BCE : sa volte-face en 6 questions

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Un tabou est tombé : alors qu’il ne voulait pas en entendre parler, Jean-Claude Trichet a consenti à ce que la Banque centrale européenne, qu’il préside, rachète de la dette publique. Explications.

La Banque centrale européenne a brisé un tabou lundi en se disant prête à acheter des obligations publiques dans le cadre du plan de secours de l’euro. Alors que les achats ont débuté le jour même, la BCE se retrouve de facto dans la position de financer de la dette publique grecque, voire portugaise ou espagnole. Du jamais-vu dans l’histoire de la zone euro.

Comment cela fonctionne-t-il ?

En achetant des titres de dettes des pays en difficulté budgétaire, la BCE fait augmenter la demande, ce qui fait baisser les taux. La mesure a contribué à la chute spectaculaire des taux des obligations grecques à 10 ans, qui sont passés de 12,4 % vendredi soir à 6,4 % lundi. Les prix de ces obligations, qui évoluent dans le sens opposé, ont bondi de 36 % par rapport à vendredi. L’institut francfortois fait ainsi barrage à la spéculation et permet aux Etats comme la Grèce et l’Espagne de continuer à se financer sur les marchés obligataires à des conditions supportables.

N’est-ce pas interdit ?

Le traité de Lisbonne interdit effectivement l’achat d’instruments de dette d’Etats sur le marché primaire, c’est-à-dire directement auprès des émetteurs, mais il ne le prohibe pas explicitement via le marché secondaire, c’est à dire sur des titres déjà émis. Ainsi la BCE profite-t-elle de cette faille “pour aider indirectement les émissions sur le marché primaire, analyse Benjamin Carton, économiste au Cepii. En revendant leurs titres publics, les banques dégagent des liquidités qu’elles peuvent en partie replacer dans de nouvelles obligations publiques, qui restent malgré tout des investissements relativement sûrs, d’autant plus qu’elles sont garanties par le nouveau plan européen.” Ce n’est pas “une infraction à la lettre du Traité de Lisbonne, mais c’est certainement une infraction à son esprit”, résume Nicolas Doisy, économiste chez Cheuvreux.

Comment la BCE procède-t-elle ?

Elle n’a pas encore précisé combien de titres elle rachetait, ni à quel pays. “Une solution serait d’acheter des titres de chaque Etat au prorata de leur “participation” au capital de la BCE, estime Benjamin Carton. Cela permet de ne pas trop s’exposer au risque grec et de ne pas faire de favoritisme.” Une méthode qui ne convainc pas Nicolas Doisy, pour qui la mesure “perdrait une grande partie de son intérêt si elle ne ciblait pas les pays en difficulté budgétaire”.

N’y a t-il pas un risque d’inflation ?

La BCE assure que non : elle ne va pas “faire fonctionner la planche à billets”, comme dans le cas d’actions d’assouplissement quantitatif classiques mises en place par la Réserve fédérale américaine ou la Banque d’Angleterre. La BCE insiste en effet sur son intention de neutraliser ou “stériliser” l’effet inflationniste des rachats de titres. Pour “détruire” la masse monétaire ainsi générée, la BCE pourrait, selon Benjamin Carton, diminuer les prises en pension d’autres titres, ou encore vendre des titres qu’elle détient. Mais pour Nicolas Bouzou, économiste à la tête d’Astères, revendre du papier en aussi grande quantité ne va pas de soi. De toute façon, “si les mesures génèrent un peu d’inflation, ce n’est pas très grave, relativise Nicolas Doisy. L’enseignement de la Grande Dépression et de la crise japonaise, c’est bien qu’il vaut mieux avoir trop d’inflation que pas assez.”

N’est-ce pas dangereux que la BCE prenne ces actifs risqués sur son bilan ?

Ce n’est pas sans risque. Si un Etat de la zone euro fait défaut, les titres publics détenus par la BCE seront dépréciés et elle subira une perte au moment de les revendre. Si, au contraire, la conjoncture redevient favorable, la BCE sera en quelque sorte victime de son succès, puisque les taux obligataires remonteront et la valeur des obligations chutera. Et là encore, la BCE fera une moins-value.

Est-elle en train de perdre son indépendance ?

Jean Claude Trichet a beau avoir martelé, lundi, que la BCE qu’il préside était “totalement indépendante”, personne n’y croit vraiment. Le fait est que, pour la première fois, elle a accepté, sous la pression des marchés et des Etats, d’appliquer une mesure à laquelle elle s’était toujours catégoriquement opposée. Par ailleurs, dans une interview à L’Expansion.com, Michel Aglietta, économiste au Cepii, souligne que la BCE ne pourra pas facilement se débarrasser des titres publics “sans risque de fragiliser les marchés. Or, la BCE pourrait être dans une situation où la hausse de l’inflation nécessiterait de sa part d’éponger l’excès de liquidités sur les marchés, en vendant ses titres. Il y aurait donc un conflit d’objectifs.”

Laura Raim, L’Expansion.com

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