Italie, Angleterre, Allemagne: le spectre de la crise des dettes souveraines

GIORGIA MELONI durant la campagne pour les législatives italiennes. Les marchés avaient anticipé la victoire de Fratelli d'Italia. © GETTY IMAGES

La victoire de l’extrême droite aux dernières élections en Italie a tendu les marchés. Le premier test semble toutefois réussi pour le nouvel instrument anti-fragmentation de la Banque centrale européenne. Mais la situation est encore loin d’être apaisée, comme le montrent l’Angleterre et l’Allemagne. Tout profit pour le dollar!

Tel un domino en équilibre instable, l’Italie ne cesse de concentrer les frayeurs des marchés depuis l’éclatement de la crise des dettes souveraines de la zone euro. Rappelez-vous: dès la fin 2011, Mario Monti est appelé à la rescousse alors que le gouvernement Berlusconi tombe. Nommé président du conseil, “le Professeur” doit veiller à éviter que ne tombe ce domino pesant la bagatelle de 1.900 milliards d’euros de dettes, après que la Grèce, le Portugal et l’Irlande eurent, eux, déjà chuté. Mais tandis que les tensions restent palpables, l’Italie peut compter sur un de ses compatriotes, Mario Draghi, alors président de la Banque centrale européenne (BCE). A l’été 2012, il prononce à Londres sa célèbre réplique “whatever it takes” (“quoi qu’il en coûte”). Trois mots qui “ont sauvé l’euro”, estime notamment Christine Lagarde, à l’époque directrice générale du Fonds monétaire international.

Coalition populiste

Pourtant, si comme promis, la BCE stabilise ensuite les marchés à coup d’assouplissements quantitatifs, l’Italie n’est alors toujours pas apaisée politiquement. En 2018, les deux grands gagnants des élections législatives sont en effet La Ligue et le Mouvement 5 étoiles. Populistes de droite et de gauche finissent par former un gouvernement, une coalition qui tend les marchés et le spread. L’Italie doit ainsi payer jusqu’à 3% de plus que l’Allemagne pour s’endetter à 10 ans, une cote d’alerte. Mais l’étrange coutume italienne voulant que les gouvernements n’aillent jamais au bout de leur mandat finit par rassurer les marchés, dès 2019.

4,5%

Taux souverain à 10 ans du Royaume-Uni la semaine dernière, contre moins de 2% début août.

D’autant que début 2021, l’idole des marchés, Mario Draghi, est appelé au chevet de son Italie natale. Sa politique rassure et le spread italien tombe au plus bas, à moins de 1%. La crise politique de l’été dernier met toutefois fin à l’idylle. Mario Draghi démissionne, les Italiens sont appelés aux urnes et plébiscitent Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite présidé par Giorgia Meloni, à la tête d’une coalition qui regroupe principalement La Ligue et Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi.

A première vue, la réaction des marchés à ce vote apparaît mesurée. On n’a en effet pas constaté d’emballement des taux italiens la semaine dernière, au lendemain du scrutin. C’est oublier que le mal avait déjà été fait, Fratelli d’Italia étant donné gagnant dans les sondages depuis de longues semaines. Le spread italien atteint ainsi actuellement à nouveau 2,5%, une zone d’autant plus dangereuse que les taux de référence allemands ont aussi fortement progressé, de moins de 1% début août à 2,3% pour le rendement à 10 ans.

Même l’Allemagne a vu son excédent commercial s’effondrer ces derniers mois.

L’Italie doit ainsi promettre un taux de 4,7% pour s’endetter à 10 ans alors que sa dette atteint désormais près de 2.800 milliards euros. Pour Jack Allen-Reynolds, senior Europe economist au bureau de recherche Capital Economics, la soutenabilité de la dette italienne pourrait être compromise si le taux à 10 ans grimpe à plus de 5%. Les économistes du gestionnaire d’actifs DWS pointent pour leur part que la hausse des taux deviendra surtout un problème s’ils dépassent la croissance nominale (croissance réelle + inflation). Pour l’agence Bloomberg Economics, “une crise de la dette italienne pourrait éclater à tout moment“.

Instrument anti-fragmentation

Jusqu’à présent, le pays a sans doute évité le pire notamment grâce au nouvel instrument anti-fragmentation (TPI, pour “Transmission protection instrument”) présenté à l’été par la BCE. Cette dernière a arrêté ses programmes de rachat d’obligations d’Etat au printemps, mais elle s’est dotée de ce nouvel outil. “Le TPI veillera à ce que l’orientation de la politique monétaire soit transmise sans heurt dans tous les pays de la zone euro“, précise la BCE. En d’autres termes, son objectif est une remontée ordonnée des taux ne risquant pas de rompre la cohésion de la zone euro.

Si les taux d’un pays devaient trop fortement s’écarter, “la BCE pourrait intervenir sous certaines conditions en achetant sans limite les emprunts des Etats les plus sous pression”, explique Guy Wagner, chief investment officer de Banque de Luxembourg Investments.

Parmi les conditions, le pays doit se conformer au cadre budgétaire de l’Union européenne et ne peut pas faire l’objet d’une procédure de déficit excessif. La BCE indique également qu’elle examinera la viabilité budgétaire du pays et qu’elle vérifiera s’il a mis en place des “politiques macroéconomiques saines et durables”. Il s’agit donc davantage de critères politiques et d’appréciation que de données objectives.

Jusqu’à présent, la BCE n’a pas encore utilisé ce nouvel instrument mais son existence est de nature à freiner les craintes des marchés et la hausse des spreads. Pour Marco Protopapa de JP Morgan, l’institution francfortoise pourrait l’activer si le taux à 10 ans de l’Italie dépasse 5,25% et que le spread avec l’Allemagne excède 3%.

OLAF SCHOLZLe chancelier allemand a présenté un
OLAF SCHOLZLe chancelier allemand a présenté un “bouclier” de 200 milliards d’euros censé protéger ses compatriotes contre l’envolée des prix de l’énergie, mais la mesure risque d’encore attiser l’inflation.© GETTY IMAGES

Crise britannique

L’autre élément ayant pu détourner l’attention des marchés de l’Italie est la crise qui a éclaté au Royaume-Uni. Le vendredi 23 septembre, le budget dévoilé par Kwasi Kwarteng, chancelier de l’Echiquier du nouveau gouvernement de Liz Truss, a fait souffler un vent de panique sur les marchés britanniques.

Les principaux éléments sont un gel du plafond à 2.500 livres par an des factures de gaz et d’électricité pour les ménages, la prise en charge de la moitié des factures énergétiques des entreprises pendant six mois et de vastes réductions d’impôts sans aucune recette pour financer ces mesures. Selon l’agence Bloomberg, cela représente au total un coût de l’ordre de 200 milliards de livres au cours des 18 prochains mois. Un montant qui gonflera la dette publique et risque fort d’attiser encore un peu plus l’inflation. Cette dernière était déjà de 9,9% en août. Et fin août, Goldman Sachs prévenait qu’elle pourrait atteindre 22% l’année prochaine.

Une crise de la dette italienne pourrait éclater à tout moment.

Bloomberg Economics

En cause, l’envolée des prix de l’énergie mais aussi la chute de la livre. Cette dernière s’est accentuée après la présentation du premier budget de Liz Truss. En dollars, la monnaie britannique a chuté à son plus bas depuis l’adoption du système décimal en 1971, frôlant même la parité (à 1,03 dollar).

Ce qui a forcé la Banque d’Angleterre à intervenir pour stabiliser la livre et freiner l’emballement des taux. Le taux souverain à 10 ans du Royaume-Uni a en effet bondi jusqu’à 4,5% contre moins de 2% début août. La mesure phare de cette intervention est l’annonce du rachat de 65 milliards de livres, ce qui va complètement à l’encontre de sa politique de durcissement monétaire des derniers mois pour contrer l’inflation.

Mauvais exemple allemand

Le budget de Kwasi Kwarteng et Liz Truss a été vertement critiqué de toutes parts. Le Fonds monétaire international estime que cela “va accroître les inégalités”. Ray Dalio, fondateur du hedge fund Bridgewater, y voit de “l’incompétence”, le jeune gouvernement n’ayant vraisemblablement pas anticipé l’impact sur les marchés. Et l’Institute for Fiscal Studies évoque un “énorme pari”, pointant que ces réductions d’impôts sont les plus importantes depuis le budget de 1972… qui s’était terminé par un désastre en raison de son effet inflationniste.

Pourtant, l’exemple britannique a fait des émules. Le chancelier allemand Olaf Scholz a présenté à la fin de la semaine dernière un “bouclier” de 200 milliards d’euros censé protéger les entreprises et les ménages contre l’impact de l’envolée des prix de l’énergie. Le programme sera financé par endettement, tout comme le budget de 100 milliards précédemment annoncé pour moderniser l’armée allemande.

Pour Lion Hirth, professeur de politique énergétique à la Hertie School de Berlin, plafonner le prix du gaz est “exactement la mauvaise approche” alors que le pays doit réduire sa consommation pour éviter une pénurie. Ce déversement d’argent public risque aussi d’attiser une inflation qui atteignait déjà 10,9% en septembre en Allemagne.

Ce n’est donc pas seulement l’Italie qui risque de compliquer les manoeuvres de la BCE pour freiner l’inflation. Ce qui pèserait de facto sur l’euro qui affiche déjà des taux inférieurs au dollar et est passé sous la parité avec le billet vert le mois dernier.

Et les perspectives économiques demeurent très difficiles entre l’inflation élevée, les problèmes d’approvisionnement en énergie et la détérioration de la balance commerciale. Même l’Allemagne a vu son excédent commercial s’effondrer ces derniers mois, la chute de l’euro ne soutenant pas du tout les exportations.

Le roi dollar

Sur les marchés financiers, le mantra “the dollar is kingest plus que jamais d’actualité en cette période chahutée. Selon la dernière enquête de Bank of America auprès de gestionnaires de fonds internationaux, 56% sont positionnés à la hausse sur le dollar et 52% sous-pondèrent les actions. Selon les stratégistes de Citigroup, les investisseurs internationaux ont notamment déjà retiré 98 milliards de dollars de capitaux des Bourses européennes.

Le billet vert est d’autant plus attractif que le rendement du bon du Trésor américain à deux ans dépasse déjà 4%. Et il ne faut sans doute pas s’attendre à une intervention rapide de la Réserve fédérale américaine pour faire baisser le dollar. La hausse du billet vert fait en effet ses affaires dans sa lutte contre l’inflation en réduisant les prix en dollar des biens importés.

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