A préjudice collectif, dommages et intérêts collectifs

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

La Belgique étend les possibilités en matière d’actions collectives. Ainsi des groupes de PME qui estiment avoir des raisons de se plaindre peuvent-ils désormais recourir à ce mécanisme juridictionnel. L’Europe elle-même s’attelle à mettre sur pied un règlement en ce sens.

Il y a quatre ans, le Parlement belge adoptait une loi insérant un titre 2 “De l’action en réparation collective” dans le livre XVII du Code de droit économique. “Depuis le 1er septembre 2014, il est possible d’introduire une procédure pour un groupe donné de consommateurs particuliers, dont l’ampleur et les membres qui le composent sont inconnus, expose Stan Brijs, partner du cabinet d’avocats NautaDutilh et spécialiste du droit de la procédure et des préjudices de masse. Les victimes n’ont à être identifiées qu’en phase de règlement, c’est-à-dire au terme de la procédure; avant septembre 2014, elles devaient l’être une par une, d’entrée de jeu.” L’avantage: le travail considérable qu’engendre l’identification ne doit être effectué qu’à partir du moment où l’indemnisation est certaine.

D’importantes différences entre l’action en réparation collective belge et la class action américaine subsistent toutefois. Outre-Atlantique, la class action génère un véritable business. Un client se brûle au contact d’un gobelet de café ? Des avocats s’empressent de porter plainte contre la chaîne où a été achetée la boisson. Ce ne sont pas les victimes présumées qui manquent. “Là-bas, une class action, dont vous comptez parmi les bénéficiaires potentiels, s’ouvre chaque jour, observe Stan Brijs. C’est pour certains une source de revenus considérable.”

Pas de gains

Le législateur belge a voulu éviter ce genre d’excès. C’est la raison pour laquelle seules les associations répondant à des critères stricts peuvent représenter des groupes de victimes. En particulier, ces associations ne peuvent tirer aucun profit de leur action. L’unique organisation habilitée à intenter des actions en réparation collective est l’association de défense des consommateurs Test-Achats. “Les actions en réparation collective ne seront jamais une activité lucrative en Belgique, prédit Stan Brijs. L’entité représentative ne peut porter en compte que les frais réellement engagés. Nous ignorons en revanche toujours s’il s’agit des honoraires et frais des avocats, ou si certains frais fixes peuvent venir s’y ajouter.”

Les Pays-Bas hébergent un certain nombre d’organisations qui fonctionnent selon le principe du no cure, no pay: elles prennent une commission sur les indemnités qu’elles obtiennent, quand elles en obtiennent. Ce n’est pas permis en Belgique. “Là-bas, un préjudice de masse peut très bien engendrer la création d’organisations ou de fondations ad hoc, ce qui n’est pas davantage autorisé chez nous, relate Stan Brijs. Le nombre d’associations éligibles y est par ailleurs bien plus élevé qu’ici.” En Belgique, de telles associations doivent exister depuis trois ans au moins, et être agréées par le ministère de l’Economie, pour pouvoir commencer à agir.

Même si son démarrage peut être beaucoup plus rapide, l’action en réparation collective reste un travail de longue haleine. “Nous n’avons à ce jour aucun historique de jugements sur le fond, expose Simon November, le porte-parole de Test-Achats, à l’origine de six procédures depuis le 1er septembre 2014. Deux d’entre elles – contre la SNCB et contre le tour-opérateur Thomas Cook – se sont soldées par un règlement amiable; les autres sont toujours en cours. Test-Achats regrette de ne pas avoir été consulté à l’occasion de l’évaluation de la loi.”

Les actions en réparation collective ne seront jamais une activité lucrative en Belgique.” – Stan Brijs (NautaDutilh)

Cet examen a en effet précédé l’approbation, le 22 mars, d’une nouvelle loi, qui entrera en vigueur sous peu. Les représentants agréés dans un autre Etat membre de l’Union européenne seront désormais reconnus en Belgique également. Les PME pourront elles aussi se faire représenter. L’extension de l’action en réparation collective aux PME est en partie motivée par la crise du fipronil (présence de fipronil, substance insecticide, dans des oeufs, elle-même due à la négligence d’une entreprise de nettoyage de poulaillers). Unies, les PME seront plus fortes. Elles pourront agir avec effet rétroactif au 1er septembre 2014.

Sélectif

Test-Achats a porté plainte contre Volkswagen et D’Ieteren dans l’affaire des logiciels truqués. “Les consommateurs qui ont acheté leur voiture après l’entrée en vigueur de la loi peuvent adhérer gratuitement à l’action, rappelle Simon November. Nous ne pouvons rien leur faire payer pour cela; ils n’auront rien à débourser si nous perdons, et nous ne leur réclamerons pas un centime si nous gagnons. Pour les achats antérieurs au 1er septembre 2014, il nous faut initier des procédures individuelles, pour lesquelles nous pouvons exiger l’affiliation du consommateur. D’après moi, le financement des actions collectives est l’aspect par lequel la loi pèche de la manière la plus préoccupante. Nous ne percevons que les montants des abonnements et ne bénéficions ni de revenus publicitaires, ni de subventions.”

Si Test-Achats estime de son devoir d’agir, il doit également se montrer très sélectif. Tout ne peut être prétexte à saisir les tribunaux. “Si nous décidons de nous attaquer à certains dossiers, c’est que nous voulons prendre nos responsabilités et que nous espérons que ces démarches seront productives sur le plan des relations publiques, expose Simon November. Mais cette activité déficitaire pourrait très bien, à terme, être réduite à néant.” Le règlement récemment soumis aux Etats membres par la Commission européenne n’autorise lui aussi à agir que les associations sans but lucratif agréées.

“New Deal”

Le dieselgate a fait bouger les choses jusqu’à l’échelon européen. Dans son discours annuel sur l’état de l’Union européenne, au mois de septembre, Jean-Claude Juncker a évoqué un “New Deal pour les consommateurs”. Le consommateur européen dispose d’autant de droits que le consommateur américain, mais n’est pas aussi bien armé pour les faire valoir. A ce jour, des organisations de défense des consommateurs de deux Etats membres de l’Union ont réussi à obtenir 5,5 millions d’euros de dommages et intérêts dans l’affaire des moteurs diesels truqués; outre-Atlantique, Volkswagen a dû débourser un montant autrement important, à savoir quelque 25 milliards de dollars.

Selon le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), la Belgique est un exemple pour le reste de la zone. A l’heure actuelle, seules les législations nationales de cinq Etats membres de l’UE (l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Suède et la Belgique) permettent d’introduire des recours collectifs. D’après un porte-parole du BEUC, il importe surtout de permettre aux tribunaux belges de pencher en faveur du système de l’opt-out. “Cela signifie que les consommateurs concernés n’ont rien à faire pour avoir droit aux dommages et intérêts que prononcera éventuellement le tribunal. Ils peuvent en revanche toujours renoncer au système. L’opt-out a l’avantage de permettre à bien plus de personnes d’être indemnisées que l’opt-in, lequel oblige les victimes à adhérer explicitement à l’action.” Pour les résidents belges à l’étranger, l’opt-in est le seul système disponible.

Les bons choix

Pour Stan Brijs, les juges belges ont jusqu’à présent fait les bons choix. “Ils cherchent, dossier par dossier, la meilleure manière de défendre les intérêts du consommateur. L’affaire est-elle connue du grand public? Est-elle très médiatisée? Les consommateurs savent-ils qu’ils se trouvent devant un choix? J’estime que les tribunaux font preuve d’énormément de bon sens.”

Le fait que la décision soit laissée à l’appréciation du juge ne dérange en rien Simon November. “Du reste, l’opt-in est difficilement applicable, comme nous l’avons vu dans le cadre de la procédure contre Proximus: il a fallu prendre contact avec tous les clients qui avaient acheté un décodeur entre 2008 et 2013, ce qui a obligé le greffe de la cour d’appel à traiter et à classer 2.000 courriers. Dans un contexte d’opt-out, l’action aurait bénéficié à tous les clients lésés. Si le juge décide de le condamner à s’acquitter de dommages et intérêts, le défendeur n’a plus qu’à effectuer le paiement au profit de chacun des clients repris dans son fichier. C’est beaucoup plus facile, et beaucoup moins lourd sur le plan administratif.”

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