Le bio n’est pas à la portée de tous : “95% des consommateurs ne sont pas prêts à payer plus cher”

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Les supermarchés misent beaucoup sur les produits biologiques, mais les clients ne suivent pas toujours.

L’année dernière, les consommateurs belges ont consacré 760 millions d’euros à l’achat de produits biologiques, soit 15% de plus qu’en 2017. C’est ce qui ressort d’une étude menée par GfK Belgium à la demande de l’Office flamand d’agro-marketing (VLAM). L’étude a suivi 5.000 ménages belges dont les dépenses en produits bios ont progressé en moyenne de 12% chaque année au cours de la dernière décennie.

Les supermarchés font état de chiffres comparables. Selon un de ses porte-paroles, Delhaize a observé ces dernières années une augmentation annuelle de 10% des ventes de produits biologiques. L’enseigne se targue d’avoir été le premier supermarché belge à intégrer des produits biologiques dans son offre dans les années 80. Actuellement en phase de rattrapage, Carrefour évoque une croissance annuelle de son chiffre d’affaires de 30% issue des produits bios ces dernières années, “soit une hausse presque deux fois supérieure à celle du marché”. Chez Colruyt, la vente de produits biologiques suit la tendance du marché.

L’année dernière, les consommateurs belges ont consacré 760 millions d’euros à l’achat de produits biologiques, soit 15% de plus qu’en 2017

Le supermarché classique reste le principal canal de vente pour les produits bios (36%), même si son importance a diminué en comparaison de quelques années auparavant. Il est suivi par les canaux spécialisés (33%) dont font partie les magasins Bio-Planet. Filiale de Colruyt Group, cette chaîne table sur les produits biologiques et vise deux à trois ouvertures par an, mais ne fournit aucune indication sur la popularité des produits bios.

Les hard discounters détiennent une part de seulement 10% dans la vente de produits biologiques. Ils offrent aussi l’assortiment bio le plus réduit. En revanche, les produits biologiques s’arrogent un quart de l’offre des magasins à la ferme et des marchés fermiers.

Prix plus élevé

Malgré cette forte croissance, la part du bio sur le marché des produits frais ne représente que 3,9%. Ce chiffre grimpe à 5% chez les ménages aisés avec enfants et les jeunes célibataires. Selon l’étude, les produits frais bios coûtent en moyenne un tiers de plus, même si on observe de grandes disparités. En Belgique, les oeufs bios sont presque deux fois plus chers que les oeufs de poules élevées au sol. Le prix des variantes biologiques des substituts de viande est 16% plus élevé.

“95% des consommateurs ne sont pas prêts à payer ce prix plus élevé”, réagit Guido Van Huylenbroeck, professeur à l’UGent qui a déjà étudié il y a dix ans les effets de l’agriculture bio sur la santé et l’environnement.

Ce type de consommation progresse surtout en Wallonie, alors que la Flandre fait du surplace. Cela peut tenir au fait que la Wallonie n’accapare pas seulement la majeure partie de la consommation mais aussi de la production.

La Flandre compte 514 fermes bios et la Wallonie trois fois plus. En Flandre, la conversion à l’agriculture bio est plus difficile en raison du nombre plus important de zones urbanisées. “L’agriculture bio offre un rendement par hectare moins élevé et nécessite plus de terres agricoles. Une entreprise agricole de 30 hectares qui souhaite se convertir au bio a besoin d’environ 40 hectares de plus pour produire autant”, explique Guido Van Huylenbroeck. Fin 2018 en Flandre, l’agriculture biologique disposait de moins de 8.000 hectares, soit 1,3% des terres agricoles. En Wallonie, 13% des fermes ont obtenu le label bio.

Une conversion de trois ans

Le professeur Van Huylenbroeck raconte une anecdote à propos du ratio de deux vaches laitières par hectare imposé par le secteur bio. “Une norme que l’Autriche respectait avant même son instauration puisque les vaches y broutent dans les montagnes. Rien d’étonnant donc à ce que la part de l’agriculture bio soit plus élevée dans ce pays.”

Le processus de conversion du conventionnel au bio prend deux à trois ans. “Cela est principalement dû aux pesticides et au mode de culture. Ces agriculteurs en transition ne peuvent pas vendre leurs légumes sous la dénomination bio les premières années, même s’ils ont modifié leur type d’exploitation”, précise Stefan Goethaert, responsable de la stratégie agricole chez Colruyt. Les fermiers ont souvent besoin d’un soutien financier. Colruyt a déjà attiré l’attention à plusieurs reprises par ses investissements. La chaîne de supermarchés essaie d’ancrer son offre dans notre pays, où la demande de produits bios est supérieure à l’offre.

Les consommateurs veulent non seulement disposer d’un large éventail de produits bios mais aussi soutenir les agriculteurs locaux

Le détaillant a racheté les 25 hectares de terres agricoles bios de l’exploitation Het Zilverleen dont les propriétaires cherchaient un repreneur. “Pour nous, c’était une étape logique”, déclare Stefan Goethaert. “Le gros avantage est que l’agriculteur a la garantie d’écouler sa production et que nous pouvons répondre aux besoins du consommateur qui recherche des produits bios. Het Zilverleen vend 70% de sa production à Colruyt et Bio-Planet.”

Ce rachat s’inscrit dans les nouveaux modèles de collaboration instaurés dans le passé par Colruyt dans les secteurs agricole et agroalimentaire, notamment pour les pommes de terre et de nouvelles variétés de pommes. Le distributeur a également aidé l’exploitation maraîchère sociale De Lochting à convertir une superficie de 20 hectares à l’agriculture bio. Depuis peu, il collabore en outre avec un éleveur de porcs et un transformateur de viande pour mettre en place une filière porcine belge 100% bio. “D’ici l’été, les premiers produits à base de porc bio issus de cette collaboration feront leur entrée dans nos rayons”, annonce Stefan Goethaert.

Le lait bio dans les supermarchés

D’autres supermarchés recherchent aussi des moyens de sécuriser l’offre belge de produits bios. “Il n’est pas toujours possible de produire suffisamment de produits bios en Belgique pour répondre à la demande”, constate un porte-parole de Carrefour. “Il nous a fallu cinq ans avant de pouvoir commercialiser le lait bio 100% belge disponible aujourd’hui dans nos magasins. Nous soutenons cinquante producteurs conventionnels dans leur conversion au bio.”

Le lait C’est qui le patron?! présent dans les rayons de l’enseigne depuis mars 2018 est le fruit d’une autre initiative de Carrefour. “Il y a quelques années, le prix du lait était au plus bas”, se souvient Werner Lanneau, porte-parole de C’est qui le patron?! en Flandre (Wie is de Baas?!). “Les producteurs perçoivent une rémunération non seulement trop faible, mais aussi fluctuante et incertaine. Notre volonté à travers ce concept est de rétribuer chacun d’entre eux au juste prix.”

Malgré une forte croissance, la part du bio sur le marché des produits frais ne représente que 3,9%

Dans notre pays, C’est qui le patron?! travaille main dans la main avec la coopérative Coferme de la région de Chimay et la laiterie Inex de Bavegem pour la transformation. Le prix a été fixé après consultation des consommateurs. 5.300 consommateurs ont ainsi déterminé les caractéristiques et le prix du lait demi-écrémé. Werner Lanneau : “Les consommateurs ont voté en faveur du lait de pâturage, issu de vaches mises au pâturage au moins quatre mois par an, et d’une alimentation enrichie en Oméga 3 et garantie sans OGM.” Ils étaient prêts à payer un prix au litre de 13 cents supérieur à celui du lait premier prix vendu dans le commerce. “Ils souhaitaient le produit le plus savoureux et responsable possible. Sans être bio, ce lait en intègre pas mal d’éléments”, poursuit Werner Lanneau.

Delhaize collabore avec la coopérative Biomilk.be, qui propose une sélection de produits laitiers à base de lait bio 100% belge provenant de 46 exploitations laitières. “Lors de tables rondes avec ses clients, Delhaize a eu la confirmation que ceux-ci veulent non seulement disposer d’un large éventail de produits bios mais aussi soutenir les agriculteurs locaux”, explique un porte-parole. “Biomilk.be recherchait un partenaire stable en mesure de lui offrir des garanties à long terme, tant sur le volume des ventes que sur le prix.”

Trop peu de recherches

Kurt Sannen, président de Bioforum Vlaanderen et agriculteur bio, applaudit ce genre d’initiatives. “Chaque action qui apporte davantage de durabilité dans l’agriculture est un plus. Le circuit court en fait partie, tout comme le mode de production, l’économie circulaire, un prix équitable pour le producteur, etc. En bio, nous nous efforçons de travailler sur tous les aspects de la durabilité.”

Le professeur Van Huylenbroeck souligne néanmoins un point négatif. “L’agriculture biologique n’est pas durable en soi. Elle emploie beaucoup moins de pesticides et d’engrais organiques, mais l’utilisation des sols, les pertes en production et l’usage intensif des machines pour le désherbage font parfois pencher la balance de l’autre côté. Il n’est pas évident de peser le pour et le contre.” Par ailleurs, bio ne signifie pas local. “La Belgique doit importer un grand nombre de produits biologiques”, constate Guido Van Huylenbroeck. “Dans ce secteur, la Belgique peut être considérée comme un importateur net.”

Selon Kurt Sannen, les universités n’étudient pas suffisamment l’agriculture biologique. “De nombreux moyens ont été libérés, certes, mais il est regrettable que la Flandre ne dispose pas de professeur d’université en agriculture biologique ou en agroécologie contrairement à la Wallonie, à la France, aux Pays-Bas ou à l’Allemagne. Et ce à l’heure où l’ensemble des agriculteurs se voit offrir d’importantes perspectives d’avenir.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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