Pourquoi il faut plus que jamais souligner l’importance des dividendes

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

D’après certaines études universitaires, 80 % du rendement des actions est assuré par leurs dividendes.

La Belgique est depuis 1900 l’un des trois marchés d’actions les moins rentables au monde. Elle occupe également la septième place sur la liste des marchés obligataires (pour lesquels des données sont disponibles) les moins performants. Ce sont les conclusions du Credit Suisse Global Investment Returns Yearbook 2019, publié la semaine passée. Entre 1900 et 2018, le rendement réel des actions belges s’est établi à 2,5 % l’an en moyenne. Rien de bien extraordinaire.

La prime, c’est-à-dire le rendement payé par les actions au-delà du taux sans risque des obligations à court terme, est la plus faible de tous les pays examinés. Ce qui n’empêche pas les actions belges de faire légèrement mieux que les obli-gations belges à court et à long terme (- 0,3 % et + 0,4 % l’an en moyenne de rendement réel).

La situation géographique du plat pays est, d’après les historiens, tant une bénédiction qu’un mal. Certes, elle lui a permis d’être, au début du 20e siècle, un centre financier important. Mais elle a aussi fait d’elle un champ de bataille stratégique dans les conflits armés. Les performances décevantes des actions et des obligations belges sont, du moins en partie, la conséquence des ravages causés par les guerres et de l’inflation élevée que celles-ci ont provoquée.

Importance des dividendes

Les résultats des 50 dernières années sont plus encourageants. Le rendement réel des actions depuis 1969 atteint 5,2 % par an en moyenne contre 5,3 % en Europe et 4,7 % dans le monde. L’un des auteurs du rapport, Elroy Dimson, professeur à la Cambridge Judge Business School, a calculé qu’un portefeuille d’actions du monde entier investi depuis 1900 aurait rapporté un rendement réel de 5,2 % l’an en moyenne, la prime de risque s’établissant à 3,3 %. Entre 1900 et 2018, 4,1 % en moyenne du rendement des actions (soit 79 % du rendement total) a été généré grâce au réinvestissement des dividendes. Des dividendes dont on ne soulignera donc jamais assez l’importance.

Mieux vaut examiner, en plus du rendement du dividende, la politique de l’entreprise en la matière.

La Bourse de Bruxelles a été créée en 1801, à une époque où nous étions occupés par les Français. Marc Deloof, professeur de finance d’entreprise à l’Université d’Anvers, a compilé, en compagnie de collègues et avec l’aide du StudieCentrum voor Onderneming en Beurs (SCOB), des données relatives à l’évolution des cours et des dividendes des actions belges à partir de 1838.

A propos du poids du dividende dans le rendement des actions, ses conclusions recoupent celles d’Elroy Dimson : entre 1838 et 2010, la valeur des actions a augmenté moins rapidement que le coût de la vie puisque leur rendement réel, hors dividendes, a plafonné à – 0,7 %. Compte tenu des réinvestissements, le rendement des dividendes s’est établi à 3,9 %. Avec leur rendement annuel moyen de 3,2 %, les investissements en actions ont donc bel et bien protégé l’investisseur contre l’inflation. L’économiste John Burr Williams recommandait : ” Une vache pour son lait, une poule pour ses oeufs et une action pour ses dividendes “. A l’évidence, ce raccourci contient un fond de vérité.

En quête d’entreprises généreuses

Les deux guerres mondiales, de même que l’entre-deux-guerres, ont constitué une période atypique. Par après, entre 1946 et 2010, les actions ont rapporté 4,6 % par an en moyenne, dont 3,95 points ont été le résultat du réinvestissement des dividendes. Les intérêts composés représentent donc, sur le long terme, plus de 86 % des prestations du portefeuille d’actions.

Puisque les dividendes sont à ce point déterminants, l’investisseur sera naturellement enclin à opter pour des entreprises généreuses sur ce plan. Mais il aura tôt fait de constater que, parmi la liste des actions cotées en Bourse de Bruxelles dont le rendement dividende est le plus élevé, plusieurs affichent des dividendes incertains ( voir le tableau). Ainsi, sur le long terme, les dividendes de la société immobilière réglementée Befimmo sont-ils plutôt fluctuants. La direction promet qu’ils seront stables pour l’exercice 2019, mais il est très probable que le groupe va devoir, pour cela, puiser dans ses réserves.

La liste comporte également un certain nombre d’entreprises qui, l’an dernier ou dans un passé récent, ont vu leur cours s’effondrer sous le poids de reprises trop coûteuses ou d’un endettement exagéré (par exemple, bpost et AB InBev). Mieux vaut donc examiner, en plus du rendement du dividende, la politique de l’émetteur en la matière.

Cela fait 30 ans que le groupe chimique Solvay n’a pas abaissé son dividende. Sofina augmente le sien chaque année depuis 1976 et s’il est parfois resté stable depuis 1956, année de la création du holding, son montant n’a jamais diminué.

Traitement fiscal des dividendes

Le précompte mobilier dont sont, en Belgique, grevés les dividendes a été multiplié par deux en quelques années, pour s’établir à 30 % aujourd’hui. Seuls les dividendes de Care Property Invest et d’Aedifica font l’objet du taux réduit de 15 % parce que ces sociétés immobilières réglementées investissent plus de 60 % de leur portefeuille dans l’immobilier de soins. Nous nous sommes demandé dans quelle mesure la fiscalité élevée des dividendes grevait le rendement des actions. Lors de leur étude, le professeur Deloof et son équipe ont tenu compte des dividendes nets (avant 1920, la Belgique n’imposait pas les dividendes). Ce n’est pas la première fois que les investisseurs doivent céder 30 % de leurs revenus de dividendes au fisc: l’impôt est déjà passé à 30 % entre 1947 et 1960

Marc Deloof a en outre calculé le rendement des actions sur la base de leur dividende brut. Dans les années d’après-guerre, le rendement total a atteint 5,99 % par an, au lieu de 4,57 % ; l’impôt a donc grevé le rendement annuel moyen d’un peu moins de 1,5 %.

Pourquoi il faut plus que jamais souligner l'importance des dividendes

Versement de dividendes ou rachat d’actions ?

Notre spécialiste estime que ses conclusions seraient les mêmes si, au lieu de payer des dividendes, les entreprises avaient massivement racheté leurs propres actions. Le rachat d’actions propres est, en quelque sorte, une solution de rechange au paiement des dividendes. Il est tout à fait imaginable qu’à cause de la fiscalité pénalisante, les entreprises soucieuses de continuer à satisfaire leurs actionnaires décident d’accorder moins de dividendes et de racheter davantage d’actions.

Si une entreprise rachète ses propres actions pour les détruire, le bénéfice sera réparti entre un nombre inférieur de titres. L’investisseur belge n’est pas imposé sur ce que lui rapporte le rachat de ses actions par des entreprises cotées en Bourse, pas plus que sur ce que peut rapporter son geste, comme une augmentation de cours ou une plus-value supplémentaire à la revente.

Il est donc théoriquement possible que les hausses de cours provoquées par des rachats massifs d’actions propres déterminent à l’avenir davantage le rendement total de ces titres. Peu de données historiques sont disponibles à ce propos car le phénomène est récent. Aux Etats-Unis, les rachats d’actions propres ont été illégaux pendant la majeure partie du 20e siècle parce que les autorités de surveillance les considéraient comme une forme de manipulation des cours. Ce n’est qu’en 1982 que la Securities and Exchange Commission (SEC) a changé les règles du jeu.

Chez nous également

” En Belgique aussi, la Commission bancaire s’en est longtemps méfiée, relate le professeur Deloof. Son rapport de l’année 1948, par exemple, critique les rachats d’actions propres. Ces rachats ne sont rentrés en grâce que bien plus tard qu’aux Etats-Unis. Aux 19e et 20e siècles, on n’a recensé, à notre connaissance, quasi aucun programme d’importance significative. C’est un phénomène propre au 21e siècle. ”

C’est à partir de 2002, en effet, que les entreprises belges ont commencé à récupérer leurs actions. Entre janvier 2006 et mai 2008, le bancassureur KBC a racheté pour 2,2 milliards d’euros de ses titres, ce qui a fait de lui le plus grand acquéreur de l’époque. La crise bancaire a brutalement mis fin au programme ainsi qu’à ceux d’autres entreprises encore.

En Belgique, les rachats reprennent depuis quelques années. D’après les calculs du quotidien De Tijd, ils se sont élevés à 3 milliards d’euros en 2018, ce qui représente 1 % environ de la capitalisation boursière totale des entreprises cotées sur Euronext Bruxelles.

5,2%

Le rendement annuel réel des actions belges depuis 1969.

La diminution de capital comme solution ?

Pour les entreprises, il existe encore une autre manière d’éviter aux actionnaires d’être imposés sur les dividendes : la diminution de capital. Une opération qui n’est toutefois plus totalement exonérée d’impôt en Belgique depuis le 1er janvier 2018. L’actionnaire n’est, certes, pas imposé sur le capital remboursé mais il s’acquitte du précompte mobilier sur la partie de la réduction imputée, selon une règle proportionnelle fictive, sur les réserves dont dispose éventuellement la société.

En retenant 30 % de précompte mobilier sur l’intégralité des montants versés aux actionnaires belges lors de la diminution de capital récemment opérée par les sociétés néerlandaises TomTom et Akzo Nobel, les banques belges ont fait grincer des dents. Elles se sont défendues en affirmant que ces entreprises étrangères ne leur avaient pas fourni toutes les informations nécessaires.

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