Les obligations chinoises, le nouveau refuge

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Les obligations souveraines américaines et allemandes ont de tout temps été considérées comme des valeurs refuges. Mais à présent que ” treasuries ” et ” Bunds ” ne rapportent plus rien, l’investisseur se tourne vers la Chine.

Dès l’instant où le Covid-19 a débarqué en Europe, les investisseurs ont cherché leur salut dans les obligations de l’Etat chinois. En avril et en mai surtout, ils en ont acquis pour plusieurs centaines de milliers de milliards de yuans (1 yuan vaut 0,13 euro environ).

” Ce n’est qu’un début “, prédit Vincent Juvyns, chez JPMorgan Asset Management. Le marché obligataire chinois est le deuxième au monde par ordre d’importance. Or, cela fait trois ans à peine (depuis l’ouverture de la plateforme Bond Connect) qu’il est facilement accessible aux investisseurs étrangers.

Pour Vincent Juvyns, tout portefeuille d’investissement doit contenir des obligations chinoises, et pour plus de quelques pour cent. ” Elles rendent le portefeuille à la fois plus solide et plus diversifié car elles sont peu corrélées avec les autres actifs, précise le spécialiste. Le petit investisseur n’a malheureusement toujours pas la possibilité d’opter pour des obligations d’entreprises ou directement de l’Etat chinois ; il doit passer par des fonds ou des trackers obligataires. ” Une autre manière d’investir dans l’économie chinoise (appelée à devenir, d’après Vincent Juvyns, la première du monde) consiste à acquérir de la devise ou des obligations libellées en yuan d’entreprises occidentales.

Echanges limités

Toutes les banques belges ne proposent pas de comptes en yuan (il faut, pour pouvoir en ouvrir, s’adresser aux succursales belges d’établissements chinois, comme ICBC ou Bank of China). Et encore, pas par Internet ! Au téléphone, un employé d’ICBC nous assure qu’il suffit aux personnes privées de se présenter à l’agence, munies de leur carte d’identité. Les lignes téléphoniques de Bank of China semblent, elles, constamment occupées. Quel que soit le moyen de communication utilisé, nous n’avons malheureusement pu, ni chez l’une ni chez l’autre, nous enquérir des taux d’intérêt.

Le yuan est aujourd’hui beaucoup moins cher en euro qu’il y a cinq ans.

Si la Chine ouvre peu à peu ses marchés de capitaux, investir dans sa devise demeure, pour les particuliers, assez compliqué : le pays n’a manifestement pas besoin de notre argent. Même l’offre d’obligations d’entreprises en yuan est très restreinte. ” Si vous cherchez des obligations en yuan dotées de certaines caractéristiques, vous en trouverez peut-être une dizaine, contre des milliers pour des obligations en dollar assorties des mêmes critères, affirme Alex Goldwasser, de la société de Bourse bruxelloise Goldwasser Exchange. Les clients qui souhaitent acheter des obligations en yuan doivent parfois attendre plusieurs jours que nous dénichions un vendeur. L’offre et les échanges sont limités. Investir en yuan en acquérant des obligations est donc un peu compliqué mais pas impossible “, conclut notre interlocuteur.

L’investisseur belge peut passer par Goldwasser Exchange pour acquérir des obligations en yuan émises par des entreprises, comme les constructeurs automobiles Daimler ou BMW, dont les intérêts et le montant remboursé à l’échéance finale lui seront payés en euro. Si le yuan s’est apprécié dans l’intervalle, l’investisseur récupérera en bout de course, en plus des intérêts, une somme en euro plus importante que son apport. Evidemment, le risque de change fonctionne dans les deux sens : si le yuan devait se déprécier, le remboursement en euro serait moins élevé.

Les obligations, de préférence aux actions

Alex Goldwasser estime, lui aussi, que chaque portefeuille devrait être exposé à la Chine. ” C’est une thématique du futur. Je n’oserais actuellement pas investir en actions chinoises parce que le redressement boursier a été extrême alors que la crise n’a en fait pas encore frappé. La Chine n’échappera pas au malaise économique “, raisonne celui pour qui les obligations constituent en revanche un bon choix. ” Un des principaux problèmes qu’ont les pays développés est celui de l’emballement de leur déficit public et de leur dette, ajoute-t-il. En Chine, le rapport entre endettement et produit intérieur brut est beaucoup plus sain. ” A cela s’ajoute le fait que le yuan est aujourd’hui beaucoup moins cher en euro qu’il y a cinq ans. C’est la raison pour laquelle Alex Goldwasser estime qu’il est temps d’investir dans la devise.

Cela fait un bon bout de temps déjà que Vincent Juvyns parle des obligations chinoises comme de l’investissement du futur. Il l’admet : ” Pour être honnête, je suis plus sûr des obligations souveraines chinoises que belges “. A cause, surtout, du niveau colossal atteint par la dette publique des pays occidentaux, un phénomène beaucoup moins marqué en Chine.

Davantage d’argent

Si de nombreux nouveaux foyers d’infection devaient éclater en Europe et aux Etats-Unis, les obligations chinoises pourraient bien devenir le seul actif rentable. ” Les investisseurs considéreront-ils indéfiniment les obligations chinoises comme un refuge ? Peut-être pas. Il y aura sans doute des hauts et des bas “, estime Vincent Juvyns. En tout état de cause, les obligations d’Etat américaines et allemandes sont tellement demandées par les investisseurs en quête d’un peu de sécurité qu’elles ne rapportent pratiquement plus rien. ” Le coupon moyen des obligations de notre fonds China Bond Opportunities est de 5,5 % pour une durée moyenne légèrement supérieure à trois ans, ajoute Vincent Juvyns. Plus de la moitié des obligations qui composent ce fonds sont émises par des entreprises chinoises très solvables ou par l’Etat même. ” Pour obtenir un même coupon en Europe ou aux Etats-Unis, il faut investir dans des entreprises beaucoup moins solvables ou pour des durées plus longues.

Le taux directeur de la Banque centrale chinoise est fixé à 3,85 % alors qu’il est nul en Europe et aux Etats-Unis. Vincent Juvyns met en garde contre les comparaisons hâtives : ” En Chine et dans les économies émergentes, les réserves que doivent détenir les banques sont un instrument de politique monétaire. C’est en augmentant ou en diminuant ces réserves obligatoires que le pays injecte plus ou moins d’argent dans l’économie. ” Il est en tout cas certain que la marge de manoeuvre dont disposent la Banque centrale et le gouvernement pour stimuler l’économie est bien plus importante que celle qu’ont l’Europe ou les Etats-Unis.

Investir en Chine n’est évidemment pas dépourvu de risques. Le pays n’est pas à l’abri d’une accélération de son inflation qui rongerait le rendement des obligations en yuan. ” Normalement, tout événement négatif pour la Chine le sera aussi pour l’Occident, nuance Vincent Juvyns. Le conflit commercial, par exemple, pourrait s’aggraver… mais sur cette planète qui s’apparente désormais à un village, il touchera de toute façon tout le monde. Extrêmement importante, l’économie chinoise est de moins en moins dépendante des exportations. ”

” Si la Chine veut devenir la première économie du monde, elle aura besoin de davantage d’argent en provenance de l’étranger. Jusqu’à présent, elle s’autofinance en grande partie. Mais la Nouvelle Route de la soie ( ensemble de liaisons maritimes et ferroviaires, également appelé Initiative Route et ceinture, Ndlr) va exiger beaucoup d’argent, ce qui contraindra les Chinois à émettre davantage d’obligations “, conclut l’expert.

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