Peter De Coensel (DPAM): “Les obligations souveraines ont toujours leur place”

Peter De Coensel: "Notre construction de portefeuille va intégrer naturellement de plus en plus d'obligations vertes dans le futur." © PG

Pour le gestionnaire Peter De Coensel, le haut rendement conserve encore de l’attrait, mais doit être réservé aux investisseurs avertis. Et la dette émergente est actuellement à un niveau très attractif.

Peter De Coensel est responsable de la stratégie obligataire chez DPAM, après une carrière qui l’aura vu passer par la BBL, ABN Amro, CDC Paris, Commodities Corporation (acquis par Goldman Sachs Asset Management) ou CapitalAtWork. Il gère la stratégie DPAM L Bonds Universalis Unconstrained qui dispose d’une liberté de trouver des opportunités sur l’ensemble des marchés obligataires.

Ce fonds génère un peu plus de 1% depuis le début de l’année et a dégagé une performance annualisée supérieure à 4% durant la dernière décennie, avec une notation quatre étoiles chez Morningstar. Cette grande constance permet à ce produit d’afficher des actifs sous gestion qui dépassent désormais 1,1 milliard d’euros, ce qui en fait un des produits les plus importants du gestionnaire bruxellois.

Alors que la pandémie de coronavirus va encore compliquer la tâche des gestionnaires obligataires en maintenant les rendements sous pression pendant de nombreuses années, nous lui avons demandé de partager son opinion sur les nombreux points d’interrogation qui pèsent actuellement sur les classes d’actifs qu’il supervise.

Trends-Tendances. Pendant combien de temps pensez-vous que les taux vont rester à des niveaux aussi déprimés?

Peter De Coensel. Pour un investisseur obligataire, la réponse est relativement simple. Les banques centrales ne sont pas prêtes à relâcher la pression sur les taux directeurs. Pour la Banque centrale européenne (BCE), le marché ne doit pas s’attendre à une hausse du taux directeur avant le début 2026. Aux Etats-Unis, une hausse pleine du taux direction (de 0,25%) n’est pas non plus attendue avant la seconde partie de 2024. Les investisseurs obligataires ne sont donc actuellement pas inquiets par une hausse des taux directeurs, avec des politiques monétaires qui seront liées aux politiques budgétaires menées dans les pays développés.

Mais quid du taux à 10 ans, qui sera plus rapidement impacté par des craintes au niveau de l’inflation?

La réponse est ici plus nuancée. D’une part, les programmes de rachats mis en place par les banques centrales tournent à plein régime et contribuent à maintenir la pression sur les rendements à long terme dans un environnement de volatilité extrêmement faible pour l’instant. D’autre part, même si l’impact de la crise est déflationniste dans un premier temps, on s’attend à un éventuel retour de l’inflation. Il n’est donc pas totalement déraisonnable d’exposer une partie de son portefeuille sur des emprunts souverains avec une protection contre cette inflation.

Le niveau de l’endettement public est-il un facteur négatif sur le long terme?

Les gouvernements européens ont creusé leur endettement durant cette crise avec, par exemple, un niveau qui devrait atteindre entre 120 et 125% du PIB en Belgique à la fin 2020. Il s’agit toutefois d’un problème mondial qui va maintenir en activité les programmes d’assouplissement quantitatif sur le long terme. La BCE détiendra ainsi à la fin 2020 pas moins de 30% de toutes les dettes souveraines émises en Europe et ce niveau ne fera que grimper durant la prochaine décennie. Cette dette ne sera jamais annulée car elle ne gêne personne. Elle constitue une forme de soutien fiscal aux différents pays de la zone euro car les gouvernements sont désormais payés lorsqu’ils émettent de la dette.

Plus votre profil de risque sera agressif, plus il faudra augmenter la proportion investie en dehors des classes obligataires européennes.

Est-ce que la dette d’entreprise européenne reste encore attractive?

La BCE a acheté beaucoup de papier dans la dette “Investment Grade” depuis 2016. Elle détient aujourd’hui environ 10% des émissions d’entreprises européennes de bonne qualité et le potentiel sur ce segment nous semble relativement réduit. Les risques de défaut de la dette à haut rendement se sont effondrés durant la dernière décennie. Même dans un exercice aussi difficile que 2020, son taux de défaut devrait tourner autour de seulement 4%. Il est possible d’encore trouver des rendements attractifs sur la dette d’entreprise à haut rendement, mais il faut se rappeler que ce segment reste extrêmement peu liquide, en particulier lorsque le marché devient plus nerveux comme en mars dernier. Il reste donc réservé aux investisseurs avertis.

Et la dette émergente?

Selon moi, sur ce segment, le pire est désormais derrière nous. Les banques centrales des pays émergents ont été très agressives durant la crise, avec de nombreuses baisses de taux qui ont fait pression sur le niveau des devises. Dans une optique à moyen terme, nous conseillons de remonter l’exposition sur la dette émergente, une fois que les conséquences de l’élection présidentielle américaine auront été digérées. Il faut toutefois rester sélectif dans le choix des émissions en devise locale ou en devise forte, en particulier sur ce dernier segment où il faut sélectionner les Etats qui seront en mesure de rembourser.

A quelle volatilité peut-on s’attendre sur les marchés obligataires durant les mois à venir?

Les marchés obligataires sont aujourd’hui noyés dans les liquidités et plus léthargiques face aux événements qui peuvent affecter les marchés boursiers. Cependant, les expérimentations monétaires ont le potentiel de lever le niveau de volatilité d’une façon structurelle à travers les actifs financiers. Même si nous sommes aujourd’hui à des années d’un changement dans l’orientation des politiques monétaires, les banques centrales peuvent encore nous surprendre. N’excluez donc pas de baisse de taux à côté des augmentations des programmes d’achat obligataires.

Quelle pourrait-être une allocation idéale d’un portefeuille obligataire en cette fin d’année 2020?

Tout va dépendre de votre profil. Je dirais que pour un investisseur prudent, il est encore possible d’obtenir un rendement total d’environ 1,1% en restant exposé à 75% sur les marchés européens avec un mélange d’emprunt souverain et de dette d’entreprise, le reste étant exposé sur d’autres marchés, notamment sur la dette émergente ou sur la dette américaine. Plus votre profil de risque sera agressif, plus il faudra augmenter la proportion investie en dehors des classes obligataires européennes.

Quels sont les secteurs que vous préférez au niveau de la dette d’entreprise?

En dépit de la forte hausse de leurs fonds propres depuis la crise de 2008, la BCE reste très nerveuse par rapport au secteur européen des banques. Il faut donc rester prudent et très sélectif en sélectionnant des acteurs solvables et dirigés par des équipes de très grande qualité. Il faut également avoir une très bonne diversification entre les émissions financières et non financières. Dans ce dernier segment, nous apprécions les acteurs exposés sur la problématique du changement climatique et des investissements durables, qui auront plus de facilités à se financer à des conditions favorables dans le futur que des groupes qui n’adoptent pas les meilleures pratiques.

Dans ce contexte, que pensez-vous du segment des “green bonds”, des obligations vertes?

Il s’agit clairement d’un segment en phase d’accélération qui est, d’un point de vue technique, exactement le même papier qu’une obligation classique. La demande sur ce segment est aujourd’hui tellement forte que le marché est prêt à payer une prime d’environ 0,15%, comme nous l’avons récemment vu sur une émission de Daimler. C’est une tendance qui devrait se renforcer durant les prochaines années, et notre construction de portefeuille va intégrer naturellement de plus en plus d’obligations vertes dans le futur.

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