Un “bureau de la famille” : un concept aux interprétations diverses… Qu’en penser ?

John Pierpont Morgan et ses enfants. The House of Morgan, créée en 1838 pour gérer les biens et collections de la famille de JP Morgan est le premier "family office". © Getty Images

Plusieurs petites sociétés affichent le “family office” parmi les services proposés à leurs clients, à titre accessoire ou principal. Non reconnue officiellement en Belgique, pas plus qu’au niveau européen, la notion reste cependant floue.

Le concept de family office est apparu au 19e siècle ou au début du 20e, suivant les sources. En réalité, à en croire l’ EY Family Office Guide, il remonterait au… sixième siècle, quand la gestion de la fortune d’un roi anglo-saxon fut confiée à un steward (intendant) dédié à cette tâche. C’est cependant bien au 19e siècle que remonte la création du premier family office en version moderne. Non pas en 1882 avec les Rockefeller, comme souvent affirmé parce que l’institution reste un modèle, mais déjà en 1838, avec la création de The House of Morgan, pour gérer les biens et collections de la famille dont le nom reste attaché à une des principales institutions financières du monde : JP Morgan.

Longtemps dédié à une seule famille très fortunée, parfois ouvert à quelques autres, le family office change de modèle dans les années 1980 : il vise alors une clientèle plus large, fortunée mais pas milliardaire. On évoque aujourd’hui 10 ou 15 millions d’euros pour prétendre à un service de ce genre offert par une petite société, voire une paire d’associés, qui limite son champ à quelques dizaines de familles.

La famille, cher souci

De nombreux acteurs belges ne placent pas nécessairement la barre aussi haut, le family office n’étant parfois qu’un volet dans la panoplie des services proposés. Parmi les sociétés affichant cette spécialité, on relève notamment C&V, Portolani et Praxis à Anvers, Agami, Albatros, ou Intuitae à Bruxelles, Truncus à Zele (entre Gand et Anvers), MCN à Gerpinnes (sud de Charleroi) ou encore Patrimonia et VHPS à Waterloo. Sans oublier les fort génériques Family Office Brussels et Family Office Charleroi.

Si CFO Belgium (Bruxelles) se présente curieusement comme un corporate family office, offrant donc ses services aux entreprises, la notion de family office se réfère par définition au patrimoine d’une famille, souvent au sens large. L’accent est mis sur la planification successorale, la structuration de patrimoine, la philanthropie ou la gouvernance familiale. Cette dernière comprend la formation financière des plus jeunes. Y a-t-il, dès lors, une différence avec le private banking, ou banque privée, un service qu’offrent la plupart des institutions bancaires et qui est même le domaine spécifique de maisons comme Degroof Petercam, Delen et Puilaetco Dewaay ?

Le concept de “family office” est d’autant plus flou que cette activité ne bénéfice pas d’une reconnaissance en Belgique. Pas plus que dans l’Union européenne.

” Dans la pratique, le premier rôle d’un family office sera de mettre à plat la relation entre la famille et les banques, résume un professionnel revendiquant cette spécialité. Notre mission principale est la consolidation des avoirs financiers afin d’offrir une vue globale sur le patrimoine, explique un autre. Nous allouons une poche sur différentes classes d’actifs en faisant un appel d’offres afin de sélectionner un ou deux gestionnaires par classe d’actifs, en choisissant les meilleurs et en faisant attention aux frais.” Le family officer se veut donc superviseur des services bancaires dans le chef d’une famille. C’est parfois un simple négociateur de commissions, grincent certains banquiers : “Sa valeur ajoutée se limite alors à jouer les Test-Achats en matière de tarifs, ce qui est quand même un peu court”.

Le concept de family office est d’autant plus flou que cette activité ne bénéfice pas d’une reconnaissance en Belgique. Pas plus qu’ailleurs dans l’Union européenne, à la seule exception du Luxembourg. ” Le statut de family officer est en effet réglementé au Luxembourg mais il n’est pas harmonisé au niveau européen, précise Mathieu Saudoyer, chargé de communication à la FSMA, l’autorité belge de contrôle des marchés financiers. Dès lors, les entités qui détiennent ce statut au Luxembourg ne peuvent pas exercer des activités en Belgique sous le régime de la libre prestation de services. Les personnes exerçant une activité de family officer en Belgique disposent bien souvent d’autres statuts, en fonction des activités qu’elles exercent, par exemple dans le domaine comptable, ou encore du conseil en investissement. ”

Du “family office” sous un autre nom

Comme le statut n’est pas réglementé, quiconque peut s’afficher family officer sans que la FSMA puisse le lui interdire et sans que ce label ne présente la moindre garantie. Les sociétés se targuant d’être des family offices et exerçant, par exemple, une activité de conseil en investissement, de gestion patrimoniale ou de planification financière, doivent disposer d’un agrément puisqu’il s’agit de statuts réglementés, précise Mathieu Saudoyer. Ainsi, la société Patrimonia, citée plus haut, est-elle agréée en tant que courtier d’assurances depuis 2006, mais aussi pour le crédit hypothécaire, ainsi que pour les services bancaires et d’investissement depuis 2017.

Vouloir se placer ” au-dessus des banques “, telle est une des caractéristiques du family office. Cela n’empêche toutefois pas nombre de grandes banques luxembourgeoises et suisses de revendiquer cette activité. Mais aucune en Belgique. Pourquoi ? Olivier Van Belleghem, directeur du wealth management chez BNP Paribas Fortis, répond : ” Nous proposons des services de family office mais ils font partie du wealth management et ne s’affichent donc pas en tant que tels. Si le monde bancaire fait globalement de même, c’est sans doute parce qu’à défaut d’agrément et de cadre, la notion reste floue. Elle peut être très large mais pour certains, cela se limite à agréger des comptes et des portefeuilles sur une feuille Excel. Nous allons évidemment beaucoup plus loin que cela ! ”

” Où commence et où se termine la notion de family office ? “, demande encore Stéphane Vermeire, qui dirige les départements de banque privée et de wealth management de BNP Paribas Fortis. Pour fixer les idées : ce dernier démarre à 5 millions d’euros, contre 250.000 pour le premier. ” Au travers des nombreux services prestés à l’égard des clients, il est clair que nous pratiquons cette activité. Si nous ne l’affichons pas en tant que tel, c’est parce qu’il ne s’adresse qu’à une partie très limitée des clients, comme d’autres éléments du wealth management. L’aide à l’organisation du patrimoine familial, c’est du sur-mesure et c’est du family office. ” ” On pourrait d’ailleurs qualifier le wealth management de family office “, enchaîne Olivier Van Belleghem.

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Indépendance ou pérennité

De toute manière, avec le lancement à la mi-juin de PaxFamilia, la banque ne propose-t-elle pas une sorte de family office à la fois très structuré et très étendu ? Cette plateforme pour la gestion de son patrimoine s’adresse en effet à une clientèle plus large que celle du wealth management : à tous les clients de la banque privée, soit près de 100.000 personnes. ” C’est effectivement une forme de family office qui permet au client d’avoir à sa disposition un outil qui, quand on y ajoute de l’expertise, présente une importante valeur ajoutée, souligne Stéphane Vermeiren. Cet outil offre une bonne organisation des documents juridiques ou patrimoniaux, ou encore un relevé des risques et conséquences en matière de succession. ”

Comme les conseillers en investissement, les “family offices” soulignent volon-tiers leur indépendance à l’égard des banques.

PaxFamilia fait partie du package private banking, lequel est facturé 180 euros par trimestre. Il comprend un minimum de conseils patrimoniaux, une analyse plus détaillée, pouvant naturellement faire l’objet d’une facturation supplémentaire. Egalement utilisé par d’autres prestataires de services financiers, notamment des family offices, la banque en a cependant l’exclusivité dans le paysage bancaire. Le client peut-il demander à la banque d’en ouvrir l’accès à son notaire ou son avocat ? Absolument, car une telle ouverture fait partie des buts recherchés. Un bémol toutefois : aujourd’hui, cet accès ne peut pas être limité ; c’est tout ou rien. Dans une étape ultérieure, aujourd’hui en préparation, le client pourra préciser qui y aura accès et dans quelle mesure.

Comme les conseillers en investissement, les family offices soulignent volontiers leur indépendance à l’égard des banques. Qu’en pense-t-on chez BNP Paribas Fortis ? ” C’est moins l’indépendance que recherchent les familles que la confiance, l’expertise, l’objectivité dans l’analyse et la sélection des solutions offertes, répond la banque, qui ajoute : “Ce qui prime aussi est la pérennité du service, c’est-à-dire la certitude que la structure, avec sa connaissance de l’histoire de la famille, du pourquoi de certaines décisions du passé, etc., ne disparaîtra pas avec le family officer. ”

L’immobilier en direct !

Chez Patrimonia pourtant, ce n’est pas tant l’indépendance qui est mise en avant, que l’étendue des placements proposés. Et surtout l’immobilier en direct. ” Les banques privées connaissent des décollectes importantes au profit de l’immobilier, notamment parce que les retraités vivent plus longtemps et ont donc besoin de plus de revenus en provenance de leur patrimoine, explique Désiré Godfroid, administrateur délégué. Les obligations ne rapportant plus grand-chose, il leur faut soit prendre davantage de risques, ce à quoi on rechigne souvent à 70 ans, soit consommer leur capital, soit encore se tourner vers l’immobilier, qui offre encore un rendement de 3 % environ. Or, les banques privées n’offrent de l’immobilier que sous forme d’actions ; elles n’ont pas de structures proposant de l’immobilier physique. Une institution qui ne vend que des valeurs mobilières ne peut pas donner de conseils patrimoniaux totalement objectifs. ” Pour Désiré Godfroid, le coeur du family office, c’est dès lors d’offrir la palette complète des placements.

Attention, il ne s’agit pas de vendre de l’immobilier à la manière d’un promoteur, précise l’administrateur (allusion sans nul doute à Optima, déclarée en faillite en juin 2016), mais d’opérer une sélection parmi les biens se trouvant sur le marché et d’agir ensuite en tierce partie. Le conseil accompagnant la vente est très important, insiste encore Désiré Godfroid : à une personne, on conseillera de réaliser l’achat en personne physique, à une autre d’agir en société. Ou encore, à l’achat d’un immeuble comportant un commerce au rez, d’acquérir ce dernier en société et les appartements en personne physique. ” Le conseil patrimonial global, c’est cela ! “, martèle-t-il.

Fort bien, mais Patrimonia offre-t-il a contrario une bonne expertise en valeurs mobilières ? L’équipe comprend plusieurs anciens banquiers privés. La plus grosse partie des quelque 250 millions en gestion est gérée en interne, par le biais du fund picking : une dizaine de fonds ont été sélectionnés pour chaque approche (le trio classique : prudent, moyen, dynamique) et la performance est remarquable sur 10 ans. Quant à la partie de leur portefeuille que les clients souhaitent dédier au stock picking, avec des actions en ligne directe, elle est placée en délégation chez Degroof Petercam. Ancien administrateur délégué de FIB, un bureau de courtage ayant lancé plusieurs formules innovantes dans le crédit hypothécaire, Désiré Godfroid possède une expertise immobilière reconnue. Tous les acteurs du family office ne sont clairement pas aussi branchés que lui sur l’immobilier.

Seul le Luxembourg…

Les family offices du Grand-Duché se sont groupés dans la Luxembourg Association of Family Offices (LAFO), laquelle a obtenu une réglementation spécifique le 21 décembre 2012. L’activité s’opère depuis dans un cadre juridique et est réservée à certaines catégories de professionnels réglementés. Avec pour slogan ” une culture, pas un business “, l’association affiche une charte de déontologie qui comporte quelques éléments comme : ” Le family office (FO) a un rôle prépondérant de protection et d’accompagnement de la famille dans les liens et contacts avec l’extérieur. Le FO a donc pour mission la préservation de la cohérence familiale dans une vision à long terme. ” Ou encore : ” L’indépendance est primordiale. Elle implique que le FO ne vende aucun produit d’investissement et se concentre sur la structuration du patrimoine global. ”

La profession s’est également organisée en France où l’Association française du family office (AFFO) a, en mai dernier, lancé une formation spécifique en collaboration avec l’Aurep, organisme de formation spécialisé en gestion de patrimoine. Mais pas plus que chez nous, le métier de family officer n’est légalement reconnu en France.

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