La revanche des énergies fossiles?

Le gaz est aussi plébiscité par les pays tournant le dos au nucléaire, comme la Belgique. © Getty Images

Relégués au rang de fossiles vivants l’année dernière, le pétrole, le gaz et le charbon font aujourd’hui cruellement défaut. Une pénurie qui suscite des craintes en Bourse, mais pourrait aussi offrir des opportunités.

Au printemps 2020, le baril de pétrole connaissait une chute historique sous zéro, jusqu’à -37 dollars pour le baril de brut léger WTI aux Etats-Unis. Bien que ces prix négatifs résultent de la conjonction d’un ensemble d’éléments spécifiques, ils semblaient être le symbole du début de la fin du règne des énergies fossiles. Même si les prix allaient inévitablement se normaliser, il était question de pic de la demande, de nature à faire pression durablement sur les cours.

Dix-huit mois plus tard, la situation a bien changé. Le monde et tout particulièrement l’Europe recherchent désespérément à s’approvisionner en gaz, en pétrole et même en charbon, une énergie qui semblait pourtant reléguée aux oubliettes sur le Vieux Continent.

Entre la pénurie d’énergies fossiles, l’envolée de l’inflation et le ralentissement de la croissance, l’actualité économique a même repris les accents des années 1970 et de la terrible stagflation. Un dangereux cocktail mêlant forte inflation et croissance réelle atone. Pour en sortir, Paul Volcker, alors président de la Réserve fédérale américaine, releva le loyer de l’argent jusqu’à un improbable taux directeur de 20%. Ce qui provoqua une double récession entre 1980 et 1982, mais permit aussi de stabiliser une économie américaine qui connut ensuite une période faste jusqu’à la crise financière de 2008.

Krach boursier

Aujourd’hui, une envolée des taux serait particulièrement malvenue pour les agents économiques endettés, à commencer par les pouvoirs publics, et pour les Bourses. Globalement, quand le loyer de l’argent augmente, la valorisation des Bourses diminue parce qu’il est moins intéressant d’investir en actions si les obligations, moins risquées, rapportent tout autant.

La valorisation des actions américaines (indice S&P 500) avait ainsi atteint un plus bas historique au début de l’année 1980 à moins de sept fois les bénéfices. Ce qui correspond à un rendement implicite, c’est-à-dire les profits générés par les montants investis, de près de 15%. Le S&P 500 cote aujourd’hui 22 fois les bénéfices, soit un rendement implicite de 4,5%. Si le taux des bons du Trésor américain, actuellement de 1,5% par an pour un titre de longue durée, rebondit à 5% comme en 2006-2007, les actions américaines ne seront donc plus réellement attractives. Si les taux s’envolent comme lors de la stagflation des années 1970, le S&P 500 devrait chuter de près de 70% pour afficher une valorisation comparable au début des années 1980. Et les investisseurs ne pourraient pas réellement compter sur les autres placements classiques. L’immobilier est lié à la faiblesse des taux via le financement à crédit. Et les cours des obligations diminuent en phase de remontée des taux, car les titres nouvellement émis (avec un taux supérieur) sont plus intéressants.

La configuration actuelle rappelle étrangement la situation du printemps 2005, au plus haut des craintes de stagflation.

Faux débat?

Quand une enquête de la Deutsche Bank annonce un “consensus assez fort” parmi les professionnels du marché estimant qu’une certaine forme de stagflation est probable, cela a donc de quoi inquiéter.

Cependant, la précision d'”une certaine forme de stagflation” est importante. En tant que tel, on y est déjà, l’inflation accélère et la croissance ralentit après avoir profité du redémarrage de l’économie. On est toutefois loin de la situation des seventies. “Si l’on entend par stagflation les années 1970, une période d’emballement des prix et des salaires, et de chômage élevé, ce n’est clairement pas le cas aujourd’hui”, souligne Andrew Sheets, stratégiste en chef chez Morgan Stanley. A titre de comparaison, en septembre aux Etats-Unis, le salaire horaire moyen affichait une progression annuelle de 4,6% et le taux de chômage était de 4,8% contre respectivement 8,1% et 8,4% en septembre 1975. Tom Porcelli, économiste en chef chez RBC Capital Markets, souligne ainsi que même si la croissance ralentit, elle devrait rester supérieure à 4% en 2022 aux Etats-Unis, un chiffre très éloigné d’une stagnation. Il estime ainsi que les discussions sur une stagflation sont une perte de temps.

Pour Andrew Sheets, la situation actuelle est davantage comparable à 2005, “un exemple intéressant et récent d’une crainte de stagflation après une transition de milieu de cycle”.

Impacts sectoriels

Circulez, il n’y a rien à voir? Pas tout à fait, car l’exemple 2005 illustre aussi que ces tensions de milieu de cycle économique avaient eu des impacts sur les marchés. Tout d’abord, au niveau des taux. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale américaine avait continué à relever ses taux tout au long de l’année 2005 et la Banque centrale européenne avait aussi commencé à durcir sa politique monétaire à partir de la fin 2005. Les rendements offerts par les obligations souveraines à 10 ans avaient ainsi nettement progressé, tant aux Etats-Unis (de 3,3% au printemps 2003 à 5,1% mi-2006) qu’en Europe: le rendement du Bund allemand avait rebondi de 3,1% à l’été 2005 à 4,5% mi-2007.

Cette remontée des taux s’était accompagnée d’un changement de cap sectoriel en Bourse. Au niveau mondial, le MSCI World Value, rassemblant globalement les industries matures et cycliques, s’est illustré entre 2003 et 2006 avec un rendement cumulé de 105%. Le MSCI World Growth (actions de croissance) a fait nettement moins bien avec une performance cumulée de 70,5% au cours de ces quatre années. Quatre secteurs s’étaient tout particulièrement illustrés au cours de cette période. En quatrième position, on retrouvait les valeurs financières. Ce n’est pas une surprise, la remontée des taux étant de nature à améliorer la marge nette d’intérêts des banques.

Sur le podium figuraient les secteurs des matériaux de base, de l’énergie et des services aux collectivités. Ce dernier est également lié à l’énergie, les principales valeurs du secteur étant les producteurs d’électricité et distributeurs de gaz naturel.

L’histoire se répète

L’histoire semble se répéter. Le secteur de l’énergie s’illustre en effet de nouveau avec un gain de 72% au cours des 12 derniers mois. Les valeurs financières (+53%) et le secteur des matières premières (+22%) suivent à distance. Le secteur des services aux collectivités reste par contre à la traîne (+5%).

Cette configuration rappelle étrangement la situation du printemps 2005, au plus haut des craintes de stagflation à en croire les statistiques de recherche de Google Trends. Le secteur financier avait à l’époque déjà épuisé une bonne partie de son potentiel de surperformance, revenant dans le rang à partir de la fin de l’année 2005.

Les secteurs de l’énergie et des matières premières étaient encore au début d’une véritable envolée. Et le secteur des services aux collectivités n’avait pas encore commencé à s’illustrer.

Le contexte structurel a évidemment changé pour l’énergie et les matières premières, la croissance de la demande chinoise ayant nettement ralenti. Certains prix ont déjà fortement rechuté. Le cours du minerai de fer, le plus important pour les grands groupes miniers, a ainsi plongé d’un plus haut de 220 dollars la tonne en juillet à 122 dollars.

La situation du marché de l’énergie est par contre plus tendue, surtout au niveau du gaz où il est question de pénurie tant en Europe et en Asie, ce qui fait également grimper les prix aux Etats-Unis. Des tensions qui pourraient s’avérer persistantes dans un contexte de transition énergétique. Que cela soit en Europe ou aux Etats-Unis, le gaz s’impose comme le combustible d’appoint pour combler l’intermittence de l’éolien et du solaire comme le souligne Javier Blas, le correspondant énergie en chef de Bloomberg Green. Le gaz est aussi plébiscité par les pays tournant le dos au nucléaire comme la Belgique où six centrales au gaz sont en projet. Ce qu’avaient justement anticipé les grands groupes pétroliers européens. Stratégiquement, TotalEnergies, Royal Dutch Shell ou BP ont fait du duo gaz-renouvelable leur cheval de bataille. Ces trois majors produisent d’ores et déjà davantage de gaz que de pétrole et investissent de plus en plus dans l’éolien et le solaire. Avec des rapports cours/bénéfices inférieurs à 10 (soit un rendement implicite de plus de 10%) ainsi qu’un endettement assez limité, elles sont à peu près insensibles à la remontée des taux.

Au Royaume-Uni, 12 fournisseurs alternatifs d’énergie ont déjà déposé le bilan.

Le come-back d’Engie et EDF?

Comme en 2005, cet environnement apparaît aussi favorable à un retour à l’avant-plan des acteurs intégrés du secteur des services aux collectivités. Leur production propre est évidemment nettement plus rentable aux prix actuels et les tensions sur les marchés de l’énergie ont poussé de nombreux concurrents sur la touche. Au Royaume-Uni, 12 fournisseurs alternatifs ont déjà déposé le bilan. En Allemagne, beaucoup ont arrêté de recruter de nouveaux clients. En France, Leclerc Energies a stoppé son offre d’électricité. En Belgique, Energy2Business a fait faillite et la forte hausse des acomptes imposée par Mega (même aux clients à prix fixe) a déclenché une série de plaintes.

Des actions comme EDF ou Engie en France, Enel en Italie, Iberdrola en Espagne, RWE en Allemagne, Exelon Corp ou Duke Energy aux Etats-Unis ont à nouveau les faveurs des analystes. En termes de valorisation, EDF (9,8 fois les bénéfices attendus en 2021) et Engie (11,1 fois) sont les plus attractifs alors que les deux titres ont perdu respectivement 85% et 75% de leur valeur depuis les plus hauts de 2007-2008. A plus long terme, ces deux fossiles de la Bourse pourraient bénéficier de l’électrification de la consommation d’énergie, surtout avec le développement des voitures électriques.

72%

Gain engrangé par le secteur de l’énergie au cours des 12 derniers mois.

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