production de nourriture qui sera amenée à augmenter drastiquement. Selon les Nations unies, cette dernière devrait d’ailleurs s’apprécier de 60 % dans les deux prochaines décennies, nécessitant des aménagements humains et agricoles importants. Outre l’augmentation de la productivité des terres déjà exploitées et la mise au point de nouvelles solutions agraires (fermes urbaines, exploitations verticales), l’extension des portions de terres arables sera également obligatoire pour augmenter les ressources agricoles. En ce sens, “se positionner sur ce genre d’actifs peut-être économiquement judicieux”, affirme Frédéric Falla du cabinet d’avocats bruxellois Falla De Clercq, spécialisé en planification patrimoniale et transmission d’entreprises familiales, qui a déjà conseillé de nombreux clients sur la structuration juridique d’investissements forestiers et agricoles en Roumanie. “Compte tenu de l’augmentation de la demande et de la non-élasticité des terres cultivables, la valeur des cultures et des parcelles roumaines, relativement faible aujourd’hui, va probablement grimper et pourrait atteindre des montants similaires à ceux que l’on retrouve en Europe de l’Ouest”, ajoute-t-il. Le mécanisme est d’ailleurs déjà à l’oeuvre puisqu’en 10 ans, la valeur de l’hectare roumain a quasiment décuplé, passant de quelques centaines (250-500), à quelques milliers d’euros. Conséquence ? Alors qu’ils ont toujours été perçus comme des capitaux stables, sécuritaires, et offrant une couverture efficace contre l’inflation, les biens agricoles et forestiers sont aujourd’hui des actifs potentiellement spéculatifs à forte valeur qui, à l’instar du pétrole, ont une importance stratégique tant du point de vue économique que du point de vue alimentaire. En témoigne la technique du land grabbing, consistant pour de nombreux Etats à acquérir des terres productives dans d’autres régions du monde. Le but ? se prémunir de l’épuisement potentiel de leurs ressources internes. Ces accaparations, déjà réalisés massivement dans certains pays comme l’Ethiopie, l’Indonésie ou le Kenya, pourraient un jour gagner la Roumanie.

Vers une filière européenne de biomasse ?

Acquérir et gérer des actifs fonciers, c’est également penser en termes économiques la question de l’urgence climatique, en cultivant des céréales (colza, blé, etc.) nécessaires à l’élaboration d’énergies renouvelables comme l’éthanol ou le biodiesel. C’est, de la même manière, avoir une réflexion sur la production et la vente de biomasse forestière, forme d’énergie verte constituant une voie d’enrichissement, et choisie par plusieurs fonds présents en Roumanie. Issue des coupes de bois, cette biomasse (ou bois-énergie) est aujourd’hui vendue à l’industrie énergétique sous forme de pellets ou de copeaux de bois pour créer de la chaleur et de l’électricité. Elle est considérée comme verte puisque le CO2 capté par l’arbre durant sa croissance compense celui libéré lors de la combustion du bois, en fin de chaîne. La filière de ce “bois-énergie”, très lucrative, est pour l’heure organisée au départ d’Amérique du Nord où les industriels parviennent à trouver du bois en très grande quantité, comme l’explique l’avocate Anne-Sophie De Clercq. “De façon générale, l’industrie énergétique requiert des pellets en très grand nombre. Pour s’en procurer, elle va faire appel à des acteurs de très grande taille capables de satisfaire la demande. Aux Etats-Unis et au Canada, il existe une véritable concentration des acteurs (fournisseurs, grands propriétaires fonciers), si bien qu’il est facile de s’y approvisionner. ” Pour les industries européennes, acheminer des pellets de l’autre côté de l’Atlantique n’en reste pas moins coûteux, et l’idée de développer une grande chaîne européenne de biomasse, à partir des ressources forestières d’Europe centrale, fait peu à peu son chemin. C’est l’occasion de repenser toute la filière du bois-énergie explique Frédéric Falla. Les possibilités qu’offrent la Roumanie et les autres pays d’Europe centrale sont énormes. Les espaces sont là, et la quantité de bois suffisante. Il s’agit maintenant d’organiser une chaîne d’approvisionnement qui tienne la route.” Pour raffermir leur offre en bois, de grands groupes forestiers combinent l’achat de parties boisées et de terres agricoles. “C’est l’une des solutions pour livrer du bois toute l’année, explique Ferdinand Terlinden. Les forêts sont de grandes sources de bois, mais avec des capacités de production relativement faibles par rapport aux cultures énergétiques qui contiennent des arbres à croissance rapide (comme le peuplier et le saule). Plantés en terres agricoles, ces arbres grandissent jusqu’à six fois plus vite que ceux que l’on retrouve en forêt, d’où l’intérêt d’y faire appel.” Géographiquement parlant, la situation roumaine est idéale. Situé à l’est de l’Union européenne, et bordé du Danube et de la mer Noire, le pays bénéficie d’un positionnement stratégique, au carrefour de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Asie. De quoi acheminer facilement la biomasse, ou toute autre marchandise, vers les industries concernées.

Par Augustin Lippens

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