Année catastrophique pour les immobilières

Opportunités Les enjeux de chaque segment sont différents mais traversés par une constante: la qualité de chaque bien est de plus en plus prépondérante. © Getty Images

Loin d’offrir la protection attendue, les sociétés foncières traversent une passe difficile en Bourse. Cette correction a toutefois ramené les valorisations et les rendements de dividende à un niveau plus attractif.

Largement présentes sur Euronext Bruxelles, les sociétés immobilières sont plébiscitées par de nombreux investisseurs pour leur rendement de dividende récurrent et leur réputation plutôt défensive. Force est toutefois de constater que cela ne les a pas protégées de la correction des Bourses ces derniers mois. Au contraire, le Stoxx 600 REITs, l’indice paneuropéen des sociétés immobilières réglementées (comme les SIR en Belgique), a plongé de plus de 20% en à peine deux mois.

En Belgique, les sociétés immobilières spécialisées dans les entrepôts logistiques et industriels ont même connu de véritables dégringolades à l’image de Montea (-36% depuis le début de l’année), WDP (-26%) ou VGP (-34%) qui n’a pas le statut de SIR.

Ce plongeon s’explique notamment par le ralentissement de l’e-commerce. Amazon a ainsi indiqué disposer “de trop d’espaces logistiques”, contribuant à des surcoûts estimés à 10 milliards de dollars sur le seul premier semestre. Selon l’agence Bloomberg, le géant américain souhaite sous-louer 10 millions de pieds carrés (929.030 m2) d’entrepôts et envisage aussi certaines résiliations anticipées de bail.

Cela tombe mal, puisque de nombreux acteurs du secteur sont justement en train d’investir dans de nouvelles capacités à l’image de Prologis, dont les centres de distribution voient défiler 2,5% du PIB mondial. Le leader mondial des entrepôts dispose de plus de 4.000 hectares de terrains en développement.

Affectées de trois manières

Les autres segments immobiliers connaissent également une pé- riode difficile à l’image d’Aedifica (maisons de repos, -18% depuis le 1er janvier), Xior (kots pour étudiants, -17%) ou Inclusio (logement social, -19%). Même les SIR actives dans l’immobilier commercial (Retail Estates, Ascencio, Wereldhave, etc.), à la traîne depuis le début de la pandémie, accusent des pertes en Bourse depuis le début de l’année.

La principale explication de ces déboires est la remontée des taux qui affecte les sociétés foncières de trois manières. Premièrement, elles présentent généralement un taux d’endettement de 40% à 50% et devront donc supporter des charges financières plus lourdes pour leurs crédits. Deuxièmement, une remontée des taux est considérée comme un frein pour les prix de l’immobilier en rendant les financements plus coûteux. Les SIR risquent donc de devoir comptabiliser des moins-values sur leur portefeuille immobilier.

Troisièmement, la hausse des taux rend le dividende des sociétés immobilières moins attractif. Les SIR ayant l’obligation de distribuer au moins 80% de leur bénéfice ajusté, le dividende constitue un élément important du rendement.

Indexation des loyers

Les sociétés immobilières ont toutefois aussi des atouts à faire valoir en cette période. D’une part, beaucoup ont profité des taux bas des dernières années pour allonger la maturité de leurs dettes. L’impact de la remontée des taux ne sera donc que très progressif. D’autre part, les baux prévoient généralement une indexation des loyers, ce qui prémunit les bailleurs des hausses de coûts et devrait leur permettre de maintenir les dividendes à niveau.

Paul Reuge, gestionnaire de R-co Thematic Real Estate, épingle ainsi qu’aux Etats-Unis, “les foncières ont globalement surperformé le S&P 500 lors des poussées inflationnistes”. Il souligne également qu’historiquement, les loyers évoluent de façon comparable à la croissance nominale du PIB, c’est-à-dire la croissance réelle de l’économie majorée de l’inflation.

Luca Paolini, chef stratégiste de Pictet Asset Management, estimait récemment que le secteur immobilier devrait afficher une surperformance par rapport aux marchés d’actions au cours des cinq prochaines années. Zsolt Kohalmi, global head of real estate et co-chief executive officer de Pictet Asset Management, détaille les raisons de cet optimisme. Premièrement, “même si la croissance mondiale a ralenti, la demande pour des biens immobiliers commerciaux et résidentiels reste en hausse dans la plupart des secteurs. Cette hausse survient après deux années où la construction de nouveaux bâtiments était pratiquement au point mort en raison du blocage des chantiers provoqué par le covid. Deuxièmement, si l’on peut douter de la capacité des banques centrales à trouver le bon équilibre entre maîtriser l’inflation et éviter la récession, un point suscite un large consensus: l’inflation devrait surpasser les hausses de taux d’intérêt, en particulier en Europe. Ce déséquilibre est une bonne chose pour les gouvernements très endettés, car il réduit effectivement le poids de leur dette. Il est également positif pour l’immobilier, car l’inflation contribue à faire grimper les loyers, tandis que le coût du financement augmente à un rythme plus modeste.”

Amazon a indiqué disposer “de trop d’espaces logistiques”, contribuant à des surcoûts estimés à 10 milliards de dollars sur le seul premier semestre.

Segmentation

La récente correction offre donc des opportunités à l’investisseur dans un secteur immobilier assez hétérogène. Les enjeux de chaque segment sont différents et le rendement implicite (suivant les cours de Bourse) varie quasiment du simple au double entre la logistique et les centres commerciaux. Le contraste est d’autant plus saisissant que ces deux segments sont concurrents, les entrepôts logistiques étant largement destinés à l’e-commerce.

Par ailleurs, la qualité de chaque bien est aussi de plus en plus prépondérante. Face à la flambée des prix de l’énergie et dans un contexte de transition durable, les locataires valorisent de plus en plus un bâtiment moderne, économe (isolation, capteurs de présence, chauffage performant, etc.) et bien situé: un entrepôt proche des axes logistiques, des bureaux à proximité des moyens de transport public, etc.

Dans ce cadre, les grandes sociétés immobilières spécialisées peuvent faire valoir leur expertise et leurs moyens financiers pour investir dans les meilleurs emplacements et/ou moderniser des biens vieillissants.

Réinvestir dans les leaders

En Belgique, l’investisseur est justement plutôt gâté avec 17 sociétés immobilières réglementées plus l’anversois VGP, qui construit notamment des entrepôts. Parmi ces 18 foncières, on retrouve plusieurs acteurs paneuropéens reconnus dans leur segment. On vous les (re)présente…

Aedifica. Le segment des maisons de repos est sous pression depuis plusieurs mois en raison du scandale touchant l’exploitant Orpea. La société française représente 5% des revenus locatifs d’Aedifica qui ne s’attend toutefois à aucun impact significatif sur ses comptes. D’une part, la SIR belge ne fait que louer les murs des maisons de repos concernées. D’autre part, les besoins sont tels que le risque de vide locatif est assez limité en cas de disparition d’Orpea. Aedifica n’a pas non plus revu ses ambitions de croissance, poursuivant son ambitieux plan d’expansion (835 millions de projets) dans huit pays européens. La SIR nourrit notamment des ambitions au Royaume-Uni où “le nombre de lits a augmenté de 6% (ces cinq dernières années) pour une croissance de 22% de la population âgée”. Aedifica souligne que beaucoup de maisons de repos sont en activité depuis plus de 20 ans, offrant une opportunité “de construction de nouvelles capacités plus adaptées pour des soins modernes et plus durables”. Financièrement, elle affiche un ratio d’endettement dans la moyenne de 43% avec un taux d’intérêt moyen de 1,6% et une durée résiduelle de près de six ans. Avec un rendement locatif (indexé) moyen de 5,5% et un taux d’occupation de 100%, Aedifica dispose d’une certaine marge de manoeuvre pour continuer à investir et verser un dividende attractif. Cette année, elle prévoit de relever son coupon de 9% à 3,70 euros brut par action, soit un rendement net de 3,3% (après déduction du précompte mobilier réduit de 15%). Des qualités qui expliquent que les 11 analystes suivant l’action ont un avis positif (accumuler ou acheter).

Zsolt Kohalmi
Zsolt Kohalmi© PG

WDP. La SIR flamande s’est imposée au fil des années comme une référence européenne dans les entrepôts logistiques, notamment récompensée pour ses efforts en matière de durabilité (dont un programme d’installation de panneaux solaires) et la qualité de ses emplacements. Son portefeuille de biens a plus que triplé entre 2015 et 2021 à 6 milliards d’euros. Ses trois pays phares sont la Belgique, les Pays-Bas (avec les importants trafics de marchandises générés par les ports) et la Roumanie. WDP se développe aussi en France, au Luxembourg et en Allemagne où elle a récemment acquis une participation minoritaire dans son concurrent VIB Vermogen. La chute du titre depuis le début de l’année a quelque peu apaisé l’envolée des multiples de valorisation – le cours de l’action avait triplé en quatre ans. Le rendement de dividende net pour 2022 est de 2,2% sur la base d’un coupon prévu de (au moins) 0,96 euro brut. A court terme, un ralentissement de l’e-commerce et du marché logistique pourrait continuer à peser sur le titre, ce qui explique la prudence des analystes (avis moyen de conserver). A long terme, les perspectives demeurent toutefois largement favorables.

Inclusio. Cette SIR entrée en Bourse en 2020 est spécialisée sur le segment porteur du logement social. Elle est encore en plein développement et commence seulement à verser des dividendes (0,50 euro par action pour 2021, 0,60 euro prévu pour 2022). Cette relative immaturité a pesé et le titre affiche une chute de plus de 30% depuis son introduction en Bourse. Avec un rendement de dividende net de 2,9%, une décote de 37% par rapport à sa valeur intrinsèque et un taux d’endettement limité de 24% (lui permettant de poursuivre son développement), les perspectives sont toutefois plus favorables aujourd’hui. Les analystes se montrent ainsi confiants avec un objectif de cours moyen de 22,75 euros.

Année catastrophique pour les immobilières

Xior. Cette SIR est aussi active dans les kots pour étudiants. Elle a entrepris de professionnaliser et de consolider ce segment de niche très fragmenté. D’abord active en Belgique, aux Pays-Bas et dans la péninsule ibérique, elle a récemment annoncé un investissement majeur de 939 millions d’euros en Allemagne, en Suède, au Danemark et en Pologne. Xior ne peut évidemment compter sur des baux de long terme, mais affiche des rendements locatifs relativement élevés de 5% à 6% en moyenne. Xior compte aussi continuer à croître et à améliorer son dividende avec une prévision de 1,60 euro pour 2022, soit un rendement net de 2,8%. Deux analystes sur trois sont positionnés à l’achat sur le titre.

Même si la croissance mondiale a ralenti, la demande pour des biens immobiliers reste en hausse dans la plupart des secteurs.” – Zsolt Kohalmi (Pictet Asset Management)

Retail Estates. Preuve des difficultés de ce segment, aucune des SIR actives dans l’immobilier commercial n’a su se hisser dans le Bel 20 où l’on retrouve quatre sociétés immobilières (WDP, Aedifica, VGP, Cofinimmo). Les rendements très élevés offrent toutefois des opportunités selon Paul Reuge. Les analystes privilégient Retail Estates dans ce segment en raison de son rendement de dividende élevé (5% net) et de son positionnement dans les commerces de périphérie privilégiés par Herman van der Loos de Degroof Petercam en raison “des loyers modérés et des rendements élevés”. Son taux d’occupation reste ainsi très solide à près de 98%.

Maisons de repos Le segment est sous pression depuis plusieurs mois en raison du scandale Orpea, mais les ambitions de croissance restent de mise.
Maisons de repos Le segment est sous pression depuis plusieurs mois en raison du scandale Orpea, mais les ambitions de croissance restent de mise.© Getty Images

Deux SIR en pleine reconversion

La dernière SIR belge spécialisée dans les bureaux devrait bientôt disparaître avec le rachat de Befimmo par Brookfield au prix de 47,50 euros par action, moitié moins que le plus haut enregistré par le titre en 2007. Cofinimmo et Intervest O&W ont également une part réduite de leur portefeuille dans leurs bureaux, mais privilégient d’autres segments. Ces deux acteurs méritent justement que l’on s’intéresse à eux car leur historique de spécialiste des bureaux a pesé sur leur performance boursière jusqu’à présent.

Cofinimmo. Historiquement spécialisée dans les bureaux, cette SIR a traversé une longue passe difficile. Entre 2008 et 2018, elle a ainsi dû raboter son dividende 7,80 à 5,50 euros brut par action. Depuis, ses investissements massifs dans l’immobilier de santé (maison de repos, cliniques, etc.) ont redonné des couleurs aux résultats de la SIR et elle relève à nouveau progressivement ses coupons. Pour 2022, elle table sur un dividende brut de 6,20 euros, soumis à un précompte immobilier de 30%. Le portefeuille de Cofinimmo est en effet investi à 67% dans l’immobilier de santé alors que le législateur a relevé de 60% à 80% la part nécessaire pour l’application du précompte réduit de 15%. Malgré cela, Cofinimmo affiche un rendement de dividende net de 3,8% plus attractif qu’Aedifica.

Intervest O&W. Cette SIR a décidé il y a quelques années de renforcer sa présence dans les entrepôts logistiques afin de réduire son exposition aux bureaux qui ne pèse aujourd’hui plus que 31%. Stratégiquement, la société est aussi attentive aux aspects de durabilité pour ses bâtiments. Pour l’investisseur, le principal intérêt d’Intervest Offices & Warehouses est son rendement de dividende net de 4,3% prévu pour 2022, quasiment le double de WDP. Ce qui compense un risque plus important à court terme, notamment le programme de rénovation de ses immeubles de bureaux.

-20%

Baisse du Stoxx 600 REITs, l’indice paneuropéen des sociétés immobilières réglementées, en moins de deux mois.

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