Bourses: faut-il avoir peur de l’inflation?

Plus d'un observateur sur Wall Street redoute que l'inflation prenne un caractère plus structurel. © GETTY IMAGES

Longtemps oubliée, l’inflation est revenue à l’avant-plan. L’emballement des prix inquiète les marchés, habitués aux largesses des banques centrales. Quelle stratégie adopter pour votre portefeuille face à ces tensions inflationnistes?

Le redémarrage progressif des économies a stimulé la demande. Que cela soit en Europe ou aux Etats-Unis, les indicateurs d’activité manufacturière sont quasiment au plus haut. Et surtout, le commerce extérieur chinois tourne à plein régime depuis l’automne dernier. En avril, les exportations de la Chine ont bondi de 32% et ses importations de 43%. Cette forte demande se heurte à une offre sous pression en raison notamment des ruptures de chaîne d’approvisionnement, ce qui fait mécaniquement monter les prix. Sur les marchés des matières premières, le minerai de fer (acier) et le cuivre ont notamment atteint de nouveaux records historiques en mai. Et de nombreux secteurs font face à des pénuries que cela soit le bois de construction ou les semi-conducteurs.

Les entreprises ne sont pas directement affectées par l’inflation, pouvant compenser la hausse des coûts par une augmentation des prix de vente.

Pourquoi l’inflation fait-elle si peur?

Dans la zone euro, l’inflation a atteint 2% en avril. Aux Etats-Unis, les prix à la consommation affichaient même une hausse annuelle de plus de 4%. De plus, nombre d’entreprises américaines, de McDonald’s à la grande distribution en passant par le secteur de la construction, se plaignent de difficultés à embaucher des travailleurs, ce qui est de nature à faire monter les salaires et à engendrer un cycle inflationniste.

Cette envolée des prix accentue la pression sur les banques centrales, garantes de la stabilité de ceux-ci. Ce qu’il faut comprendre par une inflation inférieure à 2% pour la Banque centrale européenne (BCE) et de 2% pour la Réserve fédérale américaine (Fed). En toute logique, elles devraient donc intervenir en durcissant leur politique monétaire et en relevant leur taux directeur pour maintenir les prix sous contrôle et éviter une surchauffe de l’économie.

Ce qui explique la récente remontée des taux d’intérêt sur les marchés obligataires. Aux Etats-Unis, le rendement des bons du Trésor à 10 ans, le principal taux de référence mondial, a rebondi de 0,9% à 1,6% en six mois.

Or, on ne pourrait que sous-estimer l’impact des taux bas et des injections monétaires sur les marchés. En Bourse, les valorisations élevées sur une base historique sont justement justifiées par les taux bas. Les investisseurs acceptent de payer 21 fois les bénéfices prévus des actions américaines, soit un rendement bénéficiaire de moins de 5%, car les obligations rapportent beaucoup moins. Si le rendement du bon du Trésor à 10 ans remontait à 5% comme en 2007, ils n’auraient plus de réelle raison de courir le risque d’investir en actions au prix actuel.

Si les taux rebondissent, les cours des obligations vont aussi mécaniquement chuter. Le prix des anciennes obligations s’adapte aux conditions offertes par les nouvelles. L’immobilier est aussi très dépendant des taux, déterminant la capacité d’emprunt de la plupart des acquéreurs.

Bourses: faut-il avoir peur de l'inflation?

Les banques centrales temporisent

Ce scénario catastrophe ne s’est pourtant pas concrétisé ces derniers mois, tout au plus les Bourses ont été freinées dans leur élan haussier. Même la remontée des taux sur les marchés obligataires est largement à relativiser. Aux Etats-Unis, les taux à long terme sont globalement revenus à leur niveau d’avant la pandémie. Et dans la zone euro, nombre de pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique ou la France s’endettent toujours à taux négatif.

La principale explication est que les banques centrales n’ont pas durci leur politique, maintenant leur principal taux directeur à zéro et poursuivant leurs programmes de rachats d’actifs: des obligations d’Etat et d’entreprises pour la BCE et des bons du Trésor et des titres adossés à des crédits hypothécaires pour la Fed.

Jerome Powell, président de la Fed, avait déjà déclaré l’été dernier que l’institution se montrerait plus flexible et pourrait tolérer une inflation supérieure à 2% pendant “un certain temps” afin de soutenir le marché de l’emploi. De plus, les stratèges monétaires de la Fed ont largement tempéré l’actuelle accélération de l’inflation en soulignant qu’elle était de “nature transitoire”.

Christine Lagarde, présidente de la BCE, évoque pour sa part des “facteurs temporaires”. Récemment, Ignazio Visco, membre du conseil des gouverneurs de la BCE, est même allé plus loin en indiquant que la BCE pourrait riposter à toute remontée précipitée des taux sur les marchés obligataires qui ne serait pas justifiée par les conditions économiques. En d’autres termes, la BCE n’hésitera pas à gonfler ses rachats d’actifs si les taux augmentent trop, ce qu’avait déjà sous-entendu Christine Lagarde en mars, mettant en garde les marchés obligataires: “ils peuvent nous tester autant qu’ils le veulent”.

Inflation partiellement structurelle?

L’inflation est effectivement stimulée par des éléments temporaires comme la faible base de comparaison (printemps 2020 en plein confinement), des ruptures de chaînes d’approvisionnement. De même, les économistes s’attendent à ce que les tensions sur le marché de l’emploi s’apaisent aux Etats-Unis avec la fin des allocations de chômage majorées (dès cet été dans 25 Etats). L’économie américaine affiche en effet toujours un déficit de 8 millions d’emplois par rapport à avant la pandémie.

Cependant, plus d’un observateur sur Wall Street redoute que l’inflation prenne un caractère plus structurel. Jason Furman, ancien économiste de l’administration Obama et actuellement à l’Université de Harvard, a ainsi déclaré que l’envolée des prix en avril “n’est pas entièrement transitoire”.

Andreas Steno Larsen, stratégiste en chef chez Nordea Bank, souligne que la hausse des salaires des derniers mois intervient beaucoup tôt qu’habituellement dans le cycle de redressement économique alors que les offres d’emploi ont atteint un record de 8,1 millions fin mars. James Knightley, économiste international en chef d’ING, estime que les déficits actuels de capacité d’approvisionnement aux Etats-Unis pourraient être le signe que “les pressions inflationnistes pourraient être plus soutenues que ce que la Fed admet publiquement”.

Les plans d’investissement de Joe Biden, totalisant plus de 4.000 milliards de dollars, sont aussi de nature inflationniste. Les investissements dans les infrastructures et les installations d’énergies renouvelables attiseront notamment la demande de minerai de fer (acier) et de cuivre qui ont déjà atteint des records historiques en mai.

Enfin, l’inflation revêt aussi un côté psychologique. The Economist épinglait récemment qu’à 43 ans, le travailleur américain moyen a connu pour la première fois une inflation sous-jacente (hors éléments volatils comme l’énergie) de plus de 3% en avril. Assez logiquement, cela a gonflé les perspectives d’inflation des consommateurs qui s’attendent désormais à une hausse des prix de 4,6% au cours des 12 prochains mois. Des anticipations qui peuvent être autoréalisatrices comme l’explique Joe Davis, économiste en chef de Vanguard. “Comme les particuliers et les entreprises s’attendent à payer des prix plus élevés, ils s’attendent à être eux-mêmes payés davantage, par le biais d’une augmentation des salaires et d’une hausse des prix des biens et des services.”

Adapter son portefeuille

Sur la base des cours des obligations indexées sur l’inflation, les investisseurs anticipent désormais une inflation annuelle de 2,5% au cours des 10 prochaines années aux Etats-Unis. En France ou en Allemagne, ce niveau d’inflation attendu est d’environ 1,5% à l’heure actuelle.

Pour Marko Kolanovic, stratégiste en chef de JP Morgan et l’une de voix les plus écoutées sur Wall Street, les marchés n’ont pas encore réellement intégré l’accélération de l’inflation cette année. Il recommande ainsi, comme beaucoup, aux investisseurs de réduire leurs investissements en cash (épargne) et en obligations, et d’utiliser ces fonds pour renforcer les positions sur les matières premières et les actions.

Evidemment, l’inflation et les tensions sur les taux pourraient “se traduire par de nouveaux accès de volatilité et des vagues de turbulences sur les marchés” comme le souligne Andrea Siviero, stratégiste chez Ethenea. Mais globalement, les entreprises ne sont pas directement affectées par l’inflation, pouvant compenser la hausse des coûts par une augmentation des prix de vente. Et par rapport aux taux, la plupart se sont déjà refinancées à long terme à des conditions avantageuses.

Titres à tenir à l’oeil

Concernant les marchés des matières premières, un investissement direct est toujours délicat en raison des spécificités des contrats à terme. Les groupes miniers comme BHP et Rio Tinto profitent par contre directement de la hausse des prix des matières premières et sont faiblement valorisées sur la base des prévisions. Rio Tinto, qui retire l’essentiel de ses bénéfices du minerai de fer, du cuivre et de l’aluminium, vaut par exemple sept fois son bénéfice prévu pour cette année. Autre éventualité, un fonds indiciel sur le secteur minier comme l’ETF VanEck Vectors Global Mining UCITS (Bourse de Londres ; IE00BDFBTQ78 ; frais annuels de 0,50%) qui investit dans les principaux groupes miniers mondiaux.

Les investisseurs anticipent désormais une inflation annuelle de 1,5% au cours des 10 prochaines années en France ou en Allemagne.

De Candriam à UBS en passant par Ethenea, nombre de stratégistes privilégient aussi les petites capitalisations en Bourse. Retardataires par rapport aux géants technologiques, ces entreprises sont aussi les mieux positionnées pour profiter de la reprise de l’économie et des plans d’investissement dans les infrastructures, aux Etats-Unis mais aussi en Europe (plan NextGenerationEU). Les ETF vous permettent de diversifier vos positions. Epinglons notamment Xtrackers MSCI Europe Small Cap (Euronext Paris ; IE00BKWQ0M75 ; frais annuels de 0,30%) ou pour une exposition mondiale l’iShares MSCI World Small Cap (Bourse de Francfort ; IE00BF4RFH31 ; 0,35%). Certains fonds parviennent à se distinguer durablement sur ce segment de marché plus hétéroclite comme le BL-American Small & Mid Caps B aux Etats-Unis ou le Belfius Equities Europe Small & Mid Caps en Europe.

Reste l’or, rempart ultime contre l’inflation et la dépréciation monétaire. La hausse des prix est en effet plutôt favorable au métal jaune mais cela est compensé par la remontée des taux dans le contexte actuel.

2%

Le niveau de l’inflation dans la zone euro en avril dernier.

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