Cinq choses à savoir sur l’introduction en Bourse d’Uber et autres licornes

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Uber Technologies, la société surtout connue pour sa plateforme de réservation de voiture avec chauffeur, a publié son prospectus en vue de son introduction en Bourse (IPO). Ce document contient tout ce qu’un investisseur doit savoir pour décider d’investir ou non dans l’entreprise. Florilège.

2018 a été marquée par un nombre record d’entrées en Bourse de “licornes”, un terme employé pour désigner une entreprise technologique valorisée à plus d’un milliard de dollars. Cette valorisation est de moins en moins liée à la rentabilité d’une entreprise. Ainsi, parmi toutes les sociétés américaines entrées en Bourse l’an dernier, seuls 20% enregistraient des bénéfices. En 1980, ce taux était encore de 75%.

2019 pourrait bien être l’année des “décacornes”, c’est-à-dire celle de l’introduction en Bourse de nombreuses entreprises technologiques valorisées à plus de 10 milliards de dollars. Lyft a ouvert le bal il y a deux semaines. Le service de véhicule de transport avec chauffeur (VTC) a ainsi doublé Uber. Pour son deuxième jour en Bourse, l’action a toutefois fini sous son prix d’introduction. Ainsi il est parfois difficile pour les autres sociétés technologiques de fixer leur fourchette de prix dans le cadre de leur IPO.

1. Des entreprises fortement déficitaires

L’activité principale d’Uber et de Lyft n’est pas leur seul point commun. Il ressort de leur dossier d’entrée en Bourse que les deux entreprises sont fortement déficitaires. Le prospectus de Lyft avertissait même très explicitement les investisseurs que la société a “un historique de pertes accumulées” et “ne pourra peut-être pas atteindre ou maintenir sa rentabilité à l’avenir”.

Uber et Lyft ont ainsi enregistré l’an dernier une perte nette d’un peu moins d’un milliard de dollars : 911 millions pour Lyft et 987 millions pour Uber. Si le résultat d’Uber n’est finalement pas si mauvais par rapport à la perte d’exploitation de plus de 3 milliards de dollars, c’est grâce à toutes sortes de ventes et de plus-values sur investissements.

Uber fait une taille de plus que Lyft avec un chiffre d’affaires de plus de 11 milliards de dollars, contre un peu plus de 2 milliards de dollars pour Lyft. Dans le monde, on dénombre également plus de chauffeurs Uber (3,8 millions) que Lyft (1,1 million). Uber exerce en outre d’autres activités comme Uber Eats et Uber Freight.

2. Une rude concurrence

Uber et Lyft opèrent sur un marché hautement concurrentiel, où la notoriété est essentielle. Avec ces entreprises de services d’un nouveau genre, on suppose souvent qu’un seul acteur majeur finira par survivre. C’est peut-être pour cette raison qu’il importait autant pour Lyft d’entrer en Bourse la première car elle est nettement moins populaire et beaucoup moins connue que son rival.

Les deux acteurs proposent aux chauffeurs une plateforme leur permettant d’entrer en contact avec des personnes qui ont besoin d’une course. Si la plateforme s’octroie des revenus trop importants, les chauffeurs chercheront un autre moyen de proposer leurs services ou les consommateurs prendront d’autres dispositions pour se déplacer.

Ces entreprises ne s’affrontent pas uniquement l’une l’autre, elles font également face à la concurrence des sociétés de taxis classiques et de voitures partagées. Sans compter les véhicules autonomes que propose entre autres Alphabet, la société mère de Google.

3. Un manque de fidélité des clients

Début avril, le Wall Street Journal a annoncé qu’Apple Music avait pour la première fois dépassé Spotify en nombre d’abonnés payants aux États-Unis: 28 millions d’Américains paieraient aujourd’hui pour écouter de la musique via Apple Music sans interruption publicitaire, contre 26 millions pour les services de Spotify. Le service de streaming suédois a pourtant tout fait pour conserver le leadership sur Apple Music en offrant à ses abonnés payants un accès gratuit à la plateforme de streaming vidéo Hulu. À l’échelle mondiale, Spotify conserve néanmoins une longueur d’avance.

Il ne suffit donc pas d’être le premier à proposer un service. Le lancement de Spotify remonte en effet à 2008 alors qu’Apple Music n’a débarqué qu’en 2015. Apple possède bien entendu un énorme avantage sur Spotify puisqu’Apple Music est préinstallé sur tout iPhone.

Pour conserver ses clients, une entreprise de services doit investir dans la fidélisation de sa clientèle. Dans son prospectus, Uber fait mention d’un “programme de fidélité” lancé en janvier 2019 aux États-Unis. “Nous récompensons les clients fidèles avec des avantages tels que Uber Cash qui permet de cumuler des points pour les convertir en réductions sur des trajets ou des livraisons de repas, de profiter de conditions plus flexibles, de bénéficier du tarif le plus bas sur une course privée en UberX et d’être considéré comme un passager prioritaire lors d’un ramassage à l’aéroport.” Tout cela a un coût bien entendu et aucun signe ne montre qu’Uber ou que Lyft va cesser de dépenser sans compter.

4. Un pari sur le nouvel Amazon

Les investisseurs qui misent sur une licorne ou une décacorne déficitaire prenne un gros risque. Au cours de ses premières années en Bourse, la plateforme de commerce en ligne Amazon n’a pas non plus réalisé de bénéfices. Elle est entrée en Bourse en mai 1997 et a dû attendre le quatrième trimestre de 2001 avant de pouvoir présenter son premier bénéfice, somme toute modeste au demeurant. Ce n’est qu’en 2016 qu’Amazon a atteint une rentabilité digne de ce nom. L’an dernier, le géant de l’e-commerce a réalisé un bénéfice net record de plus de 10 milliards de dollars.

Parmi les entreprises technologiques devenues grandes aujourd’hui, très nombreuses sont celles qui ont sombré sans gloire et fait perdre beaucoup d’argent aux investisseurs. Il convient également de se demander si les investisseurs privés de la première heure n’ont pas déjà épuisé le filon. Lorsqu’Amazon est entrée en Bourse trois ans après sa création, la société valait environ 400 millions de dollars. Uber a été fondée il y a dix ans et, aujourd’hui, l’entreprise est valorisée à près de 100 milliards de dollars. Le prix d’introduction n’est pas encore connu, mais il traîne tellement d’argent bon marché à l’heure actuelle que les sociétés n’ont pas besoin d’entrer en Bourse rapidement. Elles peuvent facilement obtenir un financement en vue d’acquisitions ou d’investissements pour soutenir la croissance, même sans être cotées en bourse.

Ces dernières années, plusieurs affaires ont entaché la réputation d’Uber. Le cas d’une ancienne employée, Susan Fowler, qui dénonçait une culture de la discrimination et du harcèlement sexuel chez Uber, a été largement médiatisé. Une campagne #DeleteUber a également été menée sur les réseaux sociaux, après que la société a tenté de profiter d’une grève des chauffeurs de taxi protestant contre le décret anti-immigration de Donald Trump visant les ressortissants de pays majoritairement musulmans. Uber et Waymo, la société de taxis autonomes d’Alphabet, ont eu un différend juridique, mais celui-ci a depuis été réglé. Il est tout à fait possible que les investisseurs privés trouvent le temps d’encaisser de l’argent compte tenu de toutes ces atteintes à la réputation de l’entreprise.

5. Uber ne sera pas la dernière

D’autres entreprises technologiques ont bien l’intention d’entrer en Bourse. Pinterest, cette application qui permet de partager des photos pour inspirer d’autres utilisateurs, vient de concrétiser son IPO. Si les publicités intercalées entre les photos génèrent plus de 750 millions de dollars, les dépenses de Pinterest sont pour l’instant supérieures à ses revenus.

Airbnb (location de logements), Slack (plateforme de communication), Palantir (sécurité des données), WeWork (espaces de travail partagés), Peleton (vélos connectés) et Robinhood (services financiers) seraient les prochaines sur la liste. Toutes ces entreprises ont une valeur estimée à plusieurs milliards de dollars.

Traduction : virginie·dupont·sprl

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