Gambitious: quand investir devient un jeu

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L’entreprise américano-néerlandaise Gambitious propose au public d’investir dans la production et le marketing de ses nouveaux jeux et de s’en partager, cinq ans durant, les revenus. Les jeux sont toutefois une industrie à haut risque.

L’industrie des jeux vidéo pèse aujourd’hui 95 milliards d’euros par an, calcule le bureau d’études américain Superdata Research. C’est trois fois plus qu’il y a 10 ans. Un secteur éminemment intéressant pour les investisseurs, du moins s’il n’était pas si hermétique. Il est toutefois possible d’acheter des titres d’entreprises cotées en Bourse comme Activision Blizzard (Call of Duty), Electronic Arts (Fifa), Ubisoft (Assassin’s Creed) ou Square Enix (Tomb Raider) ce qui, pour autant que l’on ne soit pas trop pressé, est plutôt une bonne idée : entre le début 2011 et aujourd’hui, les actions de ces studios à succès ont vu leur valeur multipliée de l’ordre de deux à six. L’avantage des titres d’entreprises ? L’investissement porte sur un éventail de jeux.

TRAIN FEVER. Ce simulateur est le premier jeu mis sur le marché par Gambitious, en 2014. © GAMBITIOUS
TRAIN FEVER. Ce simulateur est le premier jeu mis sur le marché par Gambitious, en 2014. © GAMBITIOUS© GAMBITIOUS

Mais l’entreprise américano-néerlandaise Gambitious veut aller beaucoup plus loin. Cela fait plusieurs années déjà qu’elle propose aux particuliers américains d’investir dans des productions spécifiques dont elle est l’éditeur. Voilà qu’elle ouvre désormais la porte aux investisseurs belges. Un portail permet d’affecter un certain montant (à partir de 2.250 euros) au budget de développement d’un des jeux que conçoit le groupe, et de suivre à tout moment son investissement. Une fois le jeu sur le marché, toutes les parties sont rémunérées pendant cinq ans. Gambitious assure avant tout le remboursement de l’intégralité de l’investissement (et permet par conséquent à l’investisseur, ainsi qu’à elle-même évidemment, de récupérer sa mise), et partage dans un second temps, sur la base d’une clé de répartition, le bénéfice au prorata de l’apport des investisseurs, de Gambitious elle-même et du studio de développement.

Ça passe ou ça casse

Gambitious permet d’affecter un certain montant (à partir de 2.250 euros) au budget de développement d’un des jeux que conçoit le groupe, et de suivre à tout moment son investissement.

” Nous n’ignorons pas que le secteur des jeux vidéo effraie un peu, commente le fondateur de Gambitious Paul Hanraets. Pourtant, dans la plupart des cas, nos investisseurs ont immédiatement – c’est-à-dire après un trimestre seulement – récupéré leur mise. Gambitious investit lui-même toujours dans ses jeux : c’est dire qu’il a confiance. Il arrive même que nous prenions une participation à titre personnel dans certains titres. ”

Le simulateur Train Fever (2014), le premier jeu mis sur le marché par Gambitious, a été amorti en moins d’un mois et a rapporté un joli bénéfice tant au groupe qu’aux investisseurs. Ceux-ci, pour la plupart américains, se félicitent d’enregistrer aujourd’hui un retour sur investissement de 102 %, alors qu’on n’en est même pas encore à la moitié des cinq années prévues.

Mais attention : le risque n’est pas négligeable. Les deuxième et troisième projets lancés par Gambitious ont immédiatement échoué. Si Magnetic : Cage Closed et Breach&Clear : Deadline sont sur le marché depuis plus d’un an maintenant, ils n’ont à ce jour rapporté, respectivement, qu’un peu plus de la moitié et du tiers de la mise. Gambitious a dû attendre le lancement du metroid-like rétro Xeodrifter et du western Hard West, fin de l’année passée, pour renouer avec le succès.

” Le jeu est une industrie où ‘ça passe ou ça casse’, admet Paul Hanraets. Mais il ne faut pas nécessairement que le succès soit éclatant pour que l’investissement soit rentable. D’autant que lorsqu’un titre est à la traîne, nous renonçons à notre pourcentage et tentons tout ce qui peut l’être pour atteindre l’équilibre, voire un peu plus, sur cinq ans. Nous essayons de prolonger quelque peu l’effet long tail, en proposant par exemple le jeu dans des boîtiers spéciaux en compagnie de nos productions les plus récentes. ”

Investir malin

PAUL HANRAETS, FONDATEUR DE GAMBITIOUS :
PAUL HANRAETS, FONDATEUR DE GAMBITIOUS : “Nous n’ignorons pas que le secteur des jeux vidéo effraie un peu.” © DR

Aucun des jeux vidéo mis sur le marché par Gambitious n’ayant encore atteint l’âge de cinq ans, il est difficile d’imaginer l’avenir avec un minimum de précision. Les cinq productions les plus rentables actuellement commercialisées, dont le retour sur investissement flirte avec les 31 % en moyenne, sont peu représentatives de ce que rapporteront les titres futurs : tout est encore trop nouveau. Il ne reste donc qu’à attendre de pouvoir calculer le rapport entre réussites et échecs au moment où Gambitious aura derrière lui la commercialisation de quelques dizaines de jeux.

” Les perspectives sont en tout cas intéressantes, affirme Johnny Mills, développeur de jeux vidéo belge, ex-producteur et ancien propriétaire d’une entreprise spécialisée dans ce domaine. En principe, sept titres sur 10 échouent, deux atteignent tout juste le point d’équilibre et un devient un hit. Ce qui veut dire que ceux qui le mettent sur le marché font nettement mieux que la moyenne. Le rendement peut être influencé par le niveau d’encadrement. Mais aussi par la taille des investissements dans le marketing et la communication. Bien souvent, la vente n’est absolument pas le truc du game maker qui se lance. ”

Sept titres sur 10 échouent, deux atteignent tout juste le point d’équilibre et un devient un hit.” Johnny Mills, développeur de jeux vidéo

Ne vous attendez pas à pouvoir investir demain dans un nouveau Call of Duty. Les jeux proposés par Gambitious disposent d’un budget de développement qui va de quelques centaines de milliers d’euros à 1 million, alors que les vrais blockbusters absorbent des dizaines de millions d’euros. Gambitious soutient le circuit des développeurs indépendants (indies dans le jargon), dont bon nombre ont travaillé pendant des années pour de grandes enseignes avant de vouloir voler de leurs propres ailes. Cette catégorie de produits se nourrit abondamment de la sous-culture propre aux video gamers, qu’il est recommandé d’essayer de comprendre un minimum pour pouvoir investir en toute connaissance de cause.

Bref, mieux vaut, non seulement pour l’investisseur, mais aussi pour le développeur, investir malin. ” J’aime les investissements auxquels est liée une composante d’incubation, admet Johnny Mills. Les game makers les plus indépendants sont avant tout des amateurs, qui ont besoin d’un environnement propice à la professionnalisation de leur projet. L’accompagnement peut aller très loin. ”

Gambitious: quand investir devient un jeu
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C’est ce que tente de faire Gambitious, précise Paul Hanraets. La compagnie a par exemple engagé, au profit d’un projet qui paraissait voué à l’échec, un spécialiste qui a rationalisé le processus de développement et veillé au respect des délais – appelés milestones. Elle sait aussi qu’il lui faut pouvoir convaincre les investisseurs. Elle a par exemple en magasin un certain nombre de jeux en pixel graphics, dont l’esthétique évoque celle des produits mis sur le marché il y a 30 ans. ” Certains de nos investisseurs les ont mal accueillis, relate Paul Hanraets. Ils trouvaient qu’ils ne ressemblaient à rien, ils se plaignaient d’avoir l’impression de jouer sur un Commodore 64. Il a fallu leur montrer plusieurs succès récents édités par la concurrence, comme Hotline Miami, pour les convaincre qu’il s’agit là d’une esthétique acceptable dans la culture du gamer d’aujourd’hui. Nombre de nos investisseurs viennent du secteur des médias ; ils ont des affinités avec le jeu et vont à la pêche dans nos cartons. Mais d’autres s’intéressent tout simplement au rendement et font confiance au modèle que nous avons développé. ”

Essoufflement du financement participatif

On peut souscrire sur la plateforme mise en ligne par Gambitious à partir de quelques milliers d’euros, de sorte que le système peut être considéré comme un canal de crowdfunding à part entière. Le succès du financement participatif du secteur s’essouffle pourtant rapidement, déplore l’entreprise de consultance spécialisée dans les jeux. Ico Partners : Kickstarter, la plus grande plate-forme de crowdfunding du monde, a réuni au premier semestre de cette année quelque 7,2 millions d’euros seulement au profit de productions vidéo, contre 18 millions d’euros encore sur la même période en 2015. L’époque où un seul jeu attirait les prises de participation par millions est révolue elle aussi : les montants oscillent généralement entre 50.000 et 250.000 euros.

Plusieurs jeux belges ont pourtant remporté un vif succès par le passé. Divinity : Original Sin, de l’entreprise gantoise Larian, avait réuni il y a quelques années 840.000 euros via la plate-forme. Quant à Divinity : Original Sin II, son successeur, il a d’ores et déjà attiré 1,78 million d’euros. Ces campagnes de financement ont pour objet d’augmenter le budget de développement disponible.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit, nous éclaire Bram Michielsen, cofondateur de l’ASBL The House of Indie, à Anvers, qui s’est donné pour but de mettre ses connaissances au service des développeurs indépendants. “Les projets de financement participatif ne couvrent quasiment jamais l’intégralité des frais de développement ; ils servent donc souvent à prendre en charge les coûts supplémentaires. Voire, dans le cas de jeux très commerciaux, à en mettre un coup sur le marketing.”

La plateforme ne s’adresse à l’heure actuelle qu’aux investisseurs enregistrés auprès de la FSMA, l’Autorité (belge) des services et marchés financiers, qui opèrent donc à partir d’une société ou d’une association. Avant que les petits investisseurs ne puissent eux aussi se lancer dans l’aventure, un prospectus doit être publié. A moins que la plateforme se conforme aux conditions qui l’exempteraient de cette obligation. Paul Hanraets prépare actuellement un dossier en ce sens. Sont exemptés de publication de prospectus, les investissements qui sont souscrits par moins de 150 personnes, si le seuil minimum d’investissement est de 100.000 euros, ou si le montant total que les concepteurs de jeux souhaitent atteindre est inférieur à 100.000 euros.

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