Investir: Morningstar sur la sellette

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Trois chercheurs américains accusent le géant des services financiers de ne pas classer correctement les fonds obligataires, qui déclareraient des portefeuilles beaucoup plus sûrs que ce qu’ils détiennent en réalité.

Un groupe de chercheurs universitaires américains a pris pour cible Morningstar, le géant des services financiers, affirmant que la société persuade les investisseurs d’acheter des produits non adaptés en sous-évaluant le niveau de risque de nombre de fonds qu’elle note. Dans une étude publiée récemment, les professeurs Huaizhi Chen, Umit Gurun et Lauren Cohen faisaient remarquer que Morningstar se fonde sur des autoévaluations fournies par des fonds américains à revenu fixe pour établir sa classification. En recoupant ces données avec celles qui doivent être déposées auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) comme la loi américaine l’exige, les chercheurs ont découvert que de nombreux fonds ont déclaré à Morningstar un nombre plus élevé d’obligations notées triple A et double A que ce qu’ils détiennent en réalité.

Nous devons nous assurer que Morningstar fait bien ce qu’il prétend faire, car l’importance de son travail ne fera que s’accroître. ” Lauren Cohen (Harvard Business School)

D’après le trio, ces fausses déclarations incitent à terme les investisseurs à placer de l’argent dans des fonds mal classifiés. D’après leurs estimations, ces dernières années, environ 30% des fonds disposant d’une notation de crédit élevée ou moyenne se sont vu attribuer un profil moins risqué que ce qu’il aurait dû être.

Méthodologies exclusives

Morningstar a rétorqué que les chercheurs avaient ” mal compris ” les ” méthodologies exclusives ” utilisées par la société, et avaient fait un mauvais usage de certaines de ses données pour en tirer des ” conclusions hâtives “. Considérée comme le fournisseur d’informations financières incontournable pour de nombreux conseillers financiers et investisseurs particuliers aux Etats-Unis, la société basée à Chicago attribue des notes à des centaines de fonds à revenu fixe en se basant sur son système exclusif de notation à étoiles, qui prend en compte les évaluations passées de la performance ajustée au risque, le coût, et d’autres valeurs. Morningstar a ajouté : ” Nous veillons à l’exactitude de nos données et analyses, et nous sommes tout à fait disposés à aider les auteurs à comprendre les données qu’ils ont utilisées et à clarifier nos méthodologies. ”

Investir: Morningstar sur la sellette

D’autres études universitaires ont établi des liens entre ces notations et le comportement des investisseurs, avec d’importants afflux en cas de hausse, et des sorties en cas de baisse. Les actifs sous gestion détenus dans des fonds obligataires ont atteint à la fin juin de cette année un niveau record de 9,4 billions de dollars, soit deux fois plus qu’en 2010, l’écart des taux d’intérêt négatifs sur les marchés à revenu fixe ayant tiré à la hausse la valeur du marché obligataire à l’échelle mondiale. ” Les gens considèrent la notation à étoiles comme une sorte de feu vert “, a déclaré Samuel Lee, conseiller financier et ancien stratège chez Morningstar. Il a ajouté qu’en se basant sur des données transmises par les fonds eux-mêmes, la société ” s’expose à la manipulation ” des gestionnaires de fonds, qui rémunèrent Morningstar pour ses services. ” Les sociétés de gestion de fonds vont exploiter leur atout. C’est un comportement rationnel de leur part. ”

Dans les conclusions de leur étude, les chercheurs universitaires affirment que bien que Morningstar ait accès aux données de la SEC sur les participations des fonds, la société choisit de s’appuyer principalement sur les rapports qui lui sont transmis par les gestionnaires, où la mauvaise estimation du risque est ” persistante, répandue et manifestement stratégique “. Les classifications erronées sont ” massivement unilatérales, dit l’article. Un pour cent de toutes les inexactitudes ont rétrogradé le fonds dans une catégorie inférieure – les 99 autres pour cent ont élevé le fonds dans une catégorie plus sûre. ”

Booster les performances

Les chercheurs ajoutent que les classifications erronées ont eu pour effet de booster les performances des fonds concernés par rapport à d’autres fonds de même catégorie. Si les fonds mal classifiés étaient comparés à des fonds ayant vraiment un profil de risque similaire, cette surperformance n’existerait plus. ” Nous devons nous assurer que [Morningstar] fait son travail et fait bien ce qu’elle prétend faire, car l’importance de son travail ne fera que s’accroître “, a déclaré Lauren Cohen au Financial Times.

Lauren Cohen est professeur en gestion des affaires à la Harvard Business School. Umit Gurun est professeur en comptabilité à l’université du Texas. Huaizhi Chen est professeur adjoint au Mendoza College of Business de l’université de Notre Dame, dans l’Indiana.

The Financial Times

Et en Europe ?

L’étude des professeurs Huaizhi Chen, Umit Gurun et Lauren Cohen porte sur des fonds obligataires américains, mais les chercheurs supposent qu’une étude similaire réalisée en Europe donnerait les mêmes résultats. ” Nos conclusions semblent indiquer que les investisseurs et les législateurs devraient exercer un contrôle plus actif sur les intermédiaires tels que Morningstar, a déclaré Lauren Cohen au journal d’affaires néerlandais Het Financieele Dagblad. Nous pensons que ce phénomène et le comportement de Morningstar ne sont pas spécifiques à un pays. ”

Les notations de Morningstar ne sont pas la panacée et les investisseurs n’ont certainement pas intérêt à s’y fier aveuglément. La société d’analyse a fait savoir dans une réaction qu’elle ne voyait dans l’étude universitaire aucune preuve que des étoiles aient été attribuées à tort à des fonds ou que des obligations aient été systématiquement affectées à une catégorie erronée. Morningstar reconnaît qu’il existe des différences entre les données rapportées et ses propres calculs, mais explique cela par des motifs techniques.

En supposant que certains fonds aient été incorrectement notés par Morningstar en Europe, les investisseurs lésés seraient en droit de porter l’affaire en justice et de réclamer un dédommagement. Ils devraient alors apporter la preuve qu’ils ont été mal informés et qu’en conséquence, ils ont subi un préjudice. Enfin, la question se pose de savoir qui peut être tenu pour responsable. Une affaire taillée pour les avocats spécialisés en demandes de dédommagement collectives.

I.D.W.

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