Automobile : des opportunités à saisir pour les investisseurs sélectifs

© getty images

Le secteur automobile traditionnel cote aujourd’hui suivant des multiples historiquement faibles. Ce qui offre des opportunités aux investisseurs sélectifs.

Sur la base des derniers résultats connus, le Stoxx 600 Automobile & Parts européen vaut 6,5 fois ses bénéfices annuels. Cela représente une décote de 70% par rapport à la moyenne des Bourses mondiales.

Le constat n’est pas neuf comme le rappelle Christian Schmitt, senior portfolio manager chez Ethenea: “Les constructeurs automobiles traditionnels végètent dans les profondeurs du classement des valorisations depuis des années”.

Secteur en transformation

Fondamentalement, cette faible valorisation s’explique avant tout par la transition en cours du secteur automobile: “Une vieille industrie d’engrenages et de graisse se transforme en un secteur technologique numérisé et électrifié où les véhicules deviennent des smartphones sur roues”, comme l’écrit Liam Denning, éditorialiste pour Bloomberg. Tesla, qui a vu ses ventes bondir de 87% en 2021, surfe clairement sur cette transition et présente une valorisation particulièrement tendue à 174 fois ses bénéfices estimés de 2021, dépassant largement les autres géants technologiques.

Concrètement, les marchés s’attendent à ce que les constructeurs automobiles traditionnels doivent consentir d’importants investissements et subissent de lourdes dépréciations. “Le stock de capital ( usines, brevets, etc., Ndlr) servant à la fabrication de voitures à moteur thermique deviendra désuet”, épingle ainsi Marc- Antoine Collard, économiste en chef chez Rothschild & Co Asset Management.

Parallèlement, les investisseurs estiment que Tesla et d’autres nouveaux constructeurs comme Rivian, Lucid ou Nikola continueront à capturer des parts de marché, laissant un gâteau réduit aux acteurs classiques.

Valorisations extrêmes

La position actuelle des marchés est compréhensible. Au cours des neuf premiers mois de l’année, les ventes de voitures à essence et diesel ont chuté de respectivement 12,5% et 24,6% dans l’Union européenne, selon l’ACEA, l’association européenne des constructeurs automobiles. Les ventes de voitures (entièrement) électriques ont par contre bondi de 96%, représentant 7,5% du marché.

Même en tenant compte de ces dynamiques, les écarts de valorisation apparaissent toutefois extrêmes. En Bourse, Tesla vaut en effet aujourd’hui davantage que les 10 principaux groupes automobiles mondiaux en termes de chiffre d’affaires (Volkswagen, Toyota, Daimler, Ford, GM, Honda, BMW, le groupe chinois SAIC, Stellantis, Hyundai).

De plus, les grands constructeurs progressent rapidement dans l’électrique et les technologies, à l’image de Volkswagen (gamme ID) ou de Ford (Mustang Mach-E, F 150 électrique). L’impact des dépréciations est aussi à relativiser. Même si la percée de voitures électriques est plus rapide qu’escompté, les ventes de voitures thermiques vont rester élevées pendant encore pas mal d’années. Ce qui permettra aux constructeurs d’amortir leurs investissements, d’autant plus que la plupart se contentent aujourd’hui du minimum en termes de développement de moteurs thermiques.

Volkswagen-Stellantis: le grand écart

Dans ce contexte, la valorisation du secteur automobile européen apparaît plus qu’attractive. Un multiple de 6,5 fois les bénéfices, cela signifie en effet un rendement théorique de 15,4% pour les actionnaires à la condition, à la fois simple et complexe, que le secteur affiche des bénéfices stables.

A court terme, la pénurie de semi-conducteurs joue clairement contre le secteur, forçant les constructeurs à limiter leur production. Les analystes prévoient ainsi que les profits du secteur automobile européen (Stoxx 600 Automobile & Parts) reculeront d’une dizaine de pour cent en 2022.

A plus long terme, les perspectives de rentabilité restent assez floues. D’un côté, Carlos Tavares, CEO de Stellantis (Peugeot, Citroën, Opel, Fiat, Chrysler, etc.), se montrait assez sombre à l’occasion d’une conférence organisée par Reuters le mois dernier. “Ce qui a été décidé, c’est d’imposer à l’industrie automobile une électrification qui ajoute 50% de coûts additionnels à un véhicule conventionnel… Il est impossible que nous répercutions 50% de coûts additionnels sur le consommateur final parce que la majeure partie de la classe moyenne ne sera pas capable de payer.”

A l’opposé, le groupe Volkswagen, qui ambitionne de devenir le leader mondial des voitures électriques, a relevé l’année dernière son objectif de marge opérationnelle pour 2025 de 7-8% à 8-9%. Ce qui marquerait une nette amélioration par rapport aux dernières années (4,3% en 2020 et 6,7% en 2019).

Electrique vs électrification

Ce grand écart entre les deux premiers constructeurs automobiles européens peut notamment s’expliquer par l’approche de la mobilité électrique. Stellantis privilégie jusqu’à présent l’électrification de véhicules thermiques alors que le géant allemand développe une gamme uniquement électrique, ce qui lui permet de réduire les coûts. Herbert Diess, CEO de Volkswagen, avait ainsi souligné que le coût de production d’une ID.3 était 40% inférieur à celui d’une Golf électrique. La conception d’une plateforme spécifique, le développement d’une ligne de production dédiée ou les économies d’échelle avaient contribué à cette importante réduction des coûts. Le groupe allemand compte continuer à capitaliser sur ces économies pour proposer des citadines électriques dans différentes marques (VW, Skoda, Seat) à partir de 20.000 euros en 2024-2025. L’objectif est notamment de répondre à Tesla qui s’attaque déjà au moyen de gamme (Model 3 et Y) et planche actuellement sur une voiture compacte qui devrait être commercialisée en 2023 au prix de 25.000 dollars (22.000 euros).

Même si la percée de voitures électriques est plus rapide qu’escompté, les ventes de voitures thermiques vont rester élevées pendant encore pas mal d’années.

Un exemple en termes de rentabilité

En matière de rentabilité, les grands constructeurs ont certainement beaucoup à apprendre du groupe d’Elon Musk. Avec la montée en puissance de sa production, Tesla a profité d’économies d’échelle qui lui ont permis d’afficher une marge opérationnelle de 14,6% au troisième trimestre avec une marge brute de plus de 15.000 dollars par véhicule livré. Un niveau de rentabilité dont ne peuvent que rêver Volkswagen, Stellantis, GM, Ford ou Toyota. Même un spécialiste du haut de gamme comme BMW n’affiche qu’une marge brute par voiture d’un peu plus de 6.000 euros.

Différents éléments peuvent être avancés pour expliquer les marges élevées de Tesla. Globalement, le constructeur américain reste plutôt haut de gamme, même si ses véhicules premium (Model S et X) ne représentent plus que 4% de ses ventes. Ensuite, le groupe applique la vente directe, ce qui lui permet d’économiser sur les coûts de distribution. Enfin, il a fortement investi dans l’automatisation, ayant notamment racheté cinq entreprises (Grohmann, Perbix, Riviera, Compass, Hibar Systems) entre 2016 et 2018 pour automatiser tant la production de voitures que celle de batteries.

Cela ouvre évidemment des perspectives pour les constructeurs classiques. Par exemple, Volkswagen développe de nouveaux accords commerciaux pour la gamme ID afin de faciliter la vente en ligne. Stellantis a annoncé la remise à plat de tous ses contrats avec ses concessionnaires en Europe. Daimler a fait de la vente directe une de ses priorités. Par ailleurs, l’évolution technologique devrait aussi permettre aux constructeurs d’offrir “de nouveaux services à forte marge”, comme l’épinglait Liam Denning.

A la poursuite de Tesla

Pour les constructeurs qui parviendront à suivre la transition, les perspectives pourraient donc être plutôt favorables même si les prochaines années s’annoncent incertaines. Les acteurs suivants semblent les mieux positionnés à l’heure actuelle.

Volkswagen: le groupe a parcouru du chemin depuis le dieselgate et fait aujourd’hui figure de leader européen de l’électromobilité. Il se montre aussi ambitieux en termes de numérisation et de nouvelles sources de revenus. Stratégiquement, il peut compter sur un portefeuille de marques complémentaires allant de Seat-Skoda à Porsche en passant par Volkswagen et Audi. A sept fois les bénéfices, le titre est chaudement recommandé à l’achat par une large majorité des analystes dont l’objectif de cours moyen à 12 mois est de 245 euros, soit un potentiel de hausse de 30%.

VolkswagenLe groupe ambitionne de devenir le leader mondial des voitures électriques.
VolkswagenLe groupe ambitionne de devenir le leader mondial des voitures électriques.© getty images

Ford: le deuxième constructeur américain est moins ambitieux que Volkswagen et se contenterait d’une place de numéro 2 des voitures électriques derrière Tesla. Après avoir traîné, Ford a mis les bouchées doubles, ce qui s’est notamment traduit par le lancement de la Mustang Mach-E et du F150 Lightning, la version électrique de son pick-up iconique aux Etats-Unis (avant le Cybertruck de Tesla et avec des cadences de production bien supérieures au Rivian R1 pour 2022). Le constructeur américain s’est aussi allié à Volkswagen pour certains modèles électriques et la conduite autonome (au sein d’Argo AI). A 12 fois les bénéfices, Ford est plus chèrement valorisé que les groupes européens mais les analystes se montrent plus confiants en ce qui concerne l’évolution des bénéfices au cours des deux prochaines années.

Daimler: leader des voitures haut de gamme (même si BMW a profité des problèmes de production en 2021 pour passer devant), Daimler profite d’une excellente image et d’une forte capacité de fixation de prix aux quatre coins du monde. La maison mère de Mercedes a donné un coup d’accélérateur à sa gamme électrique (EQ). Parallèlement, la stagnation des ventes de Tesla Model S et X (dont les commandes ont même été interrompues hors d’Amérique du Nord) démontrent qu’il n’est pas si évident de s’imposer dans le haut de gamme, notamment en raison des exigences de confort, de qualité (de livraison), d’image. A six fois les bénéfices, l’optimisme des analystes (18 acheter/accumuler et 5 conserver) est compréhensible.

Automobile : des opportunités à saisir pour les investisseurs sélectifs

Les deux groupes français sont les grands absents de cette liste, non sans raison. Stellantis est très bon marché, à cinq fois le bénéfice estimé de 2021. Le constructeur a annoncé d’importants investissements dans l’électrique et le numérique l’année dernière afin de combler son retard. Pour y parvenir, il compte beaucoup sur les partenariats, notamment avec LG dans les batteries, avec Waymo (Alphabet) pour l’autonomie ou Amazon pour les véhicules connectés. Forcément, ces partenaires accapareront une partie des marges. Renault apparaît encore plus à la peine. Leader historique de l’électrique, dans le cadre de son alliance avec Nissan, le groupe au losange a connu une panne de leadership avec les déboires de Carlos Ghosn et a accumulé du retard. Au niveau numérique, il s’en est remis à Google.

15,4%

Rendement théorique du secteur automobile européen.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content