Supprimez les clauses d’accroissement!

Usufruit - Depuis septembre 2021, les époux bénéficient de l'accroissement légal en usufruit. Il suffit donc de supprimer la clause d'accroissement conventionnel pour ne pas être pénalisé. © Getty Images/Onoky

Le fisc les regarde de travers quand elles prévalent entre époux. Aujourd’hui, la parade est simplissime quand il s’agit d’une situation d’usufruit.

“La clause d’accroissement est un mécanisme contractuel d’une puissance redoutable et pourtant assez méconnu et sous-estimé, observe Gaëtan Van Elder, avocat et chargé de conférences à la Solvay Brussels School. C’est un contrat qui permet des transferts de patrimoine mobilier considérables en toute discrétion, sans fiscalité indirecte ou moyennant une fiscalité dérisoire.” Il est toutefois sous les feux de la rampe jurisprudentielle, avec des décisions assez retentissantes rendues par les juridictions hainuyères. En particulier de la part de la cour d’appel de Mons, notamment à propos de la situation d’accroissement de valeurs mobilières entre époux. Ces tribulations appartiennent-elles au passé? Les modifications législatives apportées tant par la réforme des successions que par celle du droit des biens offrent en effet la parade: modifier les contrats prévoyant expressément une clause d’accroissement conventionnel!

On peut aussi prévoir un accroissement entre associés d’une entreprise, portant sur la pleine propriété des titres de cette entreprise, par exemple.

Les époux discriminés par le fisc

La clause d’accroissement est une convention à titre onéreux et, de ce fait, n’étant pas motivée par l’intention libérale d’une partie au contrat, elle ne constitue pas une libéralité et échappe à la fiscalité inhérente à ces libéralités, soit principalement les droits de donation et de succession, explique l’avocat. A titre onéreux? Cela signifie que chaque partie cède à l’autre des biens ou sa quote-part, sous la condition suspensive de son prédécès. C’est aussi un contrat aléatoire: au moment de sa conclusion, on ne peut savoir laquelle des deux parties va en bénéficier.

Certains tribunaux ont admis la possibilité d’un rééquilibrage des chances sans que l’opération soit pour autant requalifiée en libéralité. Ainsi, le contractant le plus jeune fait l’acquisition d’une quotité plus importante que son aîné ou supporte une quote-part du prix plus importante.

“Le problème est la position de l’administration fiscale à l’égard des époux: elle considère que quand une clause d’accroissement est contractée entre personnes mariées, celles-ci sont mues par une volonté de gratifier l’autre époux, observe Gaëtan Van Elder. Elle présume qu’il y a une intention de libéralité à la base de cette clause et lui applique dès lors la fiscalité liée aux donations.” C’est très critiquable (cette présomption de libéralité ne repose sur aucun fondement légal) et très discuté puisque le tribunal de première instance de Mons a déclaré qu’il n’y avait pas d’intention libérale, alors que la cour d’appel de Mons a tranché que oui, explique-t-il.

“Cette motivation n’est pas fondée, à mon sens, puisqu’elle repose sur les seuls liens maritaux qui unissent les parties à la convention, ce qui ne permet pas à l’évidence d’en induire une intention libérale, détaille l’avocat. Il est regrettable que la Cour de cassation n’ait pas été saisie de cette question. J’ai peu de doute sur le dispositif de l’arrêt qu’elle aurait rendu. Mais bon, en attendant, cette jurisprudence existe et conforte la position de l’administration.”

Changement de décor radical

Entré en application le 1er septembre de l’an dernier, l’article 3-141 du code civil (qui figure au chapitre consacré à l’usufruit) prévoit qu’il y a accroissement légal en usufruit. Autrement dit, au décès de l’un des deux usufruitiers, le droit d’usufruit va automatiquement basculer sur la tête du survivant, par l’effet de la loi. Ceci résultant de la volonté du législateur, toute intention libérale est écartée et il n’y a donc pas de taxation, explique l’avocat. Cet article s’applique à toute indivision ou communauté en usufruit, dans le chef de deux ou plusieurs personnes et pour des biens meubles comme immobiliers.

Ceci constitue, on l’a compris, un changement de décor radical. Quelle est en effet la situation actuelle? “De nombreuses conventions, qui portent notamment sur des valeurs mobilières et des portefeuilles-titres dont les parents cèdent la nue-propriété à leurs enfants et conservent l’usufruit, prévoient une clause d’accroissement entre époux à titre conventionnel, expose Gaëtan Van Elder. Si la jurisprudence actuelle se maintient, les cours et tribunaux suivant le point de vue de l’administration, cet accroissement conventionnel, c’est-à-dire cet accroissement par contrat, donnera lieu à une présomption de libéralité et dès lors, à une ponction fiscale.”

Une parenthèse: quelle est la philosophie de cette clause d’accroissement? Le schéma est très classique: voulant atténuer les droits de succession, les parents font donation de la nue-propriété de leur portefeuille-titres à leurs enfants. Ils se réservent les revenus de leurs placements pour assumer leur train de vie, en conservant donc l’usufruit de ce portefeuille. La loi prévoit qu’au décès d’un des parents, son usufruit s’éteint: les enfants retrouvent la pleine propriété de sa part. Les parents peuvent toutefois juger que le survivant sera trop sévèrement pénalisé sur le plan financier et qu’il doit pouvoir compter sur la totalité de l’usufruit. D’où la clause d’accroissement conventionnel.

Entre associés d’une entreprise

La parade est aujourd’hui fort simple: il faut modifier cette convention entre époux en supprimant purement et simplement la clause d’accroissement. L’article 3.141 va alors s’appliquer. L’accroissement devient légal, avec pour conséquence une absence de taxation. “Il y a des milliers de conventions à modifier pour profiter de la législation actuelle”, prévient l’avocat.

Il faut souligner que ceci ne concerne pas seulement les époux: on peut parfaitement prévoir un accroissement entre associés d’une entreprise, par exemple, et portant sur la pleine propriété des titres de cette entreprise. Il ne sera toutefois pas question d’accroissement légal puisque réservé à l’usufruit, mais d’accroissement conventionnel. Avec le même effet cependant: faire sortir ces éléments du patrimoine du défunt et les transférer dans le patrimoine de l’autre personne. Et sans paiement de droits indirects, puisqu’il s’agit d’un contrat à titre onéreux. C’est d’ailleurs pour certains un moyen radical de déshériter un enfant ou un conjoint.

N’y a-t-il pas davantage de danger (de présomption de libéralité) lorsque les cocontractants sont étrangers l’un à l’autre? Non, au contraire: la jurisprudence portant sur la requalification ne concerne jusqu’ici que les conjoints. Même les cohabitants ne sont pas concernés, a précisé la cour d’appel de Mons dans un arrêt du 2 octobre 2020. Reste à préserver le caractère aléatoire du contrat.

Un privilège trop mal connu

Une autre question vient naturellement à l’esprit: si l’on peut aussi aisément transférer des biens entre personnes légalement étrangères l’une à l’autre sans subir de fiscalité, comment se fait-il que la clause d’accroissement ne soit pas davantage usitée? “Je suis toujours étonné de sa méconnaissance et du manque d’intérêt qu’elle suscite, acquiesce Gaëtan Van Elder. Il n’y en a quasiment jamais dans les pactes d’actionnaires ou conventions d’associés, ce qui est fort surprenant. Les juristes spécialisés en droit des sociétés sont peu versés dans le droit patrimonial. C’est ce qui explique probablement le faible recours à cette technique de planification.”

Il ne faudrait pas imaginer pour autant qu’une pareille clause d’accroissement ait forcément pour but de déshériter les enfants, même si la chose est possible. Si les associés prévoient une clause d’accroissement entre eux, pour pérenniser une entreprise sans subir les aléas liés à des héritiers qui ne s’y intéressent pas, ils prévoient normalement des compensations pour ces héritiers, observe l’avocat.

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