“La numérisation installe une distance entre le fonctionnaire-contrôleur et le contribuable”

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“La tendance est claire : la numérisation installe une distance entre le fonctionnaire-contrôleur et le contribuable. Il est alors encore plus simple d’envoyer des messages fourbes, sans tenir compte des personnes qui se cachent derrière les entreprises”, déclare Leen Ketels, avocate et partenaire du cabinet Renier & Ketels.Tax.

Suite aux mesures de confinement, les services du SPF Finances étaient beaucoup plus difficiles à joindre, voire carrément inaccessibles, pour le citoyen lambda. Il était très compliqué de savoir si une concertation était possible, et si oui, sous quelle forme. Les contrôles sur place ont été suspendus, les décisions ont été prises à distance. Et maintenant, le moyen de communication écrite le plus courant, l’e-mail, fait également l’objet de restrictions. Il n’est plus autorisé de répondre à une demande d’information ou à un avis de modification par e-mail. Tout doit se faire via la plateforme numérique MyMinfin, ou par lettre.

Cette nouvelle instruction interne du SPF Finances ne repose sur aucune base légale. Un des arguments avancés est le respect du RGPD, mais ce lien est difficile à établir. Ce règlement n’interdit pas à un contribuable de fournir des données personnelles par e-mail au SPF Finances. L’hypersensibilité du SPF Finances découle sans doute du récent rappel à l’ordre émis par l’Autorité de protection des données concernant la procédure d’accès à Fisconet Plus. J’entends aussi murmurer qu’il est ici question “d’opportunisme du RGPD”, mais seuls les vilains chroniqueurs de Trends osent accuser les autorités fiscales d’opportunisme.

La numérisation installe une distance entre le fonctionnaire-contrôleur et le contribuable

Comment concilier cette nouvelle instruction interne, qui interdit les e-mails, avec la numérisation à laquelle le SPF Finances est fermement attaché ? La restriction de l’utilisation de l’e-mail comme outil de communication montre clairement qu’au SPF Finances, la numérisation limite principalement l’accessibilité et fait disparaître le contact humain des dossiers fiscaux. La loi du 21 janvier 2021 intitulée “Loi sur la dématérialisation des relations entre le Service Public Fédéral Finances, les citoyens, personnes morales et certains tiers” s’inscrit dans la même tendance. À partir du 1er janvier 2025, tous les échanges avec le SPF Finances devront passer par votre eBox. Ce terme vous laisse perplexe ? Ne vous inquiétez pas, une campagne d’information vous livrera bientôt tous les secrets de l’eBox. Elle devra également répondre à des questions telles que comment combiner ce système avec MyMinfin et comment les mandataires peuvent-ils encore agir au nom de leurs clients (avocats, comptables, conseillers fiscaux) ?

La tendance est claire : la numérisation installe une distance entre le fonctionnaire-contrôleur et le contribuable. Il est alors encore plus simple d’envoyer des messages fourbes, sans tenir compte des personnes qui se cachent derrière les entreprises. En effet, tout contact humain engendre la possibilité d’une confrontation concernant les décisions prises. Comme si les dossiers fiscaux pouvaient être traités de manière objective et purement rationnelle, si la distance entre les individus concernés est assez grande.

Les autorités fiscales ne sont pas seulement aveugles à l’humanité du contribuable, elles nient également leur propre humanité. Trop souvent, une affaire dégénère parce que le sens de l’honneur du contrôleur l’empêche de revenir sur sa conclusion. La suite de la procédure et tous les éléments recueillis ne doivent que confirmer les décisions prises. Et trop souvent, les dossiers sont envoyés au tribunal, parce que la personne traitant le recours ne veut pas aller à l’encontre de l’avis de son collègue.

La loi est au service des citoyens, et non l’inverse. Avec la numérisation qui se poursuit et la distance entre ses services et le citoyen qui augmente, l’administration fiscale risque de perdre ce principe de vue.

Leen Ketels, Advocaat en partner bij Renier & Ketels.Tax.

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