Faites preuve de psychologie et négocier avec votre banquier

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S’entretenir avec son banquier privé, c’est risquer de tomber dans toute une série de pièges – dont certains sont placés par notre propre inconscient et d’autres, volontairement, par notre vis-à-vis. Voici comment manoeuvrer dans ce champ de mines et faire évoluer la rencontre à son avantage.

Le monde financier a beau être dominé par les chiffres, toutes les décisions prises dans ce domaine ne sont pas pour autant empreintes de rationalité et de logique. “Quand il s’agit d’argent, personne ne prend de décision rationnelle”, résume Anne Abbenes, spécialiste en psychologie financière. Cette pionnière active au Financial Psychology Institute Europe étudie depuis des années l’influence du cerveau, des émotions et des convictions personnelles sur le comportement financier des individus. “Il existe une forte corrélation entre le fonctionnement du cerveau et les décisions et actes posés dans le domaine financier”, insiste-t-elle.

Si cette corrélation est généralement inconsciente, elle est toujours présente, y compris lors des entretiens avec des banquiers et des gestionnaires d’actifs. Mieux vaut donc se préparer à l’échange et savoir qu’il existe des manières de l’orienter.

Partez du futur

Les questions d’argent étant souvent taboues, devoir les aborder est générateur de stress. “A fortiori quand c’est avec un inconnu, explique Anne Abbenes. L’afflux sanguin en direction du cerveau ralentit, ce qui complique la prise de décision. Mieux vaut donc avoir conscience de l’existence de ce stress, savoir l’identifier.” Reste ensuite à l’atténuer. “Le stress diminue dans les environnements familiers, poursuit notre interlocutrice. Essayez donc de fixer le rendez-vous dans un endroit où vous êtes à l’aise: chez vous, par exemple, ou n’importe où vous vous sentez bien.”

Il convient en outre de ne pas trop faire travailler le cerveau avant l’entretien. “Evitez toute sollicitation pendant les 20 minutes qui précèdent: pas d’appels téléphoniques, de courriels, de tâches ou quoi que ce soit dans le genre. Le cerveau a besoin de ce temps pour se reposer et recommencer à fonctionner correctement.”

Tout échange et toute négociation, y compris avec le banquier privé ou le gestionnaire de patrimoine, mérite préparation. “Réfléchissez aux raisons pour lesquelles vous sollicitez son intervention, conseille la spécialiste. Si par exemple, vous souhaitez lui parler de votre pension, identifiez vos attentes en la matière. Faites comme si le futur était aujourd’hui et prenez cette situation comme point de départ. Sachez à quoi vous voulez que vos journées, votre vie, ressemblent après votre retraite. Ne laissez pas les questions de votre interlocuteur vous écarter de la voie que vous vous êtes tracée: elles ont souvent pour but de vous amener à un endroit (un produit, un service) bien précis. Or, c’est vous qui savez ce que vous voulez. L’argent n’est pas une fin en soi ; ce qui compte, c’est ce qu’il vous permettra de faire. Partez toujours de ce principe.”

Il existe une forte corrélation entre le fonctionnement du cerveau et les décisions et les actes posés dans le domaine financier.” – Anne Abbenes (Financial Psychology Institute Europe)

En échange de son intervention, le banquier exigera une rémunération. Réfléchissez-y. “Que seriez-vous disposé à lui payer s’il accédait à votre requête? demande la psychologue. Exprimez votre réponse en euros, pas en pour cent: les pourcentages ne disent rien. Pensez et parlez toujours en espèces sonnantes et trébuchantes. Une fois l’objectif et la contrepartie fixés, laissez-le vous faire des propositions d’investissement concrètes. En inversant ainsi les rôles, vous prenez les rênes de la conversation.”

Faites-le sortir de sa zone de confort

Durant la rencontre, le banquier ou le gestionnaire vous enverra des signaux qui vous aideront à évaluer son état d’esprit. “S’il vient vous accueillir à la porte de son bureau, c’est signe de sa volonté de s’investir personnellement pour vous, décrit Anne Abbenes. Si le rendez- vous a lieu à votre domicile et qu’il prend un certain nombre d’initiatives (en ouvrant lui-même les portes ou en se servant à boire, par exemple), cela signifie qu’il considère qu’il a ou qu’il aura la main sur l’intégralité de la gestion de vos finances et qu’il n’est pas disposé à vous la rendre. Demandez-vous si c’est bien ce que vous voulez.”

Les silences ont leur utilité également. “Les gens qui savent supporter les silences sont généralement à l’aise avec eux-mêmes. En revanche, si votre interlocuteur vous abreuve de paroles, c’est sans doute signe de son envie de vous débiter son scénario commercial. Pour contrer cela, faites-le sortir de sa zone de confort, en l’installant par exemple face à la lumière, ce qui est toujours déplaisant. Tentez d’extraire l’individu de derrière son mur de chiffres et d’objectifs commerciaux.”

Le jargon peut faire obstacle à un échange de qualité. “Le premier réflexe, lorsqu’un professionnel parle en des termes que l’on ne comprend pas, est d’avoir honte: personne n’aime être pris pour un ignorant. Il faut savoir surmonter ce sentiment et réclamer absolument toutes les explications nécessaires”, conseille Anne Abbenes.

Poser des questions ciblées peut être utile également. L’experte juge les questions à échelle toujours très efficaces lorsqu’il s’agit de percer quelqu’un à jour. “Vous pouvez, par exemple, demander à votre interlocuteur dans quelle mesure, sur une échelle de 1 à 10, il est certain que ses propositions vous permettront de réaliser vos objectifs. Imaginons que la réponse soit 7. Poursuivez: pourquoi pas 4? que faudrait-il faire pour atteindre 9 ou 10? Personne ne s’attend à un tel interrogatoire. Vous pouvez également demander pourquoi les rendements obtenus jusqu’ici par le produit n’ont pas été supérieurs, ou inférieurs, à ce qui vous est présenté. Faites comprendre à votre vis-à-vis que vous voulez qu’il apporte sa dose de réflexion au dossier.”

Fiez-vous à vos neurones miroirs

Ne confondez pas négociation et duel. “Les négociations ne sont pas une guerre, expose la chercheuse. Elles sont le moyen d’atteindre des buts: le gestionnaire de patrimoine veut gagner de l’argent, vous voulez qu’il fasse fructifier votre patrimoine. Tentez d’identifier les objectifs que vous avez en commun et les façons de les atteindre.” Toutes les idées préconçues, la gêne et les pièges liés au thème de l’argent mis de côté, l’enjeu est de parvenir à nouer une vraie relation, que des réflexes ancestraux aident à identifier. “Par ‘relation’, je n’entends pas des échanges superficiels, comme peuvent en avoir des enfants du même âge ou qui exercent un même hobby: je songe à une connexion franche à l’occasion de laquelle la personne montre qu’elle a vraiment envie de s’engager pour vous, pas seulement de vous fourguer un produit. Un bon gestionnaire de patrimoine écoute ce que vous avez à lui dire avant de vous prodiguer un avis sur mesure. Les neurones miroirs servent précisément à reconnaître cette franche relation. Si celle-ci ne vous apparaît pas ou si, pour une raison ou une autre, vous vous sentez mal à l’aise, ne vous engagez surtout pas”, conclut Anne Abbenes.

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