Les fonds agriculture ont changé de visage

Accusés d’influencer le cours des matières agricoles, les produits de ce segment très étroit ont modifié leur stratégie. Bien leur en a pris : ils affichent une progression supérieure à 12 %.

Le segment des fonds spécialisés sur l’agriculture a connu une véritable révolution durant les trois dernières années. Autrefois accusés d’avoir un impact sur le prix des denrées agricoles, ils ont pratiquement tous changé de philosophie de gestion en élargissant très largement leur horizon d’investissement. Et de manière assez amusante, ils ont aussi changé leurs noms et une bonne partie de leurs équipes.

Pictet Agriculture est ainsi devenu Pictet Nutrition, DPAM Invest Equities Agriculture est devenu DPAM Invest Sustainable Food, BlackRock World Agriculture est devenu BlackRock Nutrition, etc. Ce problème d’image se marque encore toutefois dans la taille des actifs sous gestion, qui ont très fortement diminué pour la plupart des produits, les actifs sous gestion des sept produits repris dans cette catégorie Morningstar représentant à peine un peu plus d’un milliard d’euros.

Le fonds qui semble avoir le plus bénéficié de ce changement de philosophie est sans conteste celui proposé par DWS, autrefois Deutsche Bank Asset Management. Alors que Deutsche Invest Global Agriculture affichait la pire performance de son secteur en 2016, DWS Invest Global Agribusiness est désormais le meilleur de sa catégorie sur les trois dernières années, avec une progression annualisée de 9,53%. Mieux même, ce fonds est également celui qui a progressé le plus depuis le début 2019 avec un rebond de 16,3%.

Diversification

Stephan Werner est le gestionnaire principal de la nouvelle équipe qui a été placée à la tête du produit en septembre 2016. ” La stratégie a été réorientée uniquement sur les actions, afin qu’on ne puisse plus nous accuser d’influencer les cours des matières agricoles, explique-t-il. Nous avons également très largement diversifié l’approche sectorielle, en nous éloignant le plus possible des segmentations classiques sur les fertilisants et des pesticides, des activités extrêmement cycliques qui représentaient auparavant jusqu’à 50% des actifs sous gestion “.

Cette diversification a été trouvée notamment dans l’équipement agricole (tracteurs), dans la logistique (notamment le transport ferroviaire), dans les sociétés exploitant des terres agricoles, dans l’aquaculture, etc. ” Cette politique nous a également permis d’éviter de trop gros paris individuels sur les sociétés de notre univers “, indique encore Stephan Werner. Alors qu’il n’était autrefois pas rare que le fonds expose 10% de ses actifs sous gestion sur une société, la taille maximale d’une position est aujourd’hui retombée à 5%.

Concentration

La baisse de la proportion investie sur le segment des fertilisants est également liée à l’important mouvement de concentration qui s’est produit sur cette branche du marché, avec trois fusions majeures qui se sont produits (Dupont et Dow Chemical, Bayer et Monsanto, Syngenta et ChemChina) et qui ont largement contribué à réduire le nombre d’options disponibles sur le marché. ” Il reste toutefois difficile d’ignorer totalement cette partie du marché, en raison de la taille de ces groupes qui permettent d’avoir une bonne liquidité dans le fonds “, poursuit Stephan Werner.

L’exposition sur ce segment plus cyclique implique également le maintien d’une analyse top down dans la gestion des positions, car ” la dynamique de ce segment est parfois fonction de facteurs macroéconomiques qui ne dépendent pas de la qualité intrinsèque des sociétés, sans parler de l’impact que le cours du dollar peut avoir sur leur rentabilité. En outre, les fondamentaux sur le secteur des fertilisants sont en train de s’améliorer, et il ne fait donc pas vraiment de sens d’être aujourd’hui absent du marché, en dépit des risques judiciaires que courent certains groupes “. Autre manière d’assurer une liquidité au fonds : être exposé sur de grands noms tels que Nestlé, qui permettent également de diminuer la volatilité de la stratégie. Le taux de rotation des actifs tournera autour de 30% par an.

Prix agricoles

Les cours des denrées agricoles sont restés largement déprimés ces dernières années, en raison d’une offre qui reste supérieure à la demande sur de nombreux segments. ” En outre, les conditions climatiques ont été généralement favorables tandis que les niveaux des stocks sont demeurés élevés, souligne encore Stephan Werner. Mais la flexibilité offerte par notre nouvelle stratégie nous a permis de trouver des zones structurelles de croissance, ou de pivoter une partie du portefeuille vers des zones qui bénéficient de la faiblesse des cours agricoles, comme par exemple les producteurs de viande. ”

Une des thématiques les plus en vogue est par ailleurs le développement de l’agriculture de précision. ” Notre secteur fait aujourd’hui face à une révolution technologique, avec des tracteurs qui travaillent en autonomie sur les champs en coordination les uns avec les autres, avec un seul humain nécessaire pour surveiller le processus. Nous n’en sommes pas encore là en Europe, mais cette évolution est déjà bien avancée dans d’autres régions du monde. ”

Technologie

Pour autant, les opportunités restent encore peu nombreuses dans ce segment, un grand nombre de sociétés qui y sont actives étant encore privées ou valorisées extrêmement cher. ” La baisse des cours à la fin de l’année dernière nous a toutefois permis de trouver de belles opportunités “, assure le gestionnaire de DWS Invest Global Agribusiness, qui souligne toutefois que la proportion de pure players dans ce segment reste encore faible par rapport à l’ensemble des actifs sous gestion.

” En outre, pratiquement tous les grands groupes sont aujourd’hui forcés d’avoir une stratégie cohérente, et ont été très actives pour développer leur présence dans ce domaine “. Et de démontrer avec le cas du groupe chimique Yara, un producteur de pesticides et de fertilisants qui dépense une grande partie de son budget de recherche et développement dans le domaine de la microbiotique, en vue notamment de réduire les besoins en nitrogènes des plantes, et donc le besoin d’utiliser des fertilisants. ” Il est aujourd’hui essentiel pour ces sociétés d’être à l’avant-garde des changements qui s’annoncent “.

De l’agriculture à la nutrition

Il n’existe donc plus vraiment de fonds ” agriculture ” à proprement parler, la plupart des produits ayant désormais repositionné leur stratégie sur des thématiques beaucoup plus larges, liées notamment à la nutrition et à l’ensemble de la chaîne alimentaire. Derrière le fonds de DWS, c’est le fonds Pictet Nutrition qui a réalisé la meilleure performance de ces dernières années, avec une progression annualisée supérieure à 8,5% sur trois ans.

Gertjan Van der Geer, gestionnaire de Pictet Nutrition, souligne que le changement de nom intervenu en 2017 a fait pivoter le fonds sur une exposition touchant l’ensemble de la chaîne alimentaire et vers des acteurs dont l’approche vise à l’augmentation des rendements agricoles de manière durable, notamment dans les cultures hors-sol.

CPR Global Agriculture vise pour sa part une sélection de sociétés qui ” permettra à la population mondiale de rencontrer des besoins alimentaires croissants à des coûts abordables “. Stéphane Soussan, gestionnaire du fonds, rappelle que des investissements importants seront nécessaires pour optimiser les rendements agricoles (biotechno-logies, mécanisations) et pour augmenter la surface des terres arables. Son fonds sera ainsi exposé sur l’ensemble de la chaîne agricole, avec une partie importante des actifs sous gestion qui seront exposés sur des segments qui seront peu influencés par les prix des matières premières.

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