“On peut toujours trouver des actions bon marché”

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

D’après le gestionnaire de patrimoine espagnol Magallanes Value Investors, connu dans son milieu pour penser à contre-courant, les marchés financiers font preuve d’une cupidité croissante. “Mais il reste des cibles dont on se défie, et dans lesquelles personne n’ose investir.”

Notre famille a toujours tenté de transmettre son patrimoine à la génération suivante, relate Blanca Hernández Rodríguez, administrateur délégué de Magallanes Value Investors. La capitalisation des intérêts crée un véritable effet boule de neige, mais il faut engranger un rendement de 10 % l’an pour qu’elle soit efficace, voire plus, ce qui est impossible à obtenir autrement qu’en investissant dans des entreprises. Il importe également de ne pas perdre d’argent. D’après moi, opter pour des actions de valeur est la manière la plus conservatrice d’investir en actions. ”

C’est en 2014 que Blanca Hernández Rodríguez et le gestionnaire de fonds Iván Martín Aranguez créent le gestionnaire de patrimoine Magallanes. ” Il en rêvait, se souvient-elle. Il a appris l’investissement de valeur (value investing) à l’université, et géré pendant 17 ans l’argent d’autrui pour le compte de banques et de gestionnaires de patrimoine. Mais il voulait posséder sa propre affaire, pour pouvoir investir à contre-courant, comme il le voulait. Il m’a convaincue. Ma propre contribution est plutôt marginale. ” Si Blanca Hernández Rodríguez insiste sur le rôle d’Iván Martín Aranguez, c’est tout de même elle qui a décidé des familles fortunées à lui confier le capital de départ, d’un montant de 150 millions d’euros. Sa propre famille a investi 30 millions d’euros. Elle est le principal actionnaire d’Ebro Foods, numéro 1 du riz dans le monde entier et numéro 2 des pâtes, avec des marques comme Bosto ou Panzani. Blanca Hernández Rodríguez représente sa famille au sein du conseil d’administration d’Ebro Foods, dont son cousin est CEO.

L’argent de “family offices”

IVÁN MARTÍN ARANGUEZ
IVÁN MARTÍN ARANGUEZ ” J’adore les holdings, à cause des décotes “© PG

” Nous gérons aujourd’hui 1,7 milliard d’euros et j’ai moi-même beaucoup investi, car j’estime qu’il faut savoir prendre ses responsabilités. Je pense que 60 à 70 % des fonds proviennent de family offices, des structures qui investissent sur le long terme et disposent de suffisamment de temps pour attendre que les titres s’apprécient “, ajoute Blanca Hernández Rodríguez. Pour Iván Martín Aranguez, ” investir dans des actions dépréciées, ou ‘actions de valeur’, est efficace, même si les résultats peuvent s’avérer moins satisfaisants pendant un an ou deux. Deux ans, c’est très court pour un investisseur de valeur, ajoute le spécialiste. Je discutais il y a peu avec le gestionnaire de la trésorerie d’une université américaine, qui m’a demandé de combien de temps il fallait disposer lorsque l’on souhaitait investir dans notre fonds. Je lui ai répondu avec circonspection : ‘Au moins cinq ans, mais de préférence, sept’. Il a approuvé : ‘Ne vous en faites pas : nous comptons en décennies et analysons les rendements sur 10 ans’. ”

Le gestionnaire espagnol, quasi inconnu chez nous, a su convaincre le family office belge Truncus, avec lequel il collabore depuis environ six mois. Magallanes fait donc désormais partie des 11 gestionnaires de patrimoine indépendants sélectionnés par cette structure pour gérer les fonds de ses clients fortunés. A première vue, Truncus prend des risques, car Magallanes n’a pas encore obtenu ses lettres de noblesse (la plupart des organismes financiers attendent, eux, que les fonds soient en mesure de produire un historique satisfaisant sur cinq ans au moins). Magallanes n’a commercialisé ses premiers fonds – un axé sur l’Europe et un, sur la péninsule Ibérique – qu’à la fin du mois de janvier 2015. Magallan European Equity, le produit que Truncus conseille à ses clients, a pourtant achevé l’exercice 2015 sur un rendement de 4 %, l’exercice 2016, sur un résultat de 13,5 % environ, et frôle les 18 % en 2017. Magallanes Iberian Equity, l’autre fonds, a été gratifié en août par le spécialiste Morningstar d’un silver rating : les analystes ont estimé que lorsqu’il travaillait pour ses précédents employeurs (Sabadell, Aviva et Santander), Iván Martín Aranguez avait suffisamment démontré sa connaissance des actions espagnoles et portugaises dans lesquelles il faut investir.

Une encyclopédie vivante

” J’ai dans un premier temps essayé d’investir moi-même l’argent du family office de ma famille dans des actions de valeur, mais je n’étais pas très compétente, admet Blanca Hernández Rodríguez. L’investissement de valeur paraît évident en théorie, mais il faut avoir le tempérament pour cela, la passion, et vouloir passer ses journées à analyser des rapports annuels. Il faut presque être une encyclopédie vivante, comme le dit Charlie Munger. Je suis plus efficace quand il s’agit de sélectionner des gestionnaires doués. C’est tout un art également, car 10 % seulement des membres de la profession font mieux que le marché. Cela fait 17 ans que je pratique cette activité, et c’est dans ce cadre que j’ai rencontré Iván. ”

Lequel précise que ” l’investissement de valeur, c’est simple. Il faut acheter des actions quand elles sont bon marché, qu’elles cotent sous leur valeur intrinsèque. C’est simple, mais pas facile. Il faut savoir compter, il faut s’intéresser au sujet, contrôler ses émotions. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne m’entretiens jamais avec la haute direction des entreprises : si j’ai des questions à poser, je m’adresse aux cadres, qui savent aussi bien de quoi ils parlent. Il m’est arrivé par le passé de commettre des erreurs, pour m’être laissé séduire par le charisme d’un CEO. C’est quelque chose que l’on apprend à négliger, pour laisser d’abord et avant tout parler les chiffres.

Nous ne considérons pas les banques comme des actions de valeur. Elles présentent un bilan avec d’un côté, l’actif, de l’autre, le passif, mais qui sait ce qui se trouve derrière ? Elles prêtent à des entreprises, mais comment savoir si certaines ne sont pas au bord du gouffre ? ” Iván Martín Aranguez

” Les marchés financiers oscillent entre crainte et cupidité, entre un extrême et l’autre. Le curseur n’est presque jamais au centre. Les investisseurs ne sont pas rationnels et les marchés, pas efficients. Nous ne sommes que des êtres fous, ou le devenons peut-être, lorsqu’il s’agit d’argent “, poursuit Iván Martín Aranguez. Pour lui comme pour Blanca Hernández Rodríguez, il est évident que la balance penche pour l’instant du côté de la convoitise. ” Mais il reste des cibles dont on se défie “, constate Blanca Hernández Rodríguez. ” C’est exact, confirme Iván Martín Aranguez. On peut toujours trouver des opportunités, des secteurs ou des entreprises dans lesquels personne ne veut investir. ”

D’après Blanca Hernández Rodríguez, c’est l’insatiable curiosité d’Iván Martín Aranguez pour tout ce qui concerne les affaires qui fait la différence. ” Lorsqu’il voit une marque de fromage au magasin, il veut savoir quelle est l’entreprise qui l’a produite et si elle est cotée en Bourse “, s’amuse-t-elle. ” Je suis incapable de scinder travail et vie privée, confirme Iván Martín Aranguez en riant. Les idées peuvent venir de n’importe où. Je peux très bien m’intéresser à un secteur dont se détournent les investisseurs et chercher en son sein l’entreprise qui présente le meilleur rapport qualité-prix. Je peux tout autant étudier à fond une société qui m’intéresse, pour ensuite décider de ne pas investir. Je suis ouvert à tout. Par contre, je ne veux pas payer trop pour un titre, et je suis allergique aux dettes. ”

Nombreux sont les stratégistes qui citent parmi leurs actions favorites pour 2018 les banques, à cause de la remontée des taux. ” Nous ne considérons pas les banques comme des actions de valeur, prévient Iván Martín Aranguez. Leur business model est facile à comprendre : elles attirent l’argent et accordent des prêts, et doivent vivre de leurs marges. Elles présentent un bilan avec d’un côté, l’actif, de l’autre, le passif, mais qui sait ce qui se trouve derrière ? Elles prêtent à des entreprises, mais comment savoir si certaines ne sont pas au bord du gouffre ? Lesquelles ont, au contraire, devant elles un avenir radieux ? Je ne suis pas à l’aise avec ce secteur. Je ne dis pas que nous n’investirons jamais dans des banques mais mon sentiment est que pour le moment, la marge de sécurité est insuffisante. ”

Investir dans un holding comme Pargesa permet d'être exposé à de grands groupes comme Adidas.
Investir dans un holding comme Pargesa permet d’être exposé à de grands groupes comme Adidas.© BELGA IMAGES

Un titre belge en portefeuille

Le portefeuille européen a investi dans l’entreprise belge Euronav. ” C’est le secteur qui m’a attiré, relate notre spécialiste. La navigation maritime, et surtout le transport de brut, m’intéressent tout particulièrement. Il s’agit d’un investissement typiquement fait pour Magallanes. La quasi intégralité du transport pétrolier est aux mains d’une seule famille, dont les intérêts sont les mêmes que ceux des actionnaires minoritaires. La direction jouit d’une excellente réputation dans le secteur, ce qui est indispensable si l’on veut éviter de perdre des contrats. Toutes les entreprises actives dans ce domaine sont très endettées, car construire des navires-citernes coûte cher. Euronav est de loin le groupe qui gère le plus prudemment ses dettes ; il a d’ailleurs le taux d’endettement (loan-to-value) le plus bas. Si le secteur continue à souffrir, certaines entreprises vont devoir mettre la clé sous le paillasson. Euronav survivra à la crise et pourra même profiter de la disparition de ses concurrentes. ”

Le fonds investit également dans Pargesa, le holding suisse qui chapeaute la société de portefeuille belge GBL. ” J’adore les holdings, à cause des décotes, s’exclame Iván Martín Aranguez. Dans le cas d’un holding de holding, la décote est appliquée à deux reprises. Pargesa est de surcroît contrôlé par les familles Frère et Desmarais, qui l’une et l’autre investissent à la manière de Warren Buffett. Elles ont largement fait leurs preuves. Généralement, elles achètent des titres de qualité, à bon prix ; cela leur permet d’être exposées à de grands groupes très costauds comme Adidas, LafargeHolcim, Pernod Ricard, Total, Parque Reunidos, Burberry, etc. Si je voulais acheter ces entreprises directement, cela me coûterait les yeux de la tête. Certaines personnes n’aiment pas les holdings, qu’elles croient condamnés à toujours être affectés d’une décote. Mais ce n’est pas le cas : lorsqu’un holding revend ses participations, c’est toujours au prix du marché. Nous avons le temps. Laissez-moi agir à mon rythme. ”

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