Pression (durable) sur les gestionnaires d’actifs

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Avec la nouvelle réglementation européenne sur la classification des fonds, les sociétés de gestion vont être encore plus poussées à adopter une gestion durable dans les produits qu’elles proposent aux clients.

Ces dernières semaines, la communication des gestionnaires de fonds a fortement tourné autour de l’impact de la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR). Entrée en vigueur au début du mois de mars, cette nouvelle réglementation européenne vise à éviter que les promoteurs des fonds puissent encore présenter comme durable un produit qui investit dans des sociétés qui n’afficheraient pas des pratiques vertueuses.

Pour Carolina Minio-Paluello, global head of product, solutions & quant chez Schroders, cette réglementation doit être comprise au regard des bouleversements intervenus depuis 20 ans dans l’industrie des fonds de placement. “Les entreprises ont été poussées à adopter des pratiques plus vertueuses et à divulguer de plus en plus de données relatives à leur durabilité. Dans le même temps, les clients sont également beaucoup plus conscients de l’impact que leurs investissements peuvent avoir sur la politique des entreprises”, résume-t-elle.

L’objectif est de diriger les investissements vers des entreprises qui permettront d’atteindre la neutralité en carbone à l’horizon 2050.

Carolina Minio-Paluello (Schroders)

Le chemin vers la SFDR a été déblayé par les 17 objectifs du développement durables établis par les Nations unies et par la signature de l’accord sur le climat de Paris, ces derniers constituant les bases du plan d’action de l’Union européenne. “Son objectif est de diriger les investissements vers des entreprises qui permettront d’atteindre la neutralité en carbone à l’horizon 2050, poursuit Carolina Minio-Paluello. Et la SFDR est la première pierre de cet édifice.”

Trois articles

Du fait de cet ensemble de règles, les gestionnaires de fonds vont donc désormais devoir communiquer beaucoup plus en détail sur la durabilité de leur processus d’investissement mais également sur les différents produits qu’ils cherchent à commercialiser au sein de l’Union.

Dans la pratique, cette SFDR entraînera le classement des fonds en trois catégories selon leur degré de durabilité. D’une part, les fonds qui recherchent explicitement un impact favorable sur la société. Ceux-là seront repris dans l’article 9. D’autre part, les fonds qui doivent avoir un processus de sélection ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) et diriger leurs investissements vers des sociétés affichant les meilleures notations, sans toutefois rechercher un impact spécifiquement positif. Ceux-ci seront rassemblés sous l’article 8. Enfin, troisième catégorie: les fonds “article 6”, c’est-à-dire tous les autres…

Première phase

La réglementation entrée en vigueur en mars n’est que la première phase d’une nouvelle législation. Celle-ci sera complétée au début de l’année prochaine, notamment par la mise en place d’une taxonomie européenne qui permettra de catégoriser plus précisément la durabilité des différentes entreprises entrant dans la composition des portefeuilles.

“Ce qui est important dans la réglementation SFDR, c’est d’assurer la transparence en créant des règles ESG harmonisées afin de permettre aux investisseurs d’avoir une meilleure compréhension des produits et de mieux pouvoir les comparer, indique Ludivine de Quincerot, responsable “durable” chez Rothschild & Co. Il est aujourd’hui difficile pour l’investisseur final de savoir si le produit qu’il achète est vraiment durable. Pour lui, la catégorisation des produits en fonction de cet engagement va devenir un outil puissant.”

Expositions

Ces dernières semaines, les annonces se sont donc succédé chez les gestionnaires d’actifs qui ont annoncé disposer déjà d’un certain nombre de produits tombant sous l’article 8 ou 9. Méfiance, toutefois, car les définitions entre les différentes catégories demeurent floues, en particulier pour les produits tombant sous l’article 8. Chez Rothschild & Co, par exemple, 96% des actifs sous gestion sont repris dans les articles 8 et 9.

“On a aujourd’hui deux camps, constate Ludivine de Quincerot. D’un côté, des acteurs qui ont des ambitions fortes en termes de durabilité, qui sont conscients des incertitudes dans les définitions mais qui vont s’engager pour adapter la gestion de leur produits afin de répondre aux exigences de cette réglementation. Par exemple, notre fonds R-co Valor, qui va désormais être piloté afin d’avoir une note ESG supérieure à celle de son univers d’investissement ; nous l’avons donc repris parmi les fonds de l’article 8. D’un autre côté, on voit un grand nombre de gestionnaires adopter une attitude plus prudente et préférer attendre d’avoir plus d’informations quant aux contraintes liées à cette réglementation.”

La catégorisation des produits en fonction de cet engagement va devenir un outil puissant pour l’inves- tisseur.

Ludivine De Quincerot (Rothschild & Co)

Schroders souligne, par exemple, avoir 29 fonds sous l’article 8 et sept fonds sous l’article 9 depuis l’entrée en vigueur de la SFDR, soit 36 milliards d’euros en encours ou 25% des actifs sous gestion. “Notre ambition est toutefois d’avoir plus de 80% de nos stratégies sous les articles 8 ou 9 d’ici septembre 2021”, souligne Carolina Minio-Paluell.

Chez BlackRock, Gisèle Duenas- Leiva, directrice iShares & wealth pour la Belgique et le Luxembourg, indique que le gestionnaire envi-sage également d’augmenter la proportion des produits repris sous les articles 8 ou 9. Sur les plus de 2.000 milliards d’euros en actifs sous gestion dans les entités européennes qui doivent être catégorisées dans le cadre de cette nouvelle législation, nous en avons 332 milliards qui sont classifiés en articles 8 et 9. “Nous prévoyons que les actifs durables que nous gérons pour nos clients progressent de façon considérable. Notre ambition est de mobiliser plus de fonds vers les produits durables que tout autre gestionnaire d’actifs en Europe. En 2020, 63% des fonds lancés et repositionnés sont conformes à l’article 8 ou 9 et en 2021, nous tablons sur plus de 70% des produits développés pour nos clients qui y seront compatibles”, relève Gisèle Duenas-Leiva.

Impact futur

Pour Hannas Simons, head of sustainability strategy chez Schroders, il ne fait aucun doute que “la SFDR va avoir un impact significatif sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie des fonds de placement”. Dès 2022, les entreprises vont devoir elles-mêmes divulguer davantage d’informations, et les promoteurs de fonds devoir incorporer ces données afin de montrer le degré de durabilité de leurs produits. Tout cela va donc orienter les investissements.

Ludivine de Quincerot (Rothschild & Co) rappelle cependant qu’il existe encore trop d’incertitudes sur certaines de définitions pour que la SFDR constitue une norme acceptée par tous. “Aujourd’hui, il est clair que si vous achetez un fonds article 8 ou 9, il s’agit sans contestation possible d’un fonds durable. Mais nous pensons que les labels durables actuels conserveront leur place, car ils sont souvent vus comme un réel gage de qualité par les investisseurs finaux.”

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