Le “pricing power”: une qualité vitale en 2022

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La hausse brutale des coûts de fabrication est un défi considérable pour les entreprises. Leur tenue en Bourse dépendra cette année de leur capacité à la répercuter dans leur prix de vente.

Une inflation relativement modérée n’est pas négative pour les marchés boursiers, que du contraire. Argument traditionnel: cette hausse des prix se reflète automatiquement dans le chiffre d’affaires et le bénéfice des entreprises. En réalité, le terme automatiquement est un peu excessif: certaines sociétés ont plus de mal que d’autres à répercuter la hausse de leurs coûts dans leurs prix de vente.

Ces derniers mois, les médias ont abondamment évoqué ces entrepreneurs soudainement confrontés à l’envol des cours du bois, en particulier, et ne pouvant adapter le montant de leur devis. La problématique concerne cependant toutes les entreprises vendant des services ou des produits au consommateur, soit en direct, soit via les groupes de distribution. Même si leurs produits sont iconiques. Quand Colruyt supprime de son assortiment les petits conditionnements de Nutella, on comprend que tout ne passe pas toujours comme une lettre à la poste. Avec les très fortes hausses de prix des matières premières observés depuis l’été 2021 (et même si certains ont déjà fortement rechuté depuis leur sommet), le concept de pricing power, soit la capacité à augmenter ses prix de vente, est fort logiquement revenu au premier plan.

A l’heure actuelle, le secteur des biens de consommation de base et le secteur industriel semblent les plus vulnérables à la hausse du coût des intrants.

Nestlé s’en tire mieux qu’Unilever

Le gestionnaire de fonds Schroders titrait carrément en novembre dernier: “La capacité des entreprises à fixer les prix est cruciale pour la performance des actions mondiales en 2022”. Revenant sur le sujet en décembre, Alex Tedder, responsable des actions mondiales, soulignait que “les effets de l’augmentation du coût des intrants se manifestent encore, la rareté sur le marché du travail entraîne la concurrence et les marges resteront donc sous pression. Tout cela pèse sur la rentabilité des entreprises”. Pour lui, l’année 2022 n’est donc pas gagnée d’avance, surtout aux Etats-Unis où la valorisation des actions est fort élevée.

Si certaines entreprises pourront répercuter la hausse des coûts dans leurs prix finaux, “beaucoup ne seront pas en mesure de le faire, estime l’analyste. A l’heure actuelle, le secteur des biens de consommation de base et le secteur industriel semblent les plus vulnérables à la hausse du coût des intrants. Ils souffrent d’une forte augmentation de prix des matières premières de base, et ces secteurs sont traditionnellement soumis à une forte concurrence. Mais il y a des exceptions: au troisième trimestre 2021, Nestlé a été en mesure d’augmenter les prix de 4% par rapport à 2020 alors que d’autres entreprises, comme Unilever et Procter & Gamble, ont connu des difficultés à augmenter globalement les prix”, signale Alex Tedder.

Pas toujours les mêmes!

De quoi dépend la capacité à imposer ses prix sur le marché? “De la mise en place de barrières à l’entrée difficilement surmontables par les concurrents: une marque forte, un savoir-faire discriminant ou encore un brevet stratégique”, explique le gestionnaire français Amplegest en observant que l’on assiste à la “séparation du bon grain de l’ivraie”.

Pour lui, il y a des secteurs qui ne possèdent clairement guère de pricing power, tels le textile et la grande distribution. D’autres en ont, mais ces privilégiés changent au fil du temps: il arrive qu’un secteur brille soudain sur ce plan. “Voilà trois ou quatre ans, je n’aurais jamais pensé que nous aurions un jour des fabricants de semi-conducteurs en portefeuille, explique ainsi Gérard Moulin, gérant du fonds Amplegest Pricing Power. Nous avions l’action Infineon dans le radar depuis longtemps, sans l’acheter, mais nous l’avons fait quand il est apparu que le rapport de force allait passer du côté des fabricants de semi-conducteurs. Et principalement Infineon, très présent dans l’automobile. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui prétendent que la situation actuelle est passagère et que les marges vont refluer. En effet, chez Infineon, le carnet de commandes est rempli pour deux ans ; d’habitude, c’est trois mois…”

ASML, fabricant néérlandais de machines pour semi- conducteurs, est le champion du
ASML, fabricant néérlandais de machines pour semi- conducteurs, est le champion du “pricing power”, avec une marge brute de 52%.© Reuters

Hausse des prix… sans effet en Bourse

Le gestionnaire Capital Group s’est également penché sur la question, d’autant plus sensible que la hausse des prix de revient se prolongera dans les mois à venir, estime-t-il. Son raisonnement est simple: “La hausse des coûts peut raboter les marges des entreprises et, au final, les returns des actionnaires. Toutefois, les entreprises bénéficiant d’un pricing power évident et durable sont en mesure de préserver leurs marges bénéficiaires en faisant supporter cette hausse par les consommateurs”.

Avec l’accent résolument mis sur les modèles haut de gamme, le “pricing power” de Daimler et de BMW s’est renforcé ces derniers trimestres.

Les analystes de Capital Group mettent en lumière plusieurs secteurs qui possèdent globalement cette capacité à répercuter la hausse de leurs coûts dans leurs prix de vente. C’est le cas des services liés à la santé, du côté notamment des assureurs américains spécialisés dans ce domaine, tel UnitedHealth Group. Autre secteur: la biopharmacie, avec l’essor des ” contract development research and manufacturing organizations” (CDRMO). Ces entreprises, nombreuses en Chine, aident les géants pharmaceutiques à développer et tester les nouveaux médicaments. A l’image de leurs clients, elles possèdent apparemment un confortable pouvoir d’adapter leurs prix. Groupe emblématique: WuXi Biologics, un titre fort populaire chez les gestionnaires de fonds.

On ne saurait passer sous silence le secteur des semi-conducteurs, qui affiche une croissance continue, des marges élevées et une faible cyclicité. Et la tendance devrait se poursuivre grâce aux divers développements technologiques dans la 5G, l’intelligence artificielle, les véhicules autonomes, etc. On sait que la demande excède carrément l’offre aujourd’hui, ce qui se traduit par de dramatiques pénuries. Pas étonnant que le géant Taiwan Semiconductor Manufacturing Company ait, en août dernier, fait part de son intention d’augmenter ses prix de pas moins de 20%!

Belle démonstration de pricing power… qui n’a cependant pas impressionné les investisseurs: si le cours de l’action TSMC a été multiplié par 10 en 10 ans, il n’a “rien fait” après le bond de 25% observé en janvier 2021. Les analystes de Capital Group citent enfin le secteur des médias, mais sous l’angle particulier des vidéos et des jeux. Leur analyse est agrémentée de plusieurs exemples, évoqués dans l’encadré intitulé ” Les champions du PP”.

Ferrari, le rêve de tout patron!

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Rêve d’en posséder une? Peut-être. Mais rêve de modèle d’entreprise, sûrement! Gérant du fonds Amplegest Pricing Power (évoqué dans le texte principal), Gérard Moulin évoquait récemment, sur BFM Business, le prestigieux constructeur automobile italien (coté depuis octobre 2015) comme exemple type d’entreprise bénéficiant d’un pricing power fabuleux: “Leur marge d’exploitation est de 27%, contre 23% pour LVMH ; seul le groupe de luxe Hermès soutient la comparaison. Ils passent les hausses de prix qu’ils souhaitent, ils choisissent leurs clients, le nombre de modèles qui leur sont vendus, le prix de vente… Ils choisissent tout! C’est le rêve de tout chef d’entreprise.”

Les champions du PP

Les analystes de Capital Group ont, dans les divers secteurs retenus, sélectionné quelques entreprises jugées emblématiques du pricing power et figurant dans le portefeuille du fonds New Economy proposé par le gestionnaire. En voici le trio de tête.

Netflix. A tout seigneur, tout honneur: le champion de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) est le premier poste du fonds. L’entreprise utilise massivement l’intelligence artificielle, plus précisément le machine learning, autant pour améliorer l’expérience de ses souscripteurs que pour aider à la production de contenus. L’étendue de ses services de streaming constitue un puissant effet de levier pour ses activités, tout comme la collaboration avec des marques connues pour des projets de prestige.

Microsoft. Deuxième poste du portefeuille, le groupe développe des produits considérés comme essentiels et qui bénéficient d’une position quasiment monopolistique. Il est aussi champion du cloud, avec sa plateforme Azure aux multiples possibilités et partenariats. Il se renforce également dans le jeu, enrichissant sa console Xbox de contenus, y compris par acquisition d’entreprises spécialisées, comme ZeniMax Studios en mars 2021, qui contrôle Betherda Softworks.

Broadcom. Un acteur très prometteur du secteur des semi-conducteurs, juge le gestionnaire de fonds, soutenu par la forte demande en réseaux et stockage. Fournisseur des puces wi-fi pour les iPhone, l’entreprise a, début 2020, signé un contrat avec Apple portant potentiellement sur 15 milliards de dollars.

Et que pense-t-on du côté d’Amplegest? S’il a récemment acheté le fabricant de puces Infineon, le gestionnaire détient depuis 2017 des titres ASML, fabricant d’équipements pour la production de ces puces. Le champion du pricing power, avec une marge brute de 52%! Changement de paradigme aussi dans la construction automobile: Amplegest investissait jusqu’ici plutôt dans les équipementiers, mais “nous avons maintenant l’intime conviction que les marques premium allemandes, soit Daimler et BMW, sortiront gagnantes de l’électrification des véhicules”. Avec l’accent résolument mis sur les modèles haut de gamme, leur pricing power s’est renforcé ces derniers trimestres. Toujours en Allemagne, la maison a également jeté son dévolu sur Gerresheimer, leader mondial du conditionnement primaire de produits pharmaceutiques. Un nom encore: Somfy, géant français dans la motorisation et l’automation des ouvertures de portes pour le bâtiment.

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