Où les assureurs placent-ils votre argent?

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

De plus en plus d’épargnants veulent avoir la certitude que la banque à laquelle ils confient leur argent ne l’utilisera pas pour financer des entreprises controversées. Or il existe un type de produits moins transparents encore que les comptes d’épargne : les assurances-épargne.

Nous avons demandé aux cinq plus grands assureurs sur la vie du pays ce que devenaient les fonds versés dans les assurances-vie de la branche 21. La plupart du temps, ils arrivent dans un grand fonds global organisé par l’assureur, qui fait par ailleurs en sorte de couvrir ses engagements. Imaginez que vous souscriviez un contrat branche 21 assorti d’un rendement garanti de 1 %, qui arrivera à échéance dans huit ans : l’assureur peut en théorie couvrir cet engagement en acquérant une obligation d’une durée de huit ans, à laquelle sera attaché un coupon de 1 %.

Il en va tout autrement des assurances vie branche 23, dont les primes payées par les clients sont versées dans des fonds d’investissement sans faire l’objet d’aucun rendement garanti. Si, au moment où l’assuré récupère son argent, les fonds enregistrent des résultats bénéficiaires, c’est lui qui en profite ; dans le cas contraire, il est perdant.

Nous avons voulu savoir dans quoi les assureurs investissaient l’argent qui leur est confié. Il subsiste en effet, sur le marché, des assurances-vie assorties d’un rendement de 1% par an sur huit ans ou sur toute la durée du contrat ; d’autres promettent un rendement de 1% sur le seul exercice 2019. Or maintes obligations émises pour 10 ans par la Belgique ou par d’autres Etats ne rapportent quasiment plus rien.

Le rendement garanti des assurances-vie branche 21 varie de zéro à 1 %. S’il est fixé à zéro, l’assureur ne s’engage à rembourser que le capital investi. Il tente évidemment de générer autant de rendement que possible, mais sans engagement. Comment, sur fond de taux d’intérêt négatifs, les assureurs peuvent-ils continuer à tenir leurs promesses ?

Où les assureurs placent-ils votre argent?

Placements

Les explications varient considérablement d’un interlocuteur à l’autre. KBC Assurances, par exemple, nous a fait savoir qu’il ne communiquait pas au sujet des actifs dans lesquels investissent ses assurances-épargne. Le porte-parole de P&V Assurances ne s’est guère montré plus loquace. AG Insurance, Belfius et, surtout, Fédérale Assurance, nous ont fourni des réponses extrêmement détaillées.

Compagnie d’assurances mutualiste et coopérative, Fédérale Assurance n’a pas d’actionnaires, ce qui signifie qu’elle partage ses bénéfices éventuels avec ses clients-coopérateurs au travers d’une ristourne sur les primes des assurances dommages et d’une participation aux bénéfices dans le cas des assurances-vie. P&V Assurances est une coopérative elle aussi. Les trois autres compagnies font chacune partie de groupes cotés en Bourse, qui doivent répondre tous les six mois de leurs bénéfices ou pertes devant leurs actionnaires.

Selon un porte-parole de Fédérale Assurance, le portefeuille d’investissements de l’activité vie est passé, au cours des sept dernières années, de moins de 1,3 à plus de 2,5 milliards d’euros. Au-delà de sept ans, il ignore la répartition des différents investissements au sein du portefeuille. Le pourcentage d’obligations émises par des entreprises est aujourd’hui moins élevé qu’en 2012 – le poids de ce type d’obligations n’a certes pas beaucoup changé, mais nombre d’entre elles proviennent désormais d’Europe centrale et d’Europe de l’Est. ” Bien que le portefeuille obligataire demeure à 35 % lié à la Belgique, il est plus diversifié “, explique notre interlocuteur. Les actions et celles de sociétés immobilières représentent 11 % du portefeuille, contre 10 % il y a sept ans. ” Mais le risque actions est partiellement couvert, ajoute-t-il. Le portefeuille est en outre plus diversifié, puisqu’il contient désormais des prêts, des investissements dans des projets d’infrastructure et des investissements dans l’immobilier même, essentiellement des maisons de repos et des résidences pour étudiants. ”

L’exposition des assureurs à l’immobilier est passée, en deux ans, d’un peu plus de 10 % à un peu plus de 14 %.

AG Insurance déclare investir davantage que par le passé dans l’immobilier, les infrastructures, les crédits hypothécaires et les prêts à long terme pour des projets liés aux pouvoirs publics. De son côté, aux cours des cinq dernières années, Belfius Insurance a davantage investi en actions et en immobilier au détriment des prêts et obligations.

Les portefeuilles d’investissements de ces assureurs ne sont pas fondamentalement différents de ceux de la moyenne du secteur. Le rapport annuel sur la stabilité financière de la Banque nationale de Belgique surveille scrupuleusement leur évolution ( voir tableau intitulé “Portefeuille d’investissements des assureurs”). Sa version la plus récente constate que l’exposition des assureurs à l’immobilier est passée, en deux ans, d’un peu plus de 10 % à un peu plus de 14 %, des chiffres qui comprennent tant les investissements directs dans l’immobilier que les prêts hypothécaires et les actions et fonds de sociétés immobilières. Cette exposition est supérieure à celle de la moyenne des assureurs européens (9 %). La Banque nationale a rappelé récemment encore à quel point le secteur bancaire belge est exposé au risque d’effondrement des prix de l’immobilier. Sans être préoccupante, la situation des assureurs est suivie de très près également.

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Atonie des taux d’intérêt

A la fin de l’année 2016, Axa a racheté son produit Crest 20, une assurance-vie extrêmement populaire qui garantissait un rendement de 4,75 % par an à vie. Ethias a, elle aussi, initié diverses actions visant à récupérer son produit First, très avantageux pour le client (assurance-vie assortie d’un rendement garanti à vie) mais devenu impayable pour elle. Les deux compagnies ont d’ailleurs totalement renoncé à vendre des assurances-vie, qui constituaient pourtant, par le passé, un des fers de lance de leur activité. Les rendements élevés garantis à vie sont désormais remis en question par la faiblesse des taux d’intérêt, à un point tel que les assureurs ne peuvent plus tenir l’intégralité de leurs engagements. Ils peuvent certes souscrire des obligations souveraines à 100 ans, mais elles sont rares et très peu rentables. Lorsqu’un client souscrit une assurance-vie dont l’échéance finale coïncide avec l’âge du départ à la retraite ou avec le décès, plus aucun instrument financier ou obligation quel qu’il soit ne permet de couvrir entièrement le rendement annuel garanti.

NN Belgium n’a pas renoncé à vendre des assurances-vie, mais réduit, depuis 2018, son offre en branche 21, privilégiant les branches 23. ” Compte tenu des taux d’intérêt historiquement bas, nous estimons que ce produit n’est plus viable, déclare Jan Van Autreve, CEO de NN Belgium. Pour nous, les taux d’intérêt constituent un problème structurel et permanent. C’est la première fois que les assureurs voient des obligations souveraines assorties de taux d’intérêt négatifs. Nous estimons dangereux de garantir des taux plus élevés que ceux que peuvent nous rapporter des investissements sûrs. Les rendements des assurances-vie branche 21 sont faibles et le resteront ; c’est la raison pour laquelle nous ne vendons plus ces assurances épargne. “.

Le CEO de NN Belgium ajoute que les exigences en matière de fonds propres imposées par Solvency II – la réforme réglementaire européenne du monde de l’assurance – incitent désormais les assureurs sur la vie à investir autrement. ” Solvency II oblige à disposer de fonds propres – sorte de coussin d’air qui permet d’avoir toujours la tête hors de l’eau – en suffisance, déclare-t-il. La situation a changé du tout au tout. Jusqu’à l’adoption de cette réglementation, les assureurs étaient en mesure d’encaisser les chocs sur les marchés d’actions : loin d’être tenus d’acter leurs pertes en une fois, ils pouvaient les ventiler sur plusieurs exercices. Ils faisaient donc appel aux actions et à l’immobilier pour couvrir leurs engagements à très long terme. ”

Le gros problème des assurances-vie est leur manque total de transparence.” Sébastien Mortier (FairFin)

Mais Solvency II rend désormais très chers les investissements en actions, puisque les assureurs doivent, pour se prémunir contre les risques, disposer d’énormément de fonds propres. C’est la raison pour laquelle ils se sont mis en quête d’autres produits, comme les prêts hypothécaires, les portefeuilles hypothécaires ou immobiliers et les investissements dans des projets d’infrastructure ; ces produits ressemblent un peu aux obligations, mais ils sont légèrement plus rentables.

” Nous préférons nous spécialiser dans les assurances-vie branche 23 à destination non seulement des particuliers, mais aussi des entreprises qui offrent une assurance de groupe à leur personnel, poursuit Jan Van Autreve. Le produit est plus risqué mais pour autant qu’il commence à épargner tôt et qu’il n’interrompe pas ses efforts, le client peut gommer les fluctuations des marchés financiers. Cet investissement exige une certaine culture financière de la part des assurés et un accompagnement efficace par les intermédiaires, mais il constitue selon nous une meilleure solution, en termes d’épargne-pension et de constitution patrimoniale, que les assurances branche 21. ”

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Investissements durables

Plusieurs assureurs nous ont fait savoir qu’ils avaient demandé, pour un certain nombre de leurs fonds branche 23, à obtenir le label durable délivré par Febelfin, la fédération belge du secteur financier. Les investisseurs pourront donc, à l’avenir, décider de n’intégrer dans leurs assurances-placements que des fonds durables. De plus en plus de clients s’interrogent en effet sur la destination de leur épargne, dont ils ne souhaitent pas qu’elle finance la production d’armes, des usines textiles dangereuses ou des producteurs d’énergie qui font appel à la méthode, très polluante, de la fracturation hydraulique. Or les assurances branche 21 sont muettes à ce propos. Interrogée, Febelfin nous a fait savoir qu’aucun assureur n’avait, pour l’heure, réclamé le label durable pour ses produits branche 21.

” Le gros problème des assurances-vie est leur manque total de transparence, déplore Sébastien Mortier, collaborateur chez FairFin, organisation socioculturelle qui encourage les épargnants à utiliser l’argent comme vecteur de changement social. Contrairement aux fonds d’investissement (sicav), elles ne font l’objet d’aucun rapport semestriel ou annuel dans lequel serait détaillé le contenu du portefeuille. Il est donc impossible de savoir exactement dans quoi elles investissent.

Où les assureurs placent-ils votre argent?

” Nous n’avons pas effectué, récemment, d’analyse comparative du secteur des assurances “, admet Sébastien Mortier. Celui-ci nous conseille de consulter l’Eerlijke Verzekeringswijzer ( fruit d’une coopération entre Amnesty International, la Confédération syndicale des Pays-Bas, Milieudefensie, Oxfam Novib, PAX et World Animal Protection, Ndlr), qui classe les compagnies d’assurance néerlandaises en fonction de toute une série de critères en matière d’investissements durables et responsables (changement climatique, respect des droits humains, etc.). Les assureurs Allianz et NN, actifs sur le marché belge également, y figurent ; le score d’Allianz est dans l’ensemble moins bon que celui de NN.

Qu’entend-on par branche 21 ?

Toute assurance-vie est un contrat entre trois parties : le preneur d’assurance, l’assuré et le bénéficiaire. Une seule et même personne peut être les trois parties à la fois, auquel cas l’assurance est un simple produit d’épargne et un placement.

La compagnie qui vend une assurance-vie branche 21 garantit un rendement annuel minimum et les fonds restent investis dans le contrat. Les bonnes années, le preneur bénéficie également d’une participation aux bénéfices de l’assureur. Lors de chaque versement, la compagnie est tenue de prélever, pour le verser au Trésor, un impôt de 2 %. Pour autant que les fonds restent investis huit ans ou que le client ait opté pour une couverture décès équivalent à 130 % du capital investi, les intérêts sont entièrement exonérés d’impôt.

Qu’entend-on par branche 23 ?

Les assurances-vie branche 23 sont, pour faire bref, une manière d’emballer et de présenter un ou plusieurs fonds d’investissement, ou d’autres actifs encore. Le rendement et les risques dépendent en grande partie desdits actifs. Les assurances-vie branche 23 qui investissent dans des fonds d’actions sont au moins aussi risquées qu’eux. Il existe également des produits financiers qui combinent branche 21 assortie d’un rendement garanti et branche 23 sans rendement garanti ; certains établissements financiers ont baptisé cette combinaison ” assurance-vie branche 44 “.

Les rendements des produits branche 23 sont totalement exonérés de précompte mobilier. En revanche, chaque versement dans le contrat fait l’objet d’une taxe de prime. Imaginez que vous effectuiez des versements successifs de 1.000 euros dans un contrat branche 23 : à chaque fois, 20 euros iraient à l’administration fiscale. Les produits d’assurance accusent donc du retard au départ par rapport aux versements dans de simples fonds d’investissement mais dans le cas des fonds obligataires et des fonds mixtes, c’est au moment de la revente des certificats que l’impôt est prélevé.

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