Les assurances pour oeuvres d’art tout feu tout flamme

Hanovre Exercice anti-incendie au Musée de Basse-Saxe. © Belgaimage

Pour protéger leur patrimoine artistique, les collectionneurs sont de plus en plus nombreux à opter pour une assurance spécialisée. Les polices incendie classiques ne couvrent en effet pas assez ce type de biens.

“La Belgique recèle un patrimoine artistique d’une énorme richesse“, expliquent Timothy Broos et Peter Stevens. Leur employeur, la société cotée à la Bourse de Londres Hiscox, est un des plus grands assureurs d’oeuvres d’art au monde. “Ce patrimoine est d’ailleurs plus important que nous le présumons car de nombreuses oeuvres restent cachées, poursuivent-ils. De plus en plus d’oeuvres dont on ne soupçonnait pas l’existence sont en train de remonter à la surface. Les implications fiscales d’une planification patrimoniale peu réfléchie n’y sont certainement pas étrangères. Elles incitent de plus en plus de collectionneurs à intégrer leurs oeuvres d’art dans la planification de leur succession. Ce qui exige une évaluation précise des oeuvres. Et celle-ci révèle souvent une valeur nettement plus élevée que ce que l’on présageait. Les propriétaires réalisent subitement que les oeuvres ne sont pas suffisamment assurées. Résultat: la demande d’assurances spécialisées dans les oeuvres d’art explose.”

Via la police incendie, les assureurs non spécialisés proposent une couverture très limitée à un prix qui n’est souvent pas inférieur à la prime d’un assureur spécialisé en oeuvres d’art.”

Jan Van Hecke (Vanbreda Risk & Benefits)

“L’intérêt croissant pour l’art comme forme d’investissement alimente également la demande d’assurances spécialisées”, embraye Frédéric de Haan, managing director de l’assureur Vander Haeghen. Etabli à Bruxelles, celui-ci travaille avec plus de 700 courtiers en Belgique. “En raison des taux bas, les particuliers se tournent de plus en plus vers d’autres produits d’investissement, comme les voitures de collection ou les oeuvres d’art, pour diversifier leur patrimoine. Et comme l’essor de l’offre en ligne l’a rendu plus accessible, l’art est entré dans le viseur d’un plus grand nombre d’amateurs. En outre, le télétravail permet aux collectionneurs de consacrer plus d’attention à leurs biens. Ils en arrivent ainsi automatiquement à se demander si leurs oeuvres sont suffisamment assurées.”

Police sur mesure

“La croissance des ventes d’oeuvres d’art alimente également la souscription de polices spécialisées, confirme Jan Van Hecke, spécialiste de l’art et des assurances chez Vanbreda Risk & Benefits, qui propose également des assurances sur mesure. Les deux phénomènes ne sont cependant pas directement proportionnels parce qu’en dépit des efforts des assureurs et courtiers spécialisés, l’assurance oeuvre d’art n’est pas encore suffisamment connue. De plus, les avantages de telles polices ne sont pas estimés à leur juste valeur. Il s’agit d’une police fondée sur le principe que tous les risques sont couverts, à l’exception de quelques exclusions spécifiques comme la dégradation volontaire ou la mauvaise conservation.”

Le principal concurrent d’un assureur spécialisé en oeuvres d’art, c’est l’absence d’assurance ou la sous-assurance.”

Timothy Broos en Peter Stevens (Hiscox)

“Via la police incendie, les assureurs non spécialisés proposent une couverture très limitée qui, souvent, n’est pas moins chère que la prime demandée par un assureur spécialisé en oeuvres d’art avec des conditions plus vastes, affirme Jan Van Hecke. De plus, une assurance incendie classique est toujours assortie d’une franchise, ce qui n’est généralement pas le cas des polices spécifiques pour les oeuvres. Dans le segment des collections d’au moins 10 oeuvres d’une valeur de plus de 100.000 euros, la pénétration des assurances oeuvres d’art ne dépasse pas 50% en Belgique. Dans la catégorie jusqu’à 1 million d’euros, j’estime que les polices spécialisées ne dépassent pas les 33%.”

Même les musées sont insuffisamment couverts

“Une prise de conscience est également nécessaire pour les collections appartenant à des entreprises, remarque Jan Van Hecke. Les entreprises estiment, souvent encore plus que les particuliers, que la police incendie offre une protection suffisante. Pour ce qui concerne les galeries, nous constatons qu’une partie d’entre elles ne sont toujours pas ou pas suffisamment assurées. Les musées et autres institutions culturelles assurent généralement leurs prêts de longue durée et les prêts pour des expositions temporaires, mais uniquement parce que le prêteur l’exige. Faute de budget suffisant, il est impossible à certains musées d’assurer les plus belles oeuvres d’une collection permanente. De ce fait, il arrive souvent que les véritables chefs-d’oeuvre ne soient pas ou ne soient que partiellement assurés, par exemple uniquement à la valeur de restauration.”

Prêt d'oeuvres d'art Les coûts de protection et de transport des oeuvres deviennent de plus en plus chers.
Prêt d’oeuvres d’art Les coûts de protection et de transport des oeuvres deviennent de plus en plus chers.© Getty images

L’expert de Vanbreda souligne que les autorités ne restent pas les bras croisés. “Le gouvernement flamand, par exemple, a promulgué un décret relatif aux indemnités. Dans le cas d’expositions temporaires, la Région prend à sa charge une partie du risque des oeuvres d’art prises en prêt, une institution d’assurances privées couvrant le reste. L’objectif est de permettre aux musées de supporter le coût d’une assurance privée pour les expositions les plus prestigieuses et ainsi d’obtenir les plus belles oeuvres.”

Les jeunes s’y intéressent

“Le principal concurrent de l’assureur spécialisé en oeuvres d’art reste l’absence d’assurance ou la sous-assurance”, confirment Timothy Broos et Peter Stevens, de Hiscox. Cette sous- assurance implique que le marché des assurances oeuvre d’art recèle toujours un gros potentiel, surtout si l’intérêt pour les investissements tangibles s’accroît encore. “On estime qu’environ 10% du patrimoine des Belges les plus fortunés se compose déjà de bijoux, de pièces ou de voitures de collection et d’oeuvres d’art. L’essor d’une catégorie de nouveaux riches amateurs d’art devrait encore accroître ce pourcentage, surtout dans le contexte actuel de taux bas”, prévoit Frédéric de Haan. “Ces dernières années, nous avons enregistré une croissance annuelle de 10 à 12% en Belgique. Nous pensons qu’elle va se poursuivre à ce rythme au cours des années à venir. D’une part parce que nous attendons à voir davantage d’oeuvres cachées remonter à la surface au cours des années à venir, d’autre part parce que nous constatons que de plus en plus de jeunes s’intéressent au monde de l’art et investissent dans l’art”, explique Timothy Broos.

“Quand les galeries ont fermé pendant la période du covid, les ventes en ligne ont explosé. Des catalogues assez riches ont été mis sur ce marché et les acheteurs se sont rapidement familiarisés avec ce nouveau type de transactions, surtout les plus jeunes. Depuis, il y a une tendance à faire plus rapidement confiance aux salles de vente, notamment parce que la qualité des photos des oeuvres proposées s’améliore. Aujourd’hui, il n’est pas rare de faire une offre sans avoir évalué personnellement l’oeuvre, ce qui était beaucoup moins le cas auparavant”, explique Frédéric de Haan.

25%

La part des ventes en ligne sur le marché de l’art.

Selon une étude internationale de Hiscox, les transactions en ligne représentent aujourd’hui un quart des ventes d’oeuvres d’art. Alors qu’elles pesaient 6,8 milliards de dollars au premier semestre de l’an dernier, elles atteignent déjà plus de 13 milliards de dollars aujourd’hui. Parmi les trois grandes maisons de vente aux enchères (Sotheby’s, Christie’s et Philips), c’est Sotheby’s qui arrive largement en tête. La prestigieuse salle des ventes prend à son compte 65% des ventes en ligne des trois grandes maisons. Toujours dans ces trois salles de ventes, le montant moyen d’une transaction en ligne s’élevait à 25.000 dollars l’an dernier. En 2019, c’était encore moins de 9.000 dollars, apprend l’étude d’Hiscox.

Vers une augmentation des primes?

Chez Hiscox, un jeune qui s’est constitué une collection d’une valeur de 50.000 euros et veut l’assurer payera une prime annuelle de 219,80 euros, taxes et frais compris, via la police spécifique Young Collections. Vanbreda Risk & Benefits applique une prime annuelle minimale de 250 euros, taxes et frais compris, pour un capital assuré d’objets d’art de moins de 100.000 euros. Pour une collection de 50.000 euros, Vander Haeghen demande une prime de 168 euros, taxes et frais compris. Les assureurs soulignent cependant qu’ils proposent plusieurs types de police sur mesure pour les oeuvres d’art. Pour les détails, vous pouvez vous rendre sur leur site web. “Jusqu’à présent, les assurances oeuvres d’art ne subissent guère l’impact du durcissement du marché des assurances en cours depuis quelques années, en particulier si on les compare avec les cyberassurances et les assurances incendie. Dans ces segments, les primes sont en hausse et les conditions de souscription sont de plus en plus sévères”, explique Jan Van Hecke.

Une assurance oeuvre d’art est une police fondée sur le principe que tous les risques sont couverts, sauf quelques exceptions très spécifiques.”

Jan Van Hecke (Vanbreda Risk & Benefits)

Pourtant, une augmentation des primes des assurances oeuvre d’art dans le sillage des autres polices paraît inévitable. “Le nombre croissant de catastrophes naturelles augmente les risques de réassurance. Ce phénomène pourrait se répercuter sur les primes des assurances oeuvre d’art. En outre, le matériel et le transport sont de plus en plus chers. Le prix du bois a énormément augmenté, et par ricochet celui des caisses en bois dans lesquelles les oeuvres d’art sont transportées. L’internationalisation du marché, et notamment la demande croissante d’oeuvres d’art en Asie, a accru le transport. Mais une augmentation des primes ne serait qu’une normalisation de la situation, puisque les primes des assurances oeuvre d’art n’ont pas suivi les hausses des primes sur les autres marchés ces dernières années”, estime Timothy Broos.

Les NFT, un risque difficilement assurable

Les non-fungible tokens, ou NFT, sont en plein essor dans le monde de l’art. Un NFT permet d’enregistrer une oeuvre sous forme numérique sur une blockchain, un réseau d’ordinateurs où les données enregistrées sont intangibles. L’an dernier, on a ainsi vendu pour plus de 3,5 milliards de dollars d’oeuvres d’art via des NFT, apprend une étude internationale de Hiscox. Et les auteurs de l’enquête sont convaincus que les NFT vont poursuivre leur croissance dans le monde des arts.

Les assurances pour oeuvres d'art tout feu tout flamme
© Getty images

“Il est très difficile d’assurer une oeuvre sous la forme d’un NFT, affirme Peter Stevens, de l’assureur Hiscox. En fait, on n’assure pas un sinistre physique potentiel, mais un cyber-risque. C’est pourquoi nous restons méfiants. Nous étudions la question mais nous voulons être certains de pouvoir assurer correctement l’oeuvre. Une assurance pour un tel contrat numérique qui n’atteindrait pas son objectif pourrait ternir complètement notre réputation.” “Même si le système prétend être immunisé contre la fraude, il est possible de pirater la blockchain. Le marché des NFT est par conséquent trop instable pour nous, estime pour sa part Frédéric de Haan, chez l’assureur spécialisé Vander Haeghen. C’est un marché émergent très spécifique. Non seulement il faut le connaître en profondeur, mais il exige également des solutions spécifiques qui satisfont à ses besoins complexes.”

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