La biotech, un investissement à impact?

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Les chiffres de vente décevants de la biotech liégeoise Mithra pour sa pilule contraceptive révolutionnaire illustrent une nouvelle fois les risques inhérents aux investissements dans la recherche médicale.

A l’heure d’écrire ces lignes, l’action Mithra cote aux alentours de 14 euros sur Euronext Bruxelles, en baisse de plus de 40% depuis juin dernier. Ces 10 derniers mois ont pourtant été ponctués d’une série d’événements historiques pour la biotech liégeoise. Le 21 juin, elle a ainsi lancé, avec son partenaire Mayne Pharma, la commercialisation de sa pilule contraceptive de nouvelle génération Estelle aux Etats-Unis sous le nom Nextstellis. Plusieurs autres pays européens ont suivi sous la marque Drovelis. Mithra a aussi commercialisé son anneau contraceptif Myring dans plusieurs pays. Au niveau des développements cliniques, la biotech a obtenu des premiers résultats positifs pour la dernière phase d’étude du Donesta, un traitement des symptômes de la ménopause composé d’Estetrol, un oestrogène d’origine naturelle, comme la pilule Estelle.

La commercialisation de la plupart des traitements s’assimile à un long parcours semé d’embûches.

Ces nouvelles positives n’ont guère suffi à soutenir le cours, notamment en raison des ventes annoncées le mois dernier. Mithra a enregistré un chiffre d’affaires de 13,4 millions d’euros en 2021 pour la pilule Estelle, plutôt décevant. La biotech liégeoise évoque plusieurs explications, comme “la réduction du nombre de visites chez le médecin, tant du côté des délégués médicaux que des patientes, l’absentéisme dans les équipes commerciales” en raison du Covid-19, etc.

On pourrait encore ajouter le prix largement plus élevé d’Estelle par rapport aux pilules les plus vendues, ou la mise en garde concernant le risque thrombotique (thrombose veineuse profonde, infarctus, AVC). Un risque qui explique notamment que moins de femmes ont recours à la pilule dans les pays occidentaux. Au niveau mondial, son usage est ainsi passé de 8,8% chez les 15 à 49 ans dans l’étude 2015 des Nations unies, à 8,0% dans l’étude 2019.

Bis repetita

Bref, un ensemble d’éléments peuvent expliquer le démarrage poussif des ventes. Mithra annonce une amélioration, notamment aux Etats-Unis: “les données actuelles indiquent clairement une accélération du lancement sur le marché américain, attendue en 2022”. Les analystes se montrent d’ailleurs plutôt confiants. Degroof Petercam a, par exemple, confirmé l’objectif de ventes annuelles de 900 millions de dollars à terme pour le Donesta.

Aux oreilles de nombreux investisseurs belges, ce scénario sonne toutefois comme un disque rayé. En 2013, le Jetrea d’Oxurion, ex-ThromboGenics, était promis au statut de blockbuster (ventes supérieures à un milliard de dollars par an). Après une première année mitigée avec des ventes de 20 millions de dollars aux Etats-Unis, la biotech se montrait toujours confiante, avant que le chiffre d’affaires ne chute, sans plus jamais rebondir. Du taux de réussite limité aux médecins prescripteurs, différents éléments ont été avancés pour expliquer cet échec sans que cela ne permette d’influer sur les ventes.

Autre exemple: TiGenix. En 2011, l’entreprise louvaniste était devenu la première société à commercialiser une thérapie cellulaire (traitement basé sur les cellules souches) en Europe. Son ChondroCelect avait toutefois été recalé aux Etats-Unis et les ventes de ce traitement réparateur du cartilage du genou sont restées dérisoires en Europe en raison de son prix élevé. Des années plus tard, la société a été rachetée pour une bouchée de pain par le groupe japonais Takeda.

Et l’on pourrait multiplier les exemples. MDxHealth a commercialisé différents tests de diagnostics moléculaires du cancer depuis 10 ans. Mais aujourd’hui encore, le seuil de rentabilité semble lointain. Biocartis avait été surnommée le Nespresso de la médecine génétique en référence aux capsules permettant de réaliser des diagnostics et de définir des traitements personnalisés sur son minilaboratoire. Mais depuis cinq ans, le chiffre d’affaires a décollé bien trop lentement, et la société a creusé ses pertes.

De la même manière, Galapagos a vu le potentiel de son anti-inflammatoire de nouvelle génération filgotinib largement entamé dès avant sa commercialisation, et ce en raison de la réponse négative des autorités sanitaires américaines à sa demande de mise sur le marché. Et le traitement du rhume des foins d’Asit Biotech a été retoqué par le Paul-Ehrlich-Institut allemand.

ArgenX en nouveau leader

Bref, bien loin du succès phénoménal des vaccins contre le Covid-19, la commercialisation de la plupart des traitements s’assimile à un long parcours semé d’embûches, et aucune biotech belge cotée n’est jusqu’à présent parvenue à éviter tous les obstacles.

A l’heure actuelle, la société la mieux positionnée pour enfin offrir aux investisseurs belges un premier blockbuster est ArgenX. Selon le consensus d’Evaluate Vantage Pharma, son traitement de maladies rares, l’Efgartigimod (nom commercial: Vyvgart), devrait générer des ventes de 2,9 milliards de dollars en 2026. Thomas Vranken, analyste chez KBC Securities, a même évoqué la possibilité d’un jour voir le Vyvgart parmi les 10 médicaments les plus vendus du monde.

Pour y parvenir, la société doit avant tout réussir son lancement commercial cette année. Cette mission ne coule pas forcément de source. La société s’occupe elle-même de cette commercialisation. Or, ArgenX est dénuée d’expérience dans le domaine, même si elle recrute évidemment des spécialistes en ce sens. Mais les marchés semblent n’en avoir cure et valorisent déjà l’entreprise à près de 14 milliards de dollars.

Cela ne signifie pas que le potentiel haussier soit inexistant. Les analystes sont même confiants avec un objectif de cours moyen de 334 euros, et la société est régulièrement citée comme une cible potentielle pour l’un ou l’autre grand groupe pharmaceutique, puisque nombre d’entre eux ont fait des maladies rares un axe de développement stratégique. Mais il est clair que les premiers chiffres de ventes pourraient engendrer des réactions épidermiques chez les investisseurs.

Une incertitude qui ne se concrétise évidemment pas qu’au stade de la commercialisation. Selon différentes études, le taux de réussite (c’est-à-dire l’autorisation de commercialisation) pour un traitement expérimental lancé dans la première phase des études cliniques est d’environ 10%. En outre, le développement propre n’est pas le seul élément à prendre en considération. La concurrence est aussi un facteur déterminant. Selon le Cancer Research Institute, Celyad, qui s’est recentré sur l’immuno-oncologie après l’échec de son traitement de l’insuffisance cardiaque, fait ainsi face à plus de 2.000 programmes concurrents…

Trop risquée, la biotech?

Investir dans les biotechs n’est donc pas une sinécure, a fortiori si vous ne disposez pas de connaissances scientifiques ou commerciales pointues. D’autant que sur les marchés boursiers, vous faites face à de véritables spécialistes. Voyez le hedge fund Armistice Capital. S’il a empoché une importante plus-value en misant sur une baisse de Celyad du printemps 2018 à l’automne 2021 (le titre est alors passé de 28 à 3 euros), c’était sur les conseils de son analyste biotech Charles Shi, qui cumule une longue expérience dans le secteur financier, un master en biotechnologies et un doctorat en immunologie.

La biotech, un investissement à impact?
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Dans son ouvrage Ce qu’on ne vous dira jamais sur les marchés financiers (Publications Agora), Eric Lewin, journaliste financier, banquier d’affaires et ancien trader, estimait même que les particuliers ne devraient tout simplement pas investir dans les biotechs. “Le progrès scientifique consiste à chercher beaucoup pour trouver en de rares occasions… Des acteurs privés se spécialisent dans le financement de cette activité indispensable au progrès humain: les fonds de capital-risque. Ces derniers disposent d’une expertise affûtée, de larges ressources et d’un portefeuille étoffé d’investissements qui leur permet de répartir les risques.”

Les biotechs doivent avant tout être considérées comme une piste pour élargir l’assise d’un portefeuille.

Sans aller si loin, il est évident qu’investir dans la biotech ne revêt pas uniquement un aspect financier. On pourrait même rapprocher ce type de placements des investissements à impact, c’est-à-dire dont la finalité sociétale est extrêmement importante. Dans ce cas, il s’agit évidemment de soutenir la recherche médicale, la découverte de nouveaux traitements, le gain financier ne découlant que de l’éventuelle réussite de cet objectif d’impact.

Une perspective qui s’accompagne de deux contraintes majeures. Premièrement, les investissements en biotechnologie doivent avant tout être considérés comme une piste pour élargir l’assise d’un portefeuille. Deuxièmement, la diversification est indispensable pour éviter de rapidement risquer presque l’ensemble de sa mise de départ, tels ceux qui auraient misé exclusivement sur Celyad, Asit Biotech, Bone Therapeutics, MDxHealth ou Biocartis ces cinq dernières années.

Fonds spécialisés

Pour diversifier les positions sur les biotechs, il existe différents fonds indiciels. Parmi les ETF disponibles pour l’investisseur belge, citons notamment:

– IShares Nasdaq US Biotechnology (code ISIN: IE00BYXG2H39 ; Bourse de Francfort ; frais annuels de 0,35%). Cet ETF investit dans les sociétés biotechnologiques cotées sur le Nasdaq et a donc une grande exposition aux leaders américains, de grandes entreprises ayant déjà commercialisé plusieurs traitements

– Global X Genomics & Biotechnology (code ISIN: IE00BM8R0N95 ; Bourse de Francfort ; frais annuels de 0,50%). Cet ETF est plus spécialisé avec des positions de plus petites entreprises (Biomarin, Qiagen, Crispr, etc.) actives dans la génomique.

Si vous préférez confier votre investissement à une équipe des spécialistes, le fonds actif le mieux noté par l’agence Morningstar est Candriam Equities L Biotechnology EUR (ISIN: LU1120766388 ; frais annuels de 1,92%). Géré par Rudi Van Den Eynde depuis plus de 20 ans, il affiche un rendement annualisé de plus de 15% au cours des 10 dernières années.

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