La Bourse, aussi une affaire de femmes

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

L’atonie persistante des taux d’intérêt incite de plus en plus de gens, dont des femmes, à chercher d’autres moyens de faire fructifier leur épargne. La très longue mise à l’arrêt de toute vie sociale lors de la crise sanitaire contribue peut-être aussi à expliquer le rattrapage opéré par les femmes ces deux dernières années. Même si investir reste essentiellement une affaire d’hommes.

La clientèle de Bolero, la plateforme d’investissement en ligne du groupe KBC, se féminise depuis quelques années. “Pendant longtemps, les nouveaux inscrits comptaient 15% environ de femmes. En 2020, la proportion est passée à 17%, pour frôler les 22% l’an passé”, relate Werner Eetezonne, le CEO de Bolero. Nos clientes investissent principalement en actions et en fonds indiciels ( trackers, ou encore ETF) cotés en Bourse, alors que les hommes tendent à préférer les produits dérivés et les produits plus risqués, comme les turbos et les options.

“Six pour cent seulement de notre clientèle féminine investit dans des options, contre 11% des hommes, ajoute notre interlocuteur. Les femmes sont visiblement prudentes, alors que les hommes ont une certaine appétence au risque.”

Werner Eetezonne constate en outre que les hommes commencent souvent à investir plus tôt, ce qui leur permet de faire fructifier leur argent sur davantage d’années. C’est tout bénéfice, puisque la courbe des intérêts composés (les intérêts sur les intérêts) est exponentielle. L’âge moyen de la clientèle de Bolero a d’ailleurs chuté depuis l’éclatement de la pandémie: “Un tiers des nouveaux clients sont âgés de moins de 30 ans”, note le CEO.

Chez Saxo Banque, qui a repris BinckBank l’an dernier, 16% seulement de la clientèle belge est composée de femmes. C’est un peu moins que la moyenne des pays où le groupe est actif. “Le nombre de femmes qui, dans le monde, négocient des titres par l’intermédiaire de Saxo Banque, est passé de 12,7% en 2019 à 18,8% en 2021, calcule un porte-parole. Les femmes négocient moins activement que les hommes, et visent un horizon plus long. Elles investissent surtout en actions, en fonds indiciels cotés et en obligations. Les hommes, eux, hésitent moins à investir une partie de leur patrimoine dans des produits de maturité plus courte, ce qui entraîne une multiplication des transactions.”

Sondage d’opinion

D’après les données recueillies par Keytrade Bank, le nombre d’investisseuses actives a été de 60% plus élevé en 2021 qu’en 2019, alors que l’augmentation a atteint 47% du côté des hommes. Le nombre de femmes à avoir opté pour le plan d’investissement automatique dans un panier de fonds prédéfini Keyplan a bondi de 77% depuis 2019, contre 15% pour les hommes. Keyprivate, la solution de gestion en ligne de Keytrade Bank, a attiré l’an passé quelque 58% de femmes en plus, pour une augmentation de 46% pour la clientèle masculine. “A l’évidence, les femmes investissent désormais davantage”, conclut Roel Vermeire, le porte-parole de Keytrade Bank. Mais les hommes restent majoritaires.

Werner Eetezonne (Bolero)
Werner Eetezonne (Bolero)© PG
Les femmes sont visiblement prudentes, alors que les hommes ont une certaine appétence au risque.” – Werner Eetezonne (Bolero)

Nous avons aussi interrogé deux grandes banques qui proposent depuis peu des applications d’investissement. Chez Belfius, 11% seulement des 35.000 utilisateurs de Re=Bel sont des utilisatrices. ING Belgique ne dispose pas de chiffres précis, mais se réfère à son enquête consacrée à l’épargne, dont une des questions portait sur les formes d’investissement que les répondants (près d’un millier) recommanderaient à un horizon de 10 ans: seules 4% des femmes auraient conseillé d’investir dans des actions, contre 9% des hommes. Lesquels ont également plus fréquemment évoqué les fonds et les obligations. En revanche, les femmes sont plus nombreuses (45%) que les hommes (33%) à considérer l’immobilier comme un investissement intéressant sur la durée.

D’après une étude publiée l’an passé par la FSMA, l’autorité des services et marchés financiers, près de 63% des transactions effectuées en Bourse par les particuliers belges pendant le premier confinement sont à mettre au crédit de la gent masculine, une proportion tombée juste sous 52% en mars 2021. Trente pour cent environ des ordres sont exécutés sur des comptes communs et 18% sur des comptes-titres dont une femme est titulaire.

Education financière

Nous n’avons évoqué jusqu’ici que les tendances constatées par des intermédiaires offrant des services en execution only. En d’autres termes, des possibilités d’investissement non accompagnées de conseil, même si les plus grands d’entre eux proposent à leurs clients des webinaires consacrés aux produits d’investissement et un éventail de présentations thématiques. “Au cours de ces derniers mois, plus de 10.000 personnes se sont inscrites à B-coach, un nouveau programme qui fait la part belle à l’éducation financière”, se réjouit Werner Eetezonne.

D’après l’enquête menée par ING Belgique toujours, une femme sur trois ne se sent pas faite pour la finance, contre 18% des hommes. Miser sur l’éducation financière revient donc en un certain sens à miser sur le public féminin. “La société aurait tout intérêt à ce que les femmes s’intéressent davantage aux investissements”, avait conclu Charlotte de Montpellier, économiste chez ING, lorsqu’elle avait analysé les résultats de l’enquête. “Plusieurs études montrent que l’éducation financière joue un rôle déterminant dans la décision que prennent les femmes de commencer à investir.”

Et Werner Eetezonne d’ajouter: “Selon toutes les recherches consacrées au sujet, les principaux obstacles sont le manque de temps, de moyens et de connaissances. Sur ce dernier point, nous pouvons faire quelque chose”.

Un peu plus de 28% des clients de BNP Paribas Fortis qui optent pour des actions sont des femmes.
Un peu plus de 28% des clients de BNP Paribas Fortis qui optent pour des actions sont des femmes.© GETTY IMAGES

Motiver les femmes

Saxo Banque a récemment initié un projet d’encadrement. “Le secteur financier doit s’atteler beaucoup plus résolument à lever les barrières”, martèle Kim Fournais, son CEO. La banque a élaboré une approche en trois phases. La première consiste à motiver les femmes à investir. La deuxième, à leur proposer des formations destinées à booster leur confiance en elles. Et la dernière, à leur apprendre par la pratique à gérer les investissements et les risques qui y sont liés. D’aucuns estiment que les femmes accordent davantage d’importance au développement durable que les hommes. Bolero ne constate pourtant que très peu d’écart dans ce domaine. Tesla (voitures électriques) et Shell (pétrole) font partie des 10 actions dans lesquelles les femmes investissent le plus. Werner Eetezonne n’a élaboré aucun plan particulier axé sur le public féminin: “Nous essayons surtout d’offrir à nos clients une plateforme d’investissement performante, stable et qui regorge d’informations, assortie de surcroît d’un helpdesk qui répond à toutes les questions des utilisateurs, sauf aux demandes de conseil. Car le principal, pour l’investisseur, est de pouvoir acheter et vendre à tout moment et en toute connaissance de cause.”

Il existe par ailleurs des banques qui proposent des conseils et des banquiers privés qui offrent des services de gestion discrétionnaire. Nous nous sommes demandé si les femmes seraient davantage susceptibles d’investir en actions si elles se sentaient plus encadrées. Interrogée, BNP Paribas Fortis répond que les fonds et les actions – surtout les actions – attirent moins les investisseuses: un peu plus de 28% des clients de la banque qui optent pour des actions sont des femmes alors qu’au niveau des fonds, le chiffre est légèrement supérieur à 42%. Un quart ou presque des femmes qui investissent dans des fonds optent également pour des actions individuelles. “Les fonds permettent de répartir plus largement les risques”, opine un porte-parole.

Faute de chiffres, la plus grande banque du pays ne peut dessiner de courbe d’évolution. Elle a toutefois tenté de déterminer autrement, pour nous, s’il l’on assistait actuellement à un mouvement de rattrapage et si les jeunes générations de femmes investissaient davantage en Bourse que leurs aînées. Pour ce faire, elle a calculé le pourcentage, par catégorie d’âge, de comptes-titres sur lesquels est déposé l’équivalent de 1.000 euros au moins et qui sont détenus par des femmes. Ainsi a-t-elle constaté que dans la tranche des 25 à 35 ans, 41% des comptes-titres appartiennent à des femmes, contre 28% seulement pour le public des 36-64 ans.

Kim Fournais (Saxo Banque)
Kim Fournais (Saxo Banque)© PG
Le secteur financier doit s’atteler beaucoup plus résolument à lever les barrières.” – Kim Fournais (Saxo Banque)

“Si l’on se fie à ce critère, il est clair que les jeunes femmes participent bien davantage que leurs mères. En revanche, la différence par rapport aux clientes retraitées ou âgées de 65 ans ou plus est beaucoup plus ténue. Peut-être est-ce dû au basculement de la proportion hommes/femmes dans la clientèle âgée de plus de 65 ans, qu’explique la différence d’espérance de vie. Le divorce peut lui aussi jouer un rôle”, suggère Johan De Buyck, expert en investissements.

Mais lorsqu’elle fait passer le curseur à 5.000 euros au moins, BNP Paribas Fortis constate une différence plus marquée encore entre les 25-35 ans et les 36-65 ans. “Il est possible d’en déduire qu’une plus grande parité règne parmi la jeune génération, et que l’on assiste donc à une véritable émancipation de la femme dans le domaine des investissements”, conclut Johan De Buyck.

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